Béarn : Et si la Gauche était morte le 29 mai 2005 ?
Le troisième remaniement gouvernemental du quinquennat de François Hollande marquera à jamais l’histoire de la cinquième République. Tant dans le fond que dans la forme, rarement pouvoir n’a donné une telle image d’impuissance dans notre histoire politique moderne, rarement classe politique n’a semblé aussi éloignée des urgences de la nation, et surtout, jamais la Gauche n’a semblé autant incapable de se rassembler pour œuvrer ensemble dans l’intérêt collectif, et il est même légitime de se poser la question de l’existence de la Gauche gouvernementale en France.
La Gauche française n’est-elle pas morte le 29 mai 2005 ? Le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen a mis en évidence les clivages, voire les fractures de cet espace politique hétéroclite certes, marqué historiquement et culturellement par un appel incessant au débat, mais qui savait se retrouver le temps de la gouvernance, le temps de réformes, le temps de l’action au service du pays.
Pour des raisons parfois idéologiques, parfois tactiques, une frange de la Gauche a transformé la question des institutions et de la construction de l’Europe-Etat en un défouloir anti-mondialisation et anti-libéralisme. Le libéralisme et la violence du capitalisme financier ne sont pas morts le 29 mai 2005 au soir. Bien au contraire. Ils en sont sortis vainqueurs. L’ébauche d’une gouvernance politique, sociale et économique commune enterrée, la finance n’a eu de cesse de se nourrir des égoïsmes pour contraindre les États et les Hommes.
La conséquence politique immédiate du vote du 29 mai fut un schisme au sein du Parti Socialiste et au sein des Verts, entre les militants du oui et ceux du non. Deux camps quasi-irréconciliables. Avec le oui et le non, ce furent deux visions de l’Europe incompatibles qui s’exprimaient, une vision supranationale et une vision nationaliste. Ce furent également deux conceptions de l’exercice du pouvoir qui s’opposaient : Gauche sociale-démocrate compatible avec une économie libérale globalisée, face à une Gauche de la Gauche désormais déterminée, sure de son poids électoral et qui a su surfer sur les vagues des crises et des scandales qui secouent l’économie mondiale depuis 2008, sur celles de l’immoralité du capitalisme et des capitalistes.
Le puzzle de la Gauche impossible à rassembler, le 29 mai 2005 a fait place en 2007 à la gouvernance de Nicolas Sarkozy et à l’expression d’une droite décomplexée face aux questions sociales. La présidentielle de 2012 fut davantage la défaite du sortant et le rejet d’une certaine pratique du pouvoir que la victoire d’une idéologie et d’un projet de société cohérent. En deux ans, deux Premiers Ministres et à ce jour quatre gouvernements différents, la Gauche au pouvoir n’a semble-t-il pas encore choisi son cap, sa feuille de route. Certains observateurs pointaient dès le 7 mai 2012 les incompatibilités entre les sensibilités qui formaient la majorité présidentielle. Les interrogations étaient légitimes.
La Parti Socialiste a une grande responsabilité dans l’état des lieux dressé précédemment : sa pratique hégémonique du pouvoir, sa propension à ne considérer les autres forces politiques de Gauche que comme des supplétifs ou des concurrents dérangeants l’a isolé, éloigné de la base électorale, des écologistes et de la Gauche radicale, rendant les accords et rassemblements de plus en plus souvent impossibles. Plus grave encore, en son sein même, le parti n’a jamais cessé d’être un agglomérat d’officines au service d’intérêts personnels. Des clans rassemblés autours de leurs chefs, et l’épisode Montebourg est le point d’orgue de ce concert des égos.
Les écologistes ont leur part de responsabilité également : la tactique électoraliste et les intérêts de quelques leaders semblent occuper davantage d’espace dans leurs débats que l’urgence de sauver la planète.
L’extrême Gauche a clairement fixé son cap : ne pas partager la responsabilité du pouvoir à grande échelle, mais rester cependant l’allié historique et fidèle du PS, enlisée dans une dénonciation stérile des injustices, un rejet de la construction européenne et un certain déni des réalités économiques. L’extrême Gauche chasse sur les mêmes terres électorales que le FN, les terres du rejet d’un destin commun universel, et sans proposer de projet crédible qui aurait la moindre chance de triompher.
L’épisode du remaniement a également permis de mettre en exergue des comportements de politiciens indécents. Il fut un temps où servir l’intérêt du pays était la vocation affichée et certains députés devaient rester des heures près de leur téléphone espérant être appelé, être élu. On a pu mesurer au fil des tweets et des dépêches d’agences la difficulté qu’eurent François Hollande et Manuel Valls à constituer une équipe de 16 ministres et 17 secrétaires d’État le 26 août 2014. Au sein même de leur propre parti des refus ont été exprimés publiquement. La plupart pour des raisons de stratégie interne, de conquête, de pouvoir.
Le « Non » des écologistes est lui aussi dicté par des intérêts boutiquiers. Le « Oui » du PRG serait presque anecdotique si son Président n’avait pas rendu public les tenants du deal avec le Premier Ministre : ne pas toucher aux cantons et aux fonds de commerces juteux que sont les Conseils Généraux.
A l’heure où le monde change, où l’avenir exige un effort collectif pour construire un projet de société nouveau, tenant compte de l’évolution du monde, de la démographie, de la rareté des ressources naturelles, à l’heure où il faut fonder une nouvelle économie, inventer un nouveau modèle social, au moment de ce chapitre de l’histoire de l’humanité où l’urgence devrait à elle seule mobiliser les énergies, les envies de changer le monde, la gauche française préfère régler ses comptes entre elle, attendre l’échec des uns ou des autres.
Le Gouvernement saura-t-il trouver au cours des trois prochaines années des réponses aux nombreux défis qui se présentent à lui ? Quelle sera la suite électorale de cet épisode inédit de notre République ? Une force de Gauche sera-t-elle encore en mesure de proposer un projet de société crédible et cohérent aux français au-delà de 2017 ?
Yves Freyssinier & Eurydice Bled
Porte-paroles d’EELV Béarn