Lettre ouverte à Jean-Luc Warsmann,tete de liste LR 08‏

Mon cher collègue,

 

A la Toussaint, j’étais au cimetière de Rubécourt sur la tombe de Rémy Dumont, mon arrière grand père, auteur du premier Larousse agricole paru en 1921 et instituteur à Douzy à la fin du 19ème siècle. Je suis alors monté jusqu’aux hauteurs de Mohimont, là ou commence la biographie de René Dumont. Nous sommes en 1914, le jeune René campe les gerbes de blé en « moyettes », 9 gerbes dressées et la dixième pour faire le toit. Le jeune René entend le tocsin qui sonne aux églises de Mairy, Francheval, Pouru, Douzy, appelant à la mobilisation générale. Je regarde à mes pieds : Douzy, la coopérative où travaillait mon père est rasée, au loin dansent les pales des éoliennes de Vaux les Mouzon, à droite Unilin crache ses fumées, partout carrières et ballastières trouent le paysage de mon enfance. Pays, paysans, paysages, le dernier paysan sera bientôt chassé ici par l’urbanisation ; à Rubécourt il n’en reste qu’un, Thierry, mon cousin, qui n’aura pas de successeur ; ils étaient 8 après guerre.

Et je me souviens cher collègue que, chaque automne, dans le cadre de la discussion des Orientations Budgétaires,vous jugez que la région ne fait pas assez pour l’économie et, chaque année, je me demande ce que vous entendez par économie.

L’agriculture est le fleuron de l’économie régionale, pourtant à Douzy, dont vous êtes maire et que vous voulez laboratoire de la future région, vous bétonnez des terres agricoles pour y construire des pavillons que l’on dit écoresponsables. J’ai enfin entendu récemment votre position sur la crise de notre modèle agricole : vous prononciez à l’usage de la profession un vibrant plaidoyer pour la compétitivité, appelant sans nuance à plaquer le modèle de l’industrie à notre agriculture, vous proposiez de pousser plus loin ce modèle qui vide nos campagnes de ses paysans. En somme,reconnaissant que notre agriculture va dans le mur, vous nous proposiez d’accélérer.

Puisque tout a commencé par la coopérative où travaillait mon père : vous ne parlez jamais, mon cher collègue, d’économie sociale et solidaire, pourtant l’économie sociale et solidaire représente 10% de l’emploi dans notre région et l’on crée plus d’emplois dans nos coopératives et nos associations que dans les autres secteurs de l’économie, ce modèle doit etre regardé de près pour l’avenir de nos territoires…Cet aménagement du territoire régional que nous boostons, pour employer vos mots, grâce au plan de développement rural de la région qui transformera tous nos territoires en territoires d’avenir.

Et la culture ? Vous n’en parlez jamais non plus mon cher collègue, pourtant une étude récente a montré que le secteur culturel contribuait 7 fois plus au PIB de la France que l’industrie automobile, pointant également combien la présence d’un équipement culturel contribue au développement socio-économique d’un territoire ; votre homologue Laurent Wauquiez, en campagne à Lyon, a tenu le 12 novembre puis le 2 décembre des propos peu nuancés à ce sujet, notamment : « Curieuse région socialiste qui ferme des formations de chaudronniers et de soudeurs et en ouvre de clowns du cirque et de marionnettistes avec une perspective de 90 % de chômage « 

 

Pour ma part, je suis fier d’etre l’élu d’une région où clowns et marionnetistes sont choyés, celle de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville et du Centre National des Arts du Cirque de Châlons, une région de festivals où le cabaret vert et la marionnette, et ce que l’on a coutume de nommer les arts vivants, contribuent à la fois au vivre ensemble, à notre attractivité pour employer encore une fois vos mots, et à la richesse de notre économie .

 

Je me suis inquiété récemment de la baisse de 20% des crédits de programmation pour le théatre de Charleville, de la baisse des subventions aux associations culturelles au chef-lieu, du ratatinage du projet de Scène de Musiques Actuelles par vos soutiens carolos.

 

En cette période troublée, nous pourrions pourtant  utilement nous inspirer de Matteo Renzi qui donne à la culture à chaque fois qu’il donne à l’armée et Laurent Wauquiez pourrait apprendre des marionnettes et des clowns distance et hauteur de vue, deux vertus dont devraient être dotés ceux qui prétendent diriger nos régions. J’aurais aimé vous voir vous démarquer de ces positions qui montrent au mieux de l’ignorance, au pire du mépris.

 

Le développement durable est selon nous la source des emplois de demain : nous ne sortirons de cette conjonction de crises que nous vivons que par ce que nous appelons la relocalisation de notre économie, les circuits courts en agriculture, que ce soit dans la région ou au sein de l’exploitation, qui garantissent un revenu décent à nos paysans ; un vaste plan d’isolation de nos logements particulièrement vétustes ici où beaucoup d’Ardennais souffrent de précarité énergétique, n’ayant pas les moyens de se chauffer convenablement.

Votre projet politique est celui d’une économie mondialisée, avec des hangars pour la logistique bâtis dans des banlieues où sont créés quelques emplois aisément délocalisables une fois les aides taries, un far West ou ne s’appliquent ni le droit social, ni le droit fiscal, avec le développement durable comme supplément d’âme.

Nous ne construirons pas le monde de demain avec des recettes d’hier. Car dans cette course à la compétitivité, on trouvera toujours plus compétitif ailleurs, là où on ne paie pas les gens et on où n’a que faire de l’environnement.

Décidément nous ne parlons pas de la même chose quand nous parlons d’économie, décidément vos solutions n’en sont pas, et plus j’y pense, plus j’estime qu’elles constituent au contraire le problème.

J’ai essayé pendant cinq ans de débattre avec vous de ces questions, de confronter nos options, malheureusement vous avez pris l’habitude de quitter l’hémicycle à la fin de la première demi-journée de nos sessions, une fois prononcé votre discours liminaire, une fois tenus vos propos définitifs sur l’insuffisance de notre politique économique. Vous vouliez dire par là que nous ne donnions pas assez d’aide directes aux entreprises.Vous avez battu au passage des records d’absentéisme que le cumul des mandats n’excuse pas, vous qui prétendiez en 2010 présider la région.

Souffrez donc, mon cher collègue, que je tienne à mon tour à votre endroit des propos péremptoires, frustré par un débat qui n’aura pas eu lieu, par une campagne qui se termine sans jamais avoir commencé.

Christophe Dumont

Conseiller Régional

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