La LGV POCL : une aberration écologique et économique

Sur la seule hypothèse d’une éventuelle saturation de la ligne Paris – Lyon d’ici 2020, un projet de ligne à grande vitesse Paris – Orléans – Clermont – Lyon a vu le jour. Estimé entre 12,2 et 14 Mds d’€ selon le tracé, massivement soutenu par les élus régionaux d’Auvergne, quelle position adopter à son égard : est-il économiquement viable, est-il écologiquement soutenable ? Quels sont ses avantages réels ? Tour d’horizon…

Saturation… et autres inconvénients

Quelle validité accorder à l’hypothèse d’une saturation de la ligne Paris – Lyon ? Plusieurs études montrent une diminution des déplacements, aussi bien par la route que par le rail, et les prévisions de RFF dans le passé ont fréquemment été surestimées.

Le point de saturation d’une ligne dépend de la vitesse des convois qui y circulent : plus vite circule un convoi, moins nombreux seront les convois à pouvoir circuler, et plus vite la ligne sera saturée. Une LGV arrive donc à saturation plus rapidement qu’une ligne classique, d’autant plus que la SNCF n’autorise pas la circulation de trains « non TGV » sur une ligne à grande vitesse : une LGV est dédiée aux TGV. C’est une des raisons pour lesquelles nos voisins européens se contentent d’une grande vitesse à 220 km/h, au lieu des 300 de nos TGV actuels, qui devraient passer à 360 avec l’AVC (la prochaine génération de TGV).

La vitesse étant un facteur d’usure des rails, il est nécessaire de les remplacer plus fréquemment sur les LGV ; au-delà de 160 km/h, la consommation d’énergie augmente en fonction du carré de la vitesse ; qu’elle impose enfin un écartement plus grand entre les voies qu’une ligne classique, donc une occupation plus grande de l’espace.

Enfin, il faut bien le constater, le TGV, tel qu’il est actuellement développé, n’a permis en rien de sortir du système « tout routier », en particulier en matière de transport de marchandises, lequel continue d’évoluer au détriment du rail en augmentant les émissions de gaz à effet de serre 1.

Développement économique et aménagement du territoire

Le TGV, un facteur de développement économique ? Malheureusement, l’expérience démontre son inefficacité en tant que levier de développement.

Dès les années 90, François Plassard, chercheur du LET 2 de Lyon , écrivait : « Le système TGV ne peut fonctionner qu’entre des villes de taille suffisamment importante pour générer un trafic qui justifie l’existence d’une nouvelle ligne(…). En ce sens, le TGV ne fait qu’accompagner une tendance lourde de l’évolution économique actuelle qui concentre l’activité entre quelques grands groupes rassemblés en des pôles stratégiques. Le TGV, de la même façon, contribue progressivement à une nouvelle structuration de l’espace autour de pôles de moins en moins nombreux et de plus en plus importants« .

Au Japon, la ligne à grande vitesse (la plus rentable du monde) a gravement accentué le développement de Tokyo au détriment d’Osaka : malgré leur avance dans la technologie de la très grande vitesse, les japonais se sont bien gardé de développer cette expérience. En Espagne, la ligne TGV a entraîné un déplacement de Séville vers Madrid. De plus en plus d’études le montre : le TGV ne crée pas l’activité économique, il la déplace. Les LGV n’irriguent pas, elles drainent les ressources vers les points les plus importants, en général les deux extrêmités de la ligne, au dépens des pôles urbains intermédiaires, renforçant l’hyper-centralisation aux niveaux régional et national, satellisant les agglomérations les plus petites par rapport aux plus grandes : le TGV ne réduit pas les inégalités entre les régions, il les aggrave.

Cloisonnement du territoire, destruction d’espaces naturels, d’autant plus importante que, afin de réduire le coût, on privilégie le tracé où le foncier est le moins cher et la densité de population impactée plus faible, altération des paysages, coupures de voirie, bruits et vibrations, dépréciation du foncier… En terme d’aménagement du territoire, la construction d’une nouvelle LGV ne présente que des conséquences négatives.

