Eva Joly / Henri Guaino : « Qu’est-ce qu’être français? »

À l’invitation de France Inter, Public Sénat, Le Monde et Dailymotion, Eva Joly et Henri Guaino (conseiller spécial de Nicolas Sarkozy) se sont confrontés sur la question de la citoyenneté française, dans le cadre des “Grands débats de la présidentielle”.     Téléchargez le projet de budget pour 2012 (14 pages) en cliquant ci-dessous

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Un commentaire pour “Eva Joly / Henri Guaino : « Qu’est-ce qu’être français? »”

  1. Qu’est-ce qu’être français?

    A Henri Guaino,

    Pour rendre hommage à tous ces vrais républicains oubliés tous les 11 novembre depuis 1918,1945 et aujourd’hui.

    Morts pour la France.

    La fin de la guerre et le scandale de Thiaroye

    Le massacre du camp militaire de Thiaroye (Sénégal) est un tabou en France. Comme l’ensemble du dossier des «tirailleurs sénégalais», on n’en parle pas. Même dans l’armée française, on l’évoque avec beaucoup de gêne et de prudence. En réalité, le dossier de Thiaroye est une horreur, un carnage à ciel ouvert, un bain de sang effroyable préparé et exécuté par l’armée française contre leurs collègues africains qui avaient participé activement à la défense du territoire français.
    Les documents d’archives sur cette tragédie n’ont pas été faciles à retrouver. Les révélations que nous apportons ici témoignent de l’histoire méconnue des « tirailleurs sénégalais » tués par balles en décembre 1944, parce qu’ils réclamaient simplement leur solde aux autorités françaises.
    Tout commence par le retour forcé en Afrique, le 21 novembre 1944, et l’arrivée à Dakar d’un détachement de 1280 tirailleurs sénégalais en provenance de Morlaix (Finistère). Ces soldats français, qui avaient été prisonniers des nazis, venaient d’achever en Europe, une campagne militaire contre l’envahisseur allemand. Plusieurs d’entre eux avaient été arrêtés et torturés par les Allemands pendant qu’ils combattaient dans l’armée française. Une fois la guerre terminée, il s’est posé le problème du règlement des soldes et des indemnités de guerre. Pour des raisons diverses (lenteurs administratives, calculs compliqués des salaires, distinctions entre soldats), des discriminations grossières vont apparaître dans le paiement de solde. On verra plusieurs centres de regroupement des tirailleurs établir des différences incompréhensibles dans le versement de solde de captivité. Les tirailleurs vont comparer leurs soldes avec celles de leurs collègues français et constateront que les calculs sont à géométrie variable. Par exemple, des soldats du même grade auront, à chaque fois, une somme différente selon qu’ils sont d’origine française ou africaine. Ces inégalités de traitement vont provoquer des contestations dans les casernes. C’est ainsi qu’à Versailles, des tirailleurs sénégalais vont protester au centre de transit indigène en décembre 1944. Avant ce mouvement, une révolte de près de 300 tirailleurs sénégalais rapatriés à Morlaix avait donné lieu à une répression féroce de la gendarmerie française le 11 novembre1944. Bilan: sept blessés graves. La situation avait dégénéré lorsque, au début du mois de novembre, les autorités françaises avaient décidé de transférer ces 300 tirailleurs sénégalais à Loudéac (Côtes-d’Armor). Les soldats vont découvrir que leur centre de regroupement leur a établi un rappel de solde de 2 200 Francs anciens (soit 3,30 Euros) au lieu de 7 000 Francs (10,60 Euros) prévus.
    Vers la fin du mois de novembre 1944, un autre détachement de tirailleurs sénégalais est entré en rébellion à Hyères (Var). Leur mécontentement venait du fait que l’administration française leur avait retiré leurs vêtements ainsi que leurs effets personnels au moment où ils quittaient les zones de combats. Livrés à eux-mêmes, ils seront obligés de se débrouiller pour se vêtir, se chausser et subvenir à leurs besoins. Ils vont ainsi se retrouver sans rations alimentaires et sans argent. Au mois d’octobre 1945, un rapport confidentiel portant sur le moral du 8ème Régiment des Tirailleurs Sénégalais (RTS), rédigé par le commandant en chef des Français en Allemagne, tire ainsi la sonnette d’alarme : « L’habillement du régiment, surtout à l’approche de l’hiver, est nettement défectueux. Le rapport du mois précédent signalait que 1700 collections étaient nécessaires au 8ème RTS. L’état des chaussures est particulièrement alarmant ». Cet état de choses n’a pas entraîné une réaction diligente des autorités publiques.
