Réponse d’Eva Joly au questionnaire de France Alzheimer
Madame,
Nous partageons tout à fait les préoccupations dont vous faites état concernant la maladie d’Alzheimer. Sa fréquence et l’importance des prises en charge qu’elle entraîne en fait un enjeu national majeur dans le domaine de la protection sociale.
La grande réforme qui a été promise n’a aujourd’hui pas vu le jour et ce sera assurément une des tâches urgentes du nouveau gouvernement qui sortira des élections de mettre en place cette réforme.
Pour notre part, nous sommes très attachés à l’esprit de solidarité qui a prévalu jusqu’à présent dans notre pays dans l’organisation de la protection sociale et nous proposons d’organiser une prise en charge coordonnée et unifiée entre les différentes institutions concernées dans le cadre d’un 5ème droit social de la Sécurité Sociale.
Nous sommes tout à faits disposés à vous rencontrer pour vous écouter plus en détail et échanger sur les grandes questions que pose cette maladie et sa prise en charge.
Concernant vos questions plus précises :
Question n° 1
Oui, il est nécessaire de relancer un plan Alzheimer. Mais les besoins dans ce domaine sont pérennes et ne seront pas traités simplement par des plans successifs. Il est aujourd’hui nécessaire de mettre en place une vraie politique concernant la prise en charge des personnes âgées dépendantes et en particulier de la maladie d’Alzheimer.
Sont à développer :
– le soutien aux aidants familiaux à domicile
– la professionnalisation des aidants professionnels, par une réelle formation et un statut adapté.
– les places en EHPAD, de préférence dans le cadre du service public ou de l’économie privée à but non lucratif. A notre sens, ce secteur est à développer dans le cadre de l’Economie Sociale et Solidaire, c’est-à-dire à but non lucratif et associant les usagers à la gestion. Sont aussi à promouvoir les formules de soins dynamiques mobilisant toutes les capacités d’autonomie de la personne.
– mais aussi une véritable politique de prévention par des ateliers adaptés, par exemple des ateliers mémoire, et des actions favorisant l’insertion communautaire le plus longtemps possible.
Nous développons un projet de politique de santé globale dans lequel l’accès aux soins serait assuré dans des Maisons de Santé et de l’Autonomie à créer sur tout le territoire, à raison d’une pour environ 10 000 habitants et comportant un service d’Education pour la Santé et de Santé Environnementale.
Le financement de la prise en charge de la dépendance nécessitera des financements nouveaux que les commissions d’experts ont chiffré autour de 8 milliards d’Euros dans les 20 ans qui viennent. Ces chiffres ne sont pas du tout hors de portée si on les rapporte en pourcentage du PIB.
Pour nous le financement de la perte d’autonomie doit rester du ressort de la solidarité nationale et être inclus dans une grande réforme fiscale basée sur la progressivité en fonction des revenus et portant sur l’ensemble des revenus. C’est pourquoi nous proposons une fusion de l’Impôt sur le Revenu et de la CSG incluant le budget de la santé.
Question n° 2
Les dispositifs de soutien et de répit jouent un rôle très important dans une politique de prise en charge de la maladie d’Alzheimer et ils permettent en particulier de rendre possible le choix de rester à domicile le plus longtemps possible, dans son cadre habituel, ce qui est le plus souvent le souhait des personnes concernées et de leur famille. C’est pourquoi ces dispositifs sont à inclure dans le financement nécessaire.
Question n° 3
Il faut sûrement des unités spécialisées adaptées à la maladie d’Alzheimer, avec des personnels formés spécifiquement à la prise en charge de cette maladie. La question est de mettre réellement en place ces unités avec une dynamique de soins. Le fait de spécialiser l’ensemble de l’établissement ne représente pas à nos yeux une garantie de formation des personnels, d’adaptation des locaux ni d’impulsion dynamique dans la relation de soin
Question n°4
Il est clair que l’action médicamenteuse dans la maladie d’Alzheimer est très limitée voire inefficace. Dans ces conditions, comme dans d’autres secteurs de la thérapeutique, un nouveau médicament ne devrait être mis sur le marché que s’il apporte un service nouveau par rapports aux médicaments existants. Ce n’est pas toujours le cas et le problème est général. Il implique une réforme sérieuse des commissions d’expertise pour les dégager de l’influence démesurée de l’industrie pharmaceutique et refuser systématiquement les conflits d’intérêts. Nous proposons de plus d’interdire les visiteurs médicaux de l’industrie pharmaceutique auprès des médecins et de diminuer les budgets publicitaires car l’argent public, puisqu’il s’agit des financements de l’Assurance Maladie sert aujourd’hui à la promotion d’intérêts privés. Il est donc possible de diminuer d’autant le prix des médicaments pour créer un service public d’information médicale sur les médicaments. Cette politique peut permettre de dégager des budgets importants et de rééquilibrer avec les soins relationnels actuellement peu ou pas pris en charge
Question n° 5
L’investissement des aidants familiaux est un service rendu à la personne malade comme à la société. Reste à différencier la solidarité intrafamiliale, liée aux relations affectives bien naturelles, du travail bien spécifique de la prise en charge de la dépendance. Ce dernier est à prendre en charge par la solidarité nationale et est à confier à des professionnels qui permettent aux aidants familiaux de jouer leur rôle, mais qui doivent être soulagés des soins spécifiques liés à la maladie. Dans le cas où des aidants familiaux cessent ou réduisent leur activité professionnelle pour s’engager auprès d’une personne en perte d’autonomie, nous sommes bien sûr favorables à la valorisation des trimestres comptant pour leur retraite.