Enfin, on le sait, les grandes gares parisiennes sont saturées. Pour y remédier, RFF tente d’orienter le trafic vers les gares TGV les plus proches de la capitale (Roissy, Massy, Marne la Vallée), en réduisant les péages.

L’Auvergne, enclavée ?

Le service actuel relie Clermont à Paris en 3h15. La ligne Clermont – Méditerranée est sacrifiée au profit de l’autoroute, de même que l’axe Bordeaux – Clermont – Lyon – Genève, abandonné par l’Etat aux 4 régions concernées (Rhône-Alpes, Auvergne, Limousin, Aquitaine) – au plus grand bénéfice des sociétés gestionnaires d’autoroutes, dont les profits, pour les 3 plus grandes d’entre elles, ont atteint 5 Mds en 5 ans. Peut-on sérieusement parler d’enclavement concernant la desserte vers Paris, peut-on prétendre y remédier en réduisant de 15 ou 30 minutes la durée actuelle, pour un coût annoncé de 14 Mds, qui sera certainement dépassé ?

Disons-le : en ce qui concerne le transport de voyageurs par chemin de fer, Paris est la seule destination à l’égard de laquelle l’Auvergne ne souffre d’aucun enclavement, une durée de 3h15 est largement acceptable si on la compare au temps de trajet par la route, ou même par avion. Qui plus est, cette durée pourrait être réduite en améliorant la ligne existante, pour atteindre une vitesse de 200 km/h.

L’article 14-1 de la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) spécifie que le schéma régional des infrastructures et des transports « assure la cohérence régionale et inter-régionale des services ferroviaires régionaux de voyageurs », en ayant « pour objectif prioritaire d’optimiser l’utilisation des réseaux et équipements existants ». Le programme européen (Réseau Trans Européen de Transport) prévoit que les tracés des nouvelles LGV doivent se situer au plus près de l’existant, sans ouvrir de nouveaux corridors. La réalisation de cette LGV ne répond à aucun de ces objectifs.

Le modèle économique du TGV sur la sellette

Le modèle économique du TGV est sérieusement compromis : le taux d’occupation des trains à grande vitesse, de 77 % en 2008, n’a fait depuis que décroître et la SNCF prévoit une baisse de près de 4 % de ses voyageurs cette année. La construction des premières LGV a créée une dette de 28 Mds, 1 Md est consacré chaque année aux intérêts des emprunts. David Azéma, directeur « stratégie et finances » de la SNCF, l’affirme : « Sur la base des tarifs 2009, 20 % des TGV dégagent déjà des pertes (…). Sur la base des tarifs 2011, 30 % de nos TGV afficheront des résultats négatifs dans deux ans. ». Selon un cadre de la SNCF : « Les TGV vont devenir de moins en moins rentables, surtout les lignes de province à province traditionnellement moins fréquentées. Même le TGV-Est n’est pas rentable au vu des investissements qui y ont été consacrés. » Au vu de ces constats, que valent aujourd’hui les hypothèses qui ont conduit à la construction de ces lignes ?

La recherche d’un nouvel équilibre économique des TGV est la préoccupation majeure des dirigeants de la SNCF, au point qu’on en arrive à cette situation absurde : ayant construit des TGV pour faciliter la mobilité, on en vient aujourd’hui à générer de la mobilité pour les rentabiliser. Bien entendu, si la rentabilité des TGV continuait de s’effondrer, les fonds publics devraient compenser la perte, comme c’est déjà le cas pour les « lignes d’équilibre du territoire » 3.

L’arrivée du TGV en Auvergne ne saurait être complémentaire des lignes ferroviaires actuelles, dont la rentabilité se trouvera fortement compromise, au risque pour les Régions de devoir en supporter la charge. Dans les faits, la création d’une LGV se traduit toujours par un abandon des lignes assurant la desserte fine des territoires : les riverains des LGV regardent passer les TGV et perdent les services offert par le réseau classique, contraints d’utiliser davantage leurs voitures, ce qui impose aux Régions de prendre le relais.

