DISCOURS CÉCILE DUFLOT A l’occasion du colloque des 5 et 6 décembre 2012 en l’honneur du 30ème anniversaire de la loi 22 juin 1982 dite QUILLIOT relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs
Mesdames, Messieurs,
C’est un grand plaisir pour moi d’être présente aujourd’hui, devant vous, à
l’occasion du 30ème anniversaire de la loi Quilliot.
Je souhaiterais commencer par vous remercier chaleureusement pour votre
invitation car vous me donnez l’opportunité de rendre hommage à l’un de mes
prédécesseurs, un homme engagé et humaniste, dont l’exemple m’est cher.
Cet homme c’est celui qui, à une époque où la France s’enfonçait dans la crise en
regrettant les trente glorieuses, a su bouleverser la politique du logement en France
par une loi audacieuse et novatrice. C’est aussi celui qui, en affirmant dans sa lettre
d’adieu ne pas avoir un tempérament de spectateur, nous rappelle encore
aujourd’hui que l’action politique n’est jamais vaine, que la volonté peut toujours
changer les règles du jeu, qu’il ne faut jamais céder au renoncement et à la facilité
de l’immobilisme.
La première chose que nous enseigne la loi Quilliot est qu’une loi peut avoir, dans sa
forme originelle, une durée de vie finalement assez brève, être amendée à de
nombreuses reprises, modifiée par la loi Méhaignerie en 1986 et par la loi Mermaz en
1989, et demeurer cependant un texte fondamental des politiques du logement,
dont l’héritage conserve encore aujourd’hui toute sa force.
Cette force émane du fait que la loi Quilliot est une loi de rupture. Elle est le produit
d’un moment historique où la puissance publique prend acte des déséquilibres d’un
marché locatif privé incapable de s’adapter à l’ampleur de la crise des années 80
et décide d’agir. Le choix qui est fait est décisif. C’est un choix de nécessité. C’est
celui de la régulation du secteur privé.
I. En affirmant dans son article 1er que « le droit à l’habitat est un droit
fondamental », la loi Quilliot affirme un principe essentiel. Le logement ne peut pas
se réduire à une simple marchandise. Il est au contraire un bien de première
nécessité. Il est un droit. La protection des plus faibles face à des situations locatives
déséquilibrées et donc un impératif majeur.
En cela, la loi Quilliot pose une pierre fondatrice, elle constitue le socle des politiques
du logement qui l’ont suivi et qui continueront à la suivre. Comment ne pas voir dans
la consécration du droit au logement opposable par la loi de 2007 le prolongement
abouti de l’article 1er de la loi Quilliot ? N’oublions pas ces filiations, ces interactions,
elles sont essentielles, elles orientent nos politiques, elles nous rappellent le principe
qu’il nous faut maintenir et tenir coûte que coûte : le respect du droit de propriété
doit s’arrêter là où se trouve bafoué le droit de tous à se loger dignement.
Or les faits sont là : nous vivons aujourd’hui une crise du logement d’une grande
dureté. Plus de 3.6 millions de personnes souffrent de mal logement, près d’1,7
millions de ménages attendent l’attribution d’un logement social. Cette crise
possède de multiples visages. Celui de l’enserrement progressif d’un pouvoir d’achat
grevé par la hausse des dépenses de logement. Celui de la précarité énergétique
qui touche plus de 8 millions de nos concitoyens. Celui de l’habitat indigne pour
lequel les frontières de l’inacceptable sont trop souvent repoussées, des situations
intolérables trop souvent banalisées.
Nous faisons donc face à des défis immenses. Mais ce constat ne doit pas être celui
du défaitisme. Bien au contraire, il doit être celui de la mobilisation générale face à
un marché de l’immobilier qui dysfonctionne. Comme il y a trente ans, la puissance
publique doit intervenir dans le secteur du logement. Nous le revendiquons : c’est là
l’héritage fondateur du ministre Quilliot.
Cette intervention de la puissance publique, je souhaite la décliner à travers quatre
grands principes :
1. Il s’agit d’abord de mettre en place une politique de régulation luttant contre les
dysfonctionnements du marché et ses défaillances. Un locataire du parc privé sur
cinq dépense plus de 40 % de ses revenus pour se loger. Je ne peux pas l’accepter.
C’est la raison pour laquelle j’ai pris dès cet été un décret d’urgence pour encadrer
les hausses excessives de loyer. C’est un signal fort. La régulation du secteur
constitue bien l’un des fondements sur lequel je conçois l’action de mon ministère.
2. Il s’agit ensuite de lancer sans attendre une politique de mobilisation générale en
faveur de la construction. Sans un développement massif de l’offre de logements là
où sont les besoins, nous ne pourrons pas apporter de réponse pérenne au mallogement.
La loi qui vient récemment d’être ré-adoptée par l’Assemblée Nationale
est une première brique. L’Etat participera pleinement à l’effort national de
construction à travers la libération du foncier public. La mise en place d’une fiscalité
nouvelle qui pénalisera la rétention des terrains à bâtir garantira qu’il en sera de
même pour les terrains privés.
