La bataille de la décentralisation énergétique ne fait que commencer
Peggy Kançal, conseillère régionale d’Aquitaine déléguée au plan climat pour Europe Ecologie – Les Verts, souligne le malaise que provoque le désir de certaines régions à vouloir sortir du nucléaire. Selon elle, ces initiatives «dérangent» le ministère de l’écologie, car «le choix d’une autonomie locale au moyen d’énergies renouvelables rompt en effet complètement avec notre système énergétique national en place».
L’engagement de plusieurs régions, notamment de la Région Aquitaine qui s’est prononcée à la majorité, en séance plénière du 27 juin, en faveur d’un processus de sortie du nucléaire dérange la ministre de l’écologie.
Un malaise tel qu’une circulaire rappelle expressément que les travaux en cours (schémas régionaux climat-air-énergie) «ne doivent pas constituer de prises de position sur la politique énergétique globale», ajoutant que «des motions générales en faveur de la sortie ou du maintien du nucléaire, ou d’appui général aux énergies renouvelables, ne sont pas appropriées dans le cadre de cet exercice».
Comment éluder, d’un coup de circulaire, une question aussi cruciale que le devenir de nos centrales, ou minorer la nécessité de soutenir les filières solaire et éolienne, rudement éprouvées par les différentes directives gouvernementales ? Comment croire que les éléments-clés du débat sur notre avenir énergétique doivent rester confinés entre les quatre murs d’un cabinet ministériel ?
Pendant plus de trente ans, l’Etat nous a imposé le choix du tout-nucléaire, et, alors que la France devient de plus en plus isolée dans ce positionnement devenu obsolète, la ministre ferme le débat tout net. Les démarches de planification énergétique régionale seraient pourtant une occasion de poser les vrais enjeux de la substitution progressive du pétrole et du nucléaire par les énergies renouvelables, à une échelle pertinente.
Derrière cette fin de non recevoir exprimée au sommet de l’Etat, on peut deviner en filigrane une volonté du pouvoir central de casser tout embryon d’autonomie énergétique susceptible d’émerger au sein des territoires… Le choix d’une autonomie locale au moyen d’énergies renouvelables rompt en effet complètement avec notre système énergétique national en place. Lorsque l’on observe des communes en autonomie énergétique en Allemagne et en Autriche, des traits de développement communs montrent à quel point un système énergétique local bouge les lignes des institutions.
D’un point de vue politique, il est intéressant d’observer que ces projets d’autonomie sont principalement initiés portés par les habitants, et rarement par les élus ; la production d’énergie y est souvent gérée sous forme de coopératives. Aucun de ces projets n’a de caractère «partisan», mais au-delà, il s’agit d’une nouvelle répartition des pouvoirs qui voit le jour: entre habitants et élus, entre commune et région, voire à l’échelle nationale. Les territoires découvrent alors une plus grande liberté politique: en France, le réseau « Territoires à énergie positive », qui fédère des territoires ruraux autour de politiques énergétiques vertueuses, est né en juin dernier et participe pleinement de ce mouvement.
Cette autonomie a également une dimension économique. L’énergie est produite et consommée localement, ce qui permet une réflexion sur l’acte de consommation, et de nouvelles ressources financières. Les habitants s’affranchissent des monopoles énergétiques et ont la liberté de fixer le prix de l’énergie, qui devient moins chère. Cette localisation de l’énergie crée des emplois (plus de 1000 emplois en 10 ans dans une ville allemande de 4000 habitants) et d’en conserver d’autres (maintien des commerces locaux, des associations, des services publics…).
Au final, l’autonomie énergétique des territoires crée du lien social à l’intérieur des communes, et autour, à travers des partenariats, des jumelages, etc. C’est ainsi toute une dynamique locale qui se met en œuvre, dépassant largement l’aspect technique de l’énergie. Si le système énergétique peut être considéré comme un «fait social total», selon l’expression de Marcel Mauss, c’est parce qu’à travers lui, s’exprime un faisceau d’institutions, et c’est parce qu’un changement énergétique radical signifierait une modification de ces institutions, c’est-à-dire une société différente. La phrase de Cornélius Castoriadis, prononcée en 1980, «La crise de l’énergie n’a de sens comme crise, et n’est crise, que par rapport au modèle présent de société», exprime à quel point l’énergie doit être l’objet d’un débat et d’un choix démocratique.
Madame la ministre de l’écologie n’ignore certainement pas que la question du devenir des centrales ne peut pas être confisquée de cette manière par une circulaire. En cas d’incident ou d’accident sur l’un de nos 58 réacteurs, ce sont bien les habitants, nous, nos enfants, les acteurs locaux qui seront touchés de plein fouet, et mobilisés pour gérer la situation sanitaire. Puisqu’il s’agit bien de notre vie, de notre santé, de nos emplois etc., pas d’un anodin et banal « exercice » (selon les termes employés par Madame la ministre). Les citoyens, les acteurs associatifs et économiques comme les élus locaux sont bien légitimes pour s’exprimer et faire valoir leur opinion sur notre devenir énergétique en région ! Ouvrons le débat efficacement et honnêtement, au lieu de le fermer. A moins que l’esprit du Grenelle ne nous ait définitivement quitté…
La bataille de la décentralisation énergétique ne fait que commencer !
Peggy Kançal, conseillère régionale d’Aquitaine déléguée au plan climat, pour Europe Ecologie – Les Verts
Cette tribune a été publiée par Médiapart et est consultable ICI