Un réseau obsolète

La cause ? G.Pepy, Dir Gén de la SNCF, l’explique 4 : « je suis de ceux qui ont dit, il y a déjà longtemps, que le réseau n’était plus en état de supporter le trafic. On l’a laissé vieillir sans l’entretenir parce que le choix a été fait, dans les années 80 et 90, d’un réseau routier extraordinaire et aussi du développement rapide du TGV, dont les lignes nouvelles ont été financées au détriment de l’entretien du réseau classique. Il faut maintenant faire face aux conséquences de ces décisions. Nous avons maintenant des alimentations électriques qui datent des années 20, les postes d’aiguillage de la gare de Lyon datent de 1933. »

La nouvelle version du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) que l’Etat vient de publier, ré-évalue les dépenses de régénération du réseau ferroviaire de 25 à 50 Mds.

L’ensemble du réseau rail en France est aujourd’hui dans un état d’obsolescence tel qu’il ne peut faire face aux enjeux énergétiques et écologiques auxquels il est d’ores et déjà indispensable de répondre, en particulier concernant le transport des marchandises. Il ne dispose ni des moyens financiers ni même du système de gouvernance nécessaires à sa modernisation.

Toujours à l’article 14, la loi LOTI impose que « les grandes opérations d’infrastructures réalisées avec le concours de financements publics, doivent faire l’objet d’un bilan des résultats économiques et sociaux rendu public ». A quand un bilan du TGV, ou de l’évolution de notre système de transport dans sa globalité ?

Un coût (prévu) pharaonique

Pour le tracé souhaité par le Conseil Régional d’Auvergne, le coût est estimé à 14 Mds. A ce stade, RFF ne peut s’engager sur le montant de sa participation (qui sera répercutée à la SNCF via les droits de péage, puis vers les voyageurs), mais l’étude disponible sur le site du débat public fait apparaître une capacité d’auto-financement « possible » de 1,8 Mds 5. Le reste doit se faire sur fonds publics : Etat, collectivités locales, Europe. L’Europe a déjà fait connaître sa position : elle n’interviendra pas. L’Etat ? Nous connaissons sa situation financière… Le SNIT « nouvelle version » entérine l’abandon de plusieurs des grands travaux envisagés à l’origine, faute de financement. Sur de précédents projets de LGV, la part des collectivités était d’environ 30 %. Dans le cas de la POCL, elle est estimée par le CESER 6 à plus de 5 Mds.

Le budget transport (2012) de la Région est de 124,6 M, soit 25 % du budget « Programmes », dont 100,3 M pour le fonctionnement (les TER) et 24,3 M pour l’investissement (les infrastructures). Elle est déjà engagée dans un plan rail de 213 M. Son endettement atteint 490 M, le remboursement représente 67 M, soit 10 % de ses dépenses… Le CESER le constate 7 : « En 2012, les recettes fiscales représenteraient seulement 22,11 % des recettes, en nette diminution par rapport au budget primitif 2011 (-55,7 M€) alors que les dotations de l’État représenteront 55,15 % des recettes au Budget Primitif (en hausse de 20 %) confirmant ainsi la perte d’autonomie fiscale des collectivités locales ».

Le coût d’un tel projet engagerait pour des décennies les collectivités locales, bien au-delà de leur capacité de financement en matière de transport.

Grande vitesse : la fin d’un mythe

Concorde et Super Phoenix hier, ITER et TGV aujourd’hui, c’est toujours le même scénario qui se répète, avec les mêmes conséquences : nous consommons toutes les ressources publiques dans des opérations de prestige qui ne laissent que des dettes et ne génèrent que des moins-values sociales et environnementales – en échange de quelques profits privés, il faut le reconnaître.