3. Il nous faut également construire une politique de lutte contre les inégalités
d’accès au logement. Tout le monde doit avoir le droit à un toit, quelques soient ses
revenus, ou ceux de ses parents, quelque soit aussi la couleur de sa peau ou sa
religion. Renforcement de la loi SRU, réquisition, captation des logements du parc
privé, tous les moyens d’action à notre disposition sont légitimes et seront utilisés pour
lutter contre cette exclusion.
4. Il nous faut, enfin, une politique de l’égalité des territoires. Car là où sévissent la
ségrégation ou le délaissement, l’Etat doit intervenir au nom de la solidarité
nationale. L’accès aux services publics essentiels, les soins médicaux, la Culture, la
mobilité, l’accès aux services numériques qui conditionnent bien souvent tout le
reste, doivent être disponibles pour tous, quelque soit son lieu de résidence. C’est
notre responsabilité. C’est l’une des missions centrales de mon action.
II. En affirmant la nécessité de l’intervention publique, la loi Quilliot a valeur de
principe. Cet héritage fondamental se fonde avant tout sur la transformation
radicale des rapports entre bailleurs et locataires. C’est là l’avancée majeure de ce
texte. Pour la première fois, des règles claires ont été instaurées. Les relations entre
logés et logeurs sont passées d’un rapport de forces à un rapport de droit. Le contrat
de bail est devenu la norme, les « droits et obligations des parties » ont été clarifiés.
Cette question difficile de l’équilibre des rapports locatifs demeure un sujet d’une
grande actualité que l’on ne doit jamais traiter à la marge. Le parc locatif continue
et doit continuer à jouer un rôle de premier plan en France. Sa composante privée
est essentielle pour la mobilité des ménages, leurs parcours résidentiels. Sa
composante publique est primordiale pour l’accueil des ménages des classes
moyennes et modestes qui n’ont pas les moyens de se loger dans le parc privé ou
d’accéder à la propriété.
Un an après son arrivée, le gouvernement de Pierre Mauroy s’était pleinement saisi
de cet enjeu. Nous partageons la même ambition. Un an après son arrivée, le
Gouvernement auquel j’ai l’honneur de participer portera dans la loi cadre sur le
logement et l’urbanisme qui sera élaborée au premier semestre 2013 un grand projet
de modernisation des rapports locatifs.
Il ne s’agit pas de changer la loi pour le plaisir de marquer notre différence. Et cela
ne sera certainement pas une partie de plaisir ! Mais nous devons le faire parce qu’il
s’agit d’une nécessité pour nos concitoyens : pour les locataires dont les taux
d’effort s’alourdissent sans cesse, pour les propriétaires modestes qui sont parfois
démunis face à des locataires de mauvaise foi.
C’est également une nécessité pour le développement du parc locatif privé. Le
désengagement des investisseurs institutionnels a du être compensé par la montée
en puissance des investisseurs particuliers qui détiennent maintenant près de 90% du
parc. Le pilier sur lequel repose désormais l’essentiel du marché ne peut tenir sans le
soutien d’une fiscalité incitative que proposent les dispositifs d’aides à
l’investissement locatif. A l’évidence le marché est aujourd’hui sous perfusion. Le
sevrer brutalement serait irresponsable et aggraverait davantage la situation. C’est
la raison pour laquelle j’ai décidé de mettre en place un nouveau dispositif d’aide à
l’investissement qui reste incitatif mais qui soit également plus exigeant. Cette
situation n’est cependant pas durable. Nous devons réfléchir à un nouvel équilibre.
Les rapports locatifs en sont l’un des facteurs clefs.
Je souhaite placer ce chantier de modernisation au service de trois principes.
1. Le premier principe est l’équilibre des relations entre propriétaires et locataires.
Je n’ignore pas que cet équilibre est une chose fragile. Nombreux sont ceux qui
considèrent que la loi de 89 est parvenue à une stabilité, démontrée par le temps,
qu’il convient de ne pas perturber. Mais l’équilibre ne doit pas être une excuse pour
l’immobilisme. Ma conviction est qu’on peut faire bouger les lignes, moderniser le
cadre de la location, l’adapter à la réalité des besoins nouveaux de notre société,
sans rompre cet équilibre.
2. Le deuxième principe est celui de la sécurisation.
C’est un objectif fondamental et je suis convaincue qu’une meilleure sécurisation
des relations entre bailleurs et locataires sera bénéfique pour tous. C’est un gain
partagé. Des relations apaisées, sécurisées et stables, c’est avant tout une
protection pour le locataire, et c’est indispensable, mais c’est aussi une garantie
pour les revenus et les intérêts du propriétaire.
Je la conçois notamment par la création d’un véritable mécanisme de sécurisation
locative. Son objectif sera de permettre, d’une part, un accès renforcé au parc
locatif privé pour les plus précaires et, d’autre part, un traitement à la fois efficace et
social des impayés de loyer pour indemniser les propriétaires. La garantie des risques
locatifs a constitué une première étape qui a montré la voie. Elle a également
montré certaines limites dont il nous faut aujourd’hui tiré les leçons. C’est dans ce
but, que nous avons confié, avec le ministre de l’économie et des Finances, Pierre
Moscovici, une mission à l’inspection générale des finances et au conseil général de
l’environnement et du développement durable pour tirer le bilan du dispositif et
émettre des propositions en vue de la mise en place d’un mécanisme de
sécurisation amélioré, potentiellement à vocation universelle.