Question n° 6
Nous nous engageons bien sûr à pérenniser les moyens de formation pour les aidants familiaux par les structures compétentes dans ce domaine.
Question n° 7
Nous sommes favorables à la création d’un 5ème droit social perte d’autonomie, à côté de la maladie, la famille, la vieillesse , les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ce droit social devrait permettre de coordonner les dispositifs et les financements existants. Pour ce faire, il ne nous semble pas pertinent de créer une 5ème branche de la Sécurité Sociale, car cela rajouterait une institution supplémentaire dans un domaine ou les structures chargées de la gestion sont déjà trop nombreuses. Il s’agit au contraire d’organiser la coopération et la mutualisation des services existants.
Dans ce cadre, les dépenses concernant spécifiquement les soins sont à imputer à l’Assurance Maladie ; il est clair que l’intervention des psychologues en fait partie.
Concernant le tarif des EHPAD, nous pensons que la très grande disparité actuelle des tarifs n’est pas acceptable. Ceci d’autant plus qu’il existe des sites où les prises en charge sont de grande qualité pour un tarif beaucoup plus raisonnable que dans certains autres établissements. Dans l’économie à but non lucratif, il existe des établissements de qualité à un prix de journée à partir de 1600 euros par mois. Dans ces conditions, comment accepter que des établissements atteignent plus de 5000 euros par mois ? Il est nécessaire de faire baisser le reste à charge des usagers en menant une étude approfondie du rapport qualité / prix des établissements. Il est logique de ne laisser à la charge des usagers que le coût de l’hébergement et de la restauration, mais à condition que les coûts à la charge de la collectivité soient maîtrisés.
Question n° 8
Comme indiqué ci-dessus, nous sommes très favorables à une diminution du reste à charge des usagers, mais là encore, mais à condition que les coûts à la charge de la collectivité soient maîtrisés.
Il est pertinent de faire le point sur la grille AGGIR et de le faire en concertation entre les professionnels, les financeurs et les associations concernées.
Les dépenses d’aménagement indispensables du logement pourront être prises en charge par la collectivité, mais avec un plafond de dépenses et un plafond de ressources des usagers concernés.
Question n° 9
Nous proposons de mener une réforme du financement de la perte d’autonomie qui prenne en charge à 100 % sur la solidarité nationale les dépenses socialisées. Nous refusons l’intervention du secteur des assurance privées, tout d’abord parce qu’il ne nous semble pas acceptable sur le plan éthique que la prise en charge de la perte d’autonomie devienne un marché financier, mais aussi pour des raisons budgétaires, car on sait bien que si on laisse la liberté aux citoyens de choisir entre le secteur public et le privé à but lucratif, ceux qui cotisent dans le secteur privé lucratif sont les plus aisés et, si seuls les plus pauvres sont à la charge du secteur public, ce n’est plus vraiment une politique de solidarité.
Question n° 10
Concernant les ressources, nous nous opposons au recours sur succession des bénéficiaires de l’APA d’une part parce que ce type de dispositif incite à retarder les recours aux soins, même quand ils sont nécessaires et, d’autre part, parce que les familles sont déjà pénalisées moralement et matériellement par la perte d’autonomie d’un proche et n’ont pas à l’être une deuxième fois, sur le plan financier.
Il est en revanche tout à fait à envisager d’instaurer une nouvelle taxe sur l’ensemble des successions pour financer la perte d’autonomie.
Enfin, comme indiqué au début, nous proposons que le financement par la solidarité nationale repose bien sûr sur l’ensemble des revenus, et pas seulement sur les salaires.
Dans l’attente de vous rencontrer, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de nos salutations les meilleures.
Eva Joly, candidate à l’élection présidentielle
Jean-Luc Véret, Président de la commission Santé d’Europe Ecologie – Les Verts