Depuis des décennies, nous privilégions le développement des moyens de déplacement au détriment de la proximité. Parce nous disposions de ces moyens, et d’une énergie à bas prix pour les faire fonctionner, nous avons créé des nécessités de nous déplacer toujours plus, pour travailler, étudier, se soigner, se distraire. Ce schéma n’est plus possible : modèle économique à bout de souffle, bilan financier calamiteux, système de gouvernance inopérant, réseau obsolète, gares saturées – sans obtenir de réduction significative des GES dans le domaine des transports, avec pour perspective un coût de plus en plus élevé pour sortir de l’impasse.

Dans le domaine du transport, comme dans celui de l’énergie, la transformation écologique de la société nous impose aussi bien une réduction des besoins de déplacement qu’une redéfinition, aujourd’hui inévitable, de notre système de transport : « On ne dessinera pas l’avenir du transport ferroviaire en revenant aux recettes d’antan, ni en s’obstinant à avancer dans des mauvaises directions. Le système ferroviaire français est à un tournant de son histoire. Sachons, avec les représentants des citoyens, des usagers et des cheminots, le dessiner ensemble, et le traduire, au lendemain des élections législatives, dans une vaste refonte de la loi d’orientation sur les transports intérieurs. » Jean-Vincent Placé, Jean-Yves Petit, Françoise Coutant et Alain Fousseret

1– La libéralisation du rail a causé une chute de la part modale du fret ferroviaire, passé de 12,6% à 10,6 % en une dizaine d’années au profit du transport routier (la Tribune du 16/11/2011)

2- Laboratoire d’Economie des Transports, article publié dans La vie du rail

3 – Les LET, non financées par les Régions et déficitaires, font l’objet d’une convention entre la SNCF et l’Etat, elles fonctionnent grâce à une subvention sous forme de taxes prélevées pour partie sur les bénéfices de la SNCF, pour partie sur le CA du TGV, ainsi que sur les sociétés d’autoroute

4 – interview accordé à Marianne (30/12/2011),

5http://debatpublic-lgv-pocl.org/index.html – Capacité contributive et perspectives de financement – Setec International – Nov. 2011

Un commentaire pour “La LGV POCL : une aberration écologique et économique”

  1. oui, je souscris : vouloir en priorité la LGV POCL est une « aberration écologique et économique ». Le POCL, pourquoi pas, mais dans un second temps, quand on aura obtenu les nécessaires améliorations des dessertes ferroviaires intérieures au Massif Central (Clermont-Limoges, Clermont-Aurillac, ….).
    Les arguments pour la POCL sont évidemment nombreux et fondamentaux. Mais quel contraste entre d’une part les médias et les élus (ils sont unanimement pour le POCL le plus vite possible, le plus souvent sans vraie argumentation) et d’autre part la quantité et la qualité de la documentation mise en ligne et des avis émis par le public sur le site ad hoc, et ce que disent tout bas beaucoup de clermontois. Ce contraste rappelle furieusement le référendum de 2005 …
    L’objectif principal du POCL étant de soulager la ligne Paris-Lyon, la stratégie des élus auvergnats pourrait être de se faire prier et de carrément faire du chantage : « Il faut, certes, investir massivement sur le chemin de fer dans le Massif Central. Le POCL pourquoi pas, mais seulement si vous nous faites d’abord des liaisons régionales correctes ».
    Si en plus on prenait en compte l’écologie (ce serait presqu’une première !…), on dirait : après Fukushima etc., réfléchissons un peu ; on veut des solutions modernes, c’est-à-dire peu polluantes et épargnant nos terres arables. On veut une amélioration importante de la liaison ferroviaire Clermont-Paris, mais on veut aussi – et d’abord – une amélioration importante des liaisons ferroviaires entre Clermont et les préfectures de région voisines (Clermont-Limoges en particulier : il y a un gros potentiel de développement des synergies entre ces deux capitales de région), plutôt désastreuses actuellement, mais dont la qualité est importante pour l’avenir économique du Massif central et de ses départements.
    Nicolas Merlin

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