    De plus, il avait été promis aux tirailleurs qu’ils rentreraient en Afrique à la fin de la guerre. La guerre n’était pas terminée mais ils erraient dans les casernes sans activités et sans le sou. Cette étrange situation a provoqué chez eux un sentiment de colère et de révolte. Le 21 janvier 1945, une bagarre éclate à Sète (Hérault) entre les tirailleurs sénégalais et les soldats français après qu’un colonel français ait jeté un tirailleur en prison parce que ce dernier ne l’avait pas salué en ville. Le colonel avait jugé l’attitude du tirailleur irrespectueuse et en a conclu qu’il méritait d’être incarcéré.
    D’autres incidents du même type vont se produire dans les unités de rapatriement de la division d’infanterie coloniale de Marseille en décembre de la même année.
    Pour éviter la multiplication des revendications chez les tirailleurs sénégalais, les autorités françaises vont décider d’effectuer des rapatriements forcés en Afrique. C’est dans ce contexte que la révolte des tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye va avoir lieu.
    Dans la matinée du 1er décembre 1944, plusieurs unités issues du 1er et du 7ème Régiment de Tirailleurs sénégalais (RTS) et celle du 6ème Régiment d’Artillerie Colonial (RAC), appuyées par la gendarmerie, ouvrent le feu sur leurs camarades africains à peine réveillés. Le scandale est si grave que les autorités françaises décident de masquer le nombre exact de victimes. Dans les rapports officiels, on parle de 24 morts et de 34 blessés. Le seul problème est qu’il y avait au départ de Morlaix 1280 tirailleurs rapatriés vers Dakar et arrivés dans le camp militaire de Thiaroye. Le nombre de survivants est encore, selon les rapports officiels, de 49 personnes arrêtées et 35 blessés (certains sont décédés des suites de blessures). D’après un autre rapport rédigé le 5 décembre 1944 par le général de division Dagnan, commandant de division Sénégal-Mauritanie, il est fait état de 46 blessés transportés à l’hôpital de Dakar et décédés par la suite. Le général Dagnan, qui était au camp de Thiaroye, donne des chiffres qui sont bien différents de ceux d’autres officiers français. La difficulté est de savoir ce qui est advenu de près de 1 000 autres tirailleurs du camp qui échappent au décompte. Les chiffres de cette tragédie varient selon les rapports. Il faut souligner qu’il n’y a jamais eu de commission d’enquête indépendante sur cette affaire.
    L’embarras des autorités françaises sur ce dossier sera tel qu’elles vont garder un silence de mort jusqu’à ce jour. Pourtant, en 1987, le premier et l’unique film tourné sur ces événements est réalisé par le cinéaste sénégalais Sembène Ousmane. Malgré la discrétion qui l’entoure en France, il est plutôt bien accueilli en Italie, en Allemagne et aux Etats-Unis.
    A l’époque, des témoins de ce massacre ont essayé de livrer leurs analyses à la presse. C’est le cas du docteur Hilaire Deffon cité par le journal sénégalais Sud Quotidien n° 1695 du 1er décembre 1998. Chargé de l’identification des corps, il précise:
    «Dès 14h, suivant l’ordre reçu du médecin-commandant, chef de l’infirmerie, le sergent-chef Sidibé et moi-même, nous nous mettons à la corvée, identification des cadavres. Ce soir-là nous en avons relevé 23. A Thiaroye-gare, un sous-officier soudanais avait refusé de monter dans le train tant qu’on ne l’aurait pas payé. Il a été abattu d’un coup de pistolet. Ce fut le 24ème cadavre. La nuit et le lendemain, Dakar nous a envoyé 11 morts qui figuraient parmi les blessés évacués à l’hôpital militaire.»
    Un autre témoin, qui n’est autre qu’un tirailleur sénégalais, répondant au nom de Mamadou Mar, raconte dans le même journal :
    « Quand la fusillade fut arrêtée, on a ramassé les morts (je crois qu’il y en avait 26) qu’on a mis sous deux ou trois tentes. Ils y sont restés jusqu’au lendemain vers 17h. On m’a appelé ainsi que douze soldats et on nous a demandé de nous occuper des morts. Nous les avons mis dans une voiture et les avons amenés derrière la route nationale en face du quartier Lampsar où nous les avons enterrés. Nous ne les avons pas enterrés dans des fosses communes. Il n’y a eu ni toilette mortuaire ni cérémonie religieuse… Tout se passait sous les ordres de trois officiers blancs. » Pour le docteur Hilaire Deffon : « Les 35 corps d’anciens combattants de la guerre 39/45 reposent maintenant au bord de la route de Dakar, à Rufisque, peu après le village de Thiaroye Sur Mer, à droite de la route. Les tombes sont blanchies à la chaux.»