Je la conçois aussi par l’amélioration de la prévention des expulsions. Nous devons
tout faire pour empêcher la casse humaine que cause une expulsion. Pour cela,
nous le savons, il est nécessaire d’intervenir le plus en amont possible, dès le premier
impayé de loyers. Au-delà de l’amélioration nécessaire de la coordination des
acteurs que devra permettre la montée en puissance des CCAPEX, une garantie
généralisée des revenus locatifs pourrait apporter un levier fondamental en
favorisant le signalement précoce des impayés. Sécurisation et prévention des
expulsions sont deux sujets intrinsèquement liés.
3. Enfin, le troisième principe de modernisation sera celui d’une régulation actualisée
du marché.
Parvenir à une réelle maitrise des loyers et de leurs évolutions est indispensable pour
préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens. C’est le seul moyen pour renforcer
l’accès au logement et permettre à chacun d’avoir un toit. Oui, je souhaite
encadrer le niveau des loyers là où cela est nécessaire. Le décret d’urgence de cet
été a permis d’en encadrer la hausse. Nous allons maintenant changer la loi pour
aller jusqu’au bout de cette logique. Cela n’est pas infaisable, cela ne détruira pas
nos ville comme certains Cassandres le laissent entendre ! Les nombreux exemples
étrangers, dont celui de l’Allemagne, prouvent au contraire que cette régulation est
possible, qu’elle souhaitable.
Pour qu’elle puisse fonctionner, elle nécessitera une plus grande transparence des
marchés locaux de l’habitat, une connaissance plus fine des prix. C’est l’objectif
poursuivi par la mise en place des observatoires locaux des loyers que j’initierai
vendredi prochain en installant le comité scientifique de la démarche et en
annonçant la liste des territoires pilotes qui participeront à la phase
d’expérimentation.
Trouver le bon modèle de régulation pour la décennie 2010 supposera d’aborder
tous les aspects des rapports locatifs. Nous devrons traiter la question de la
recherche de logements et de locataires, c’est-à-dire les enjeux relatifs à
l’établissement du bail, à l’élaboration de l’état des lieux, à la définition des surfaces,
à la rémunération des intermédiaires, à la liste des pièces à fournir. Mais nous
devrons aussi aborder les questions propres à l’occupation et à la sortie du logement
: la durée du bail, les conséquences du non respect des règles, la question des
charges…
Comme vous le voyez, les chantiers qui s’ouvrent sont nombreux et complexes. Ils
devront être appréhendés avec finesse et attention. Ils touchent directement des
millions de ménages. Ma méthode sera donc celle de la concertation, de
l’échange et du dialogue.
C’est la condition nécessaire d’une réforme pérenne. Là encore, je crois m’inscrire
pleinement dans la continuité de Roger Quilliot, pour qui les rapports locatifs
devaient être régulés par des instances de négociation comprenant aussi bien des
associations représentatives des locataires que des propriétaires, pour qui la
résolution des conflits par le dialogue, la concertation et les accords collectifs était la
voie à suivre.
J’ai décidé de confier la réalisation de cette concertation ouverte à Isabelle Massin,
présidente de la commission nationale de conciliation, et à Patrick Laporte du
conseil général de l’environnement et du développement durable. Ils ont d’ores et
déjà engagé le dialogue avec l’ensemble des partenaires et me transmettront les
conclusions de cette concertation au cours du mois de février 2013.
Cette première approche s’articulera également avec celle portant sur la
prévention des expulsions qui s’inscrit dans les travaux de la « conférence contre la
pauvreté et pour l’inclusion sociale » qui se réunira lundi 10 et mardi 11 décembre
prochains.
Ces deux démarches viendront alimenter les dispositions législatives du projet de loi
cadre sur le logement et l’urbanisme qui sera déposée au premier semestre 2013 et
structurera la politique du logement de ce Gouvernement pour la durée du
quinquennat.
Vous le voyez, notre ambition est grande même si le travail ne fait que commencer.
Nous aurons à faire face à des objectifs qui sembleront parfois contradictoires :
renforcer la protection des locataires tout en incitant à l’investissement locatif,
baisser les coûts des transactions immobilières tout en assurant un service de qualité.
Ma conviction profonde est que ces impératifs peuvent se concilier, que l’espace
de dialogue que nous ouvrons permettra de faire émerger ces points de
convergence. C’est le coeur de ma démarche.
« J’aime agir et bâtir » déclarait Roger Quilliot. Trente ans plus tard, je me place dans
le même état d’esprit. L’intervention de la puissance publique, qu’elle soit portée
par l’Etat ou par les collectivités, est l’un des leviers indispensables pour réguler les
excès du marché. Je compte assumer pleinement cette responsabilité.
Je vous remercie.
http://www.territoires.gouv.fr/spip.php?article1274