    En fait, ce dossier a immédiatement été classé confidentiel-défense et est, de fait, devenu inaccessible aux journalistes et aux chercheurs. Il faut souligner que certains officiers français, proches du gouvernement de Vichy, et qui étaient basés à Dakar, jugeaient les revendications des tirailleurs sénégalais «inadmissibles» et «arrogantes». C’est ainsi qu’ils vont proposer d’écraser «l’esprit d’indiscipline» de leurs camarades pour rétablir «autorité et prestige » dans l’armée. Ceci est contenu dans un télégramme adressé le 30 novembre 1944 à 17h20 à l’état-Major général de la guerre à Paris :
    « Les mille trois cent ex-prisonniers rapatriés sur A.O.F. par CIRCASSIA font preuve esprit indiscipline et revendicatif très accusé. Malgré sollicitude et dispositions prises pour les accueillir et régler avec esprit large leur situation, ont refusé collectivement d’embarquer chermin-de-fer pour être dirigés sur diverses colonies. Montrent attitude arrogante à l’égard des cadres européens et prétentions inadmissibles, notamment au sujet de sommes argent supplémentaires à percevoir. Dirigés par meneurs ne paraissent plus connaître limites à leurs exigences. Je prends dispositions pour empêcher au besoin par la force aggravation du mouvement et rétablir autorité et prestige. »
    Au départ, le général Dagnan avait demandé de «coiffer » rapidement et par surprise le camp de Thiaroye. Il disait qu’il fallait empêcher toute fuite des tirailleurs et mettre de l’ordre dans le détachement. Pour lui, il était nécessaire de maîtriser la situation en évitant, dans toute la mesure du possible, de faire usage des armes à feu. Il souhaitait dans son ordre n°1 du 30 novembre 1944 que : « L’affaire s’effectue sans casse ». Seulement, c’était sans compter avec la vision radicale et le manque de retenue du lieutenant-colonel Le Berre et d’autres officiers qui pensaient qu’il fallait maintenir la suprématie des Européens sur les Africains, fussent-ils soldats de l’armée française. C’est donc sur l’initiative du lieutenant-colonel Le Berre, comme l’affirme le rapport confidentiel du 4 décembre 1944, établi par le colonel Carbillet, que les tirailleurs seront brutalement fusillés.
    Si le tabou n’est pas encore levé en France sur les événements de Thiaroye, c’est précisément parce qu’ils témoignent aussi des idées et des sentiments racistes et xénophobes qui animaient certains officiers de l’époque à l’égard de leurs frères d’armes africains. Nous avons découvert plusieurs rapports et notes de renseignements sur ces événements. Parcourons par exemple le rapport d’un certain général de Perier, inspecteur des troupes coloniales et proche collaborateur du très pétainiste général Weygand. De Perier s’était rendu à Dakar après le massacre de Thiaroye. Il tient à l’égard des tirailleurs sénégalais des propos dérisoires, dignes d’un racisme primaire, regrettables pour un soldat de son rang. Il déclare :
    « Je resterai sur le terrain militaire qui m’est familier et m’efforcerai d’être objectif. Si je paraissais faire preuve de partialité, ce serait l’effet de mon désir de préserver l’armée noire de toute atteinte à sa cohésion et à sa discipline et d’éloigner le mot de faillite qui a été prononcé.
    « Les causes profondes de la mutinerie sont celles qui ont amené le changement de mentalité de nos troupes noires en général et des ex-prisonniers en particulier.
    « Il y a eu notre défaite et certaines défaillances, nos dissensions intérieures, puis le bouleversement qui a suivi la libération du pays et qui n’a pas été toujours compris. Aux yeux du noir qui n’est pas dénué de tout sens critique, le blanc a perdu de son prestige. Pour les prisonniers, quatre ans de captivité doivent être considérés comme quatre ans de propagande allemande ou autre, à base de dénigrement de l’armée française et de ses cadres.
    « Au contact avec la civilisation européenne et avec le relâchement de la vie en campagne l’évolution se fait à un rythme accéléré et le tirailleur, qui est en général un jeune noir de 22 à 25 ans, crédule et assimilant mal, se gâte facilement : exemples de mauvaises tenues et de récriminations, l’usage du vin et de la femme blanche, etc…, si cette évolution n’est pas contrôlée et guidée par ses chefs. La permanence et la qualité de l’encadrement, qui sont d’une impérieuse nécessité, ont hélas fait souvent défaut. L’armée française a du lever d’importants contingents de Sénégalais : on leur a peut-être trop dit que la métropole avait besoin d’eux et ils se sont cru indispensables. D’autre part, pour servir l’armement et le matériel moderne, on a du dresser parmi eux des spécialistes auxiliaires qui ont été vite recherchés. Ils ont eu récemment des contacts avec des soldats noirs de l’armée américaine, très évolués et dont la tenue, la solde ou les rations étaient les mêmes que celles des blancs. Certains ont servi dans les rangs des FFI où ils ont parfois obtenu des galons trop facilement. Que ce soit par orgueil motivé, vanité ou jalousie, ils en sont à développer une ambiance de revendication qui subsiste et dont l’objet principal est l’assimilation aux militaires européens : statut, alimentation, solde, uniforme, récompense, permission, prérogatives diverses, etc…
    « Enfin très susceptibles, les noirs évolués sont devenus plus attentifs à leurs droits qu’à leurs devoirs. C’est ainsi que chez les ex-prisonniers soustraits à l’action directe de leur cadre pendant leur captivité et soumis à une propagande intensive, livrés ensuite à eux-mêmes au sortir des camps d’internement dans la période d’insurrection d’août et septembre derniers, un vent d’insubordination a pu s’élever rapidement sous le signe de l’égalité avec les blancs et de la résistance noire aux cadres européens, désormais sans prestige.
    « La mutinerie de Thiaroye ne constitue pas un cas isolé. Si le fait a été nouveau en AOF et a pu surprendre, il n’a pas étonné outre mesure en France. »
    Cet homme, qui a de la suite dans ses très courtes idées, poursuit son délire en ces termes :
    « Le commandement a été amené à employer la force pour mater une rébellion à main armée qui aurait pu avoir les plus graves conséquences pour la ville de Dakar et l’AOF. C’était son devoir strict et il ne saurait être question de discuter les modalités des opérations de répression.
    « En tant qu’officier colonial, ayant commandé des unités sénégalaises et aimant les tirailleurs, je ne puis qu’admirer le sang-froid, la patience et le savoir-faire dont le général commandant la division Sénégal-Mauritanie a donné l’exemple dans la journée du 28 novembre, puis la décision avec laquelle il a pris les mesures préparatoires à la journée du 1er décembre.
    Ayant visité à Thiaroye le théâtre des événements et ayant assisté à leur description par les exécutants eux-mêmes, en parfaite concordance avec les rapports déjà fournis, j’ai pu apprécier le souci de tous de retarder et de restreindre l’usage des armes, et une fois le feu ouvert l’arrêter aussitôt. Il n’est pas de règlement qui précise le mode d’emploi de la force, sauf le cas de maintien de l’ordre vis-à-vis de populations civiles. Dans une révolte militaire d’une telle gravité l’obéissance devait être forcée par tous les moyens. Je n’hésite pas à dire que si j’avais été chargé personnellement de rétablir l’ordre dans cette circonstance, j’aurais autorisé plus tôt l’ouverture du feu sur les mutins et sans salve préalable d’intimidation en l’air. Tout retard risquait d’aggraver la nature des incidents. On ne pouvait plus attendre, ni transiger, sans perdre complètement la face et ouvrir la porte à tous les débordements.
    « Ce qui frappe le plus dans le récit des acteurs, c’est l’unanimité avec laquelle ils soulignent l’atmosphère de violence qui régnait, l’arrogance invraisemblable des mutins et le caractère de leurs menaces ; puis, une fois la sanction impitoyable du feu comprise, la soumission totale de ceux-ci désormais dégrisés de leur folie collective.
    « Opération infiniment regrettable, comme l’a dit le gouverneur de l’AOF qui a coûté 35 tués et 35 blessés et dont personne ne tire gloire, mais opération indispensable, justifiant chez le chef le sentiment du devoir accompli et, dont l’effet salutaire répandu au loin durera longtemps, espérons-le. » (…)

    1 Cf. Le général Leclerc et l’Afrique française Libre, actes du colloque édités par la Fondation du Maréchal Leclerc en 1989.
    2 Cf. Ateba Yene, Théodore, Cameroun : mémoire d’un colonisé, Paris, l’Harmattan, pp. 40-41.
    3 Cf. le général Leclerc et l’Afrique française libre, op. cit. pp. 67-70.
    4 Cf. le général Leclerc et l’Afrique française libre, op. cit. pp. 82-83.
    5 Cf. Ateba Yene, Théodore, Cameroun : mémoire d’un colonisé, op. cit. p. 43.
    6 Cf. Bourgi, Albert, le général de Gaulle et l’Afrique noire, 1940-1969, Abidjan, Nouvelles éditions africaines, 1980, pp. 94-95.

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