« Eva Joly attaque la logique ultra-libérale » (Sud Ouest)

Face aux lecteurs de « Sud Ouest », Eva Joly a mis l’accent sur la nécessité de la justice sociale, sans se cantonner à l’écologie au sens strict.

Deux heures durant, Eva Joly a répondu aux questions de cinq de nos lecteurs hier après-midi au siège bordelais de notre journal. Morceaux choisis des propos de la candidate d’Europe Écologie-Les Verts :

  • L’écologie et son coût

Qui a aujourd’hui les moyens de se payer un véhicule électrique ?

« On n’est pas obligé de se doter d’un véhicule électrique dans le programme écologiste. Nous mettons surtout l’accent sur les transports en commun, ce qui correspond à un vrai choix de société. Nous voyons bien que les changements climatiques s’imposent à nous. Le département de la Gironde est aujourd’hui victime de sécheresse. Les agriculteurs se mettent à arroser dès le mois de mars.

La France a souscrit à des engagements qui consistent à réduire de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Nous, écologistes, prônons 40 %. Ceci ne pourra pas s’accomplir à habitudes constantes. Il va par exemple falloir arrêter l’étalement urbain qui entraîne souvent l’usage de deux voitures par foyer. Ce qui pose un problème grave en termes de pouvoir d’achat quand le prix de l’essence approche 2 euros le litre. Je veux revenir à une forme d’habitat plus concentrée, l’idéal étant d’habiter près de là où l’on travaille. Dans cette optique, les voitures électriques ne sont pas la solution. Il faut d’abord des voitures plus légères, qui roulent moins vite et qui consomment beaucoup moins. Et il faut se déplacer moins. Savez-vous que, pour moitié, les déplacements en voiture sont des trajets de moins de 2 kilomètres ? Soit dix minutes à pied ?

L’écologie n’est pas pour les riches, et c’est bien pour cela que nous portons un projet de société global, avec une autre répartition des richesses. Elle est aujourd’hui révoltante. Quand on sait que Maurice Lévy, le patron de Publicis, va toucher un bonus de 16,3 millions d’euros, il y a quelque chose d’insupportable. »

  • Transformer l’énergie

Comment mener à bien la transition énergétique ?

« J’instaure une taxe carbone sur les carburants fossiles et sur le nucléaire pour stimuler la conversion énergétique vers les renouvelables. Nous avons grandi avec l’idée que le nucléaire est une énergie fantastique, presque gratuite et sans risques. Trente ans après, nous savons dans quel monde nous vivons. Il y a eu trois accidents nucléaires majeurs, Fukushima a contaminé pour des centaines d’années une superficie grande comme trois fois la Corse.

Pour les Girondins, c’est un sujet bien connu. Vous avez failli connaître un accident aussi grave à la centrale du Blayais lors de la tempête de 1999. Vous devez à deux hasards de l’avoir évité : parce que le vent ne s’engouffrait pas directement dans l’estuaire, et parce que tout le personnel était sur le pont en prévision du bug de l’an 2000. Quel serait le coût de Fukushima dans le Blayais ? Je ne veux pas prendre le risque d’une France qui deviendrait insolvable. Et je ne veux pas non plus avoir à gérer l’évacuation d’une ville de 1 million d’habitants, on ne sait pas faire. »

  • Joly et Mélenchon

En quoi Jean-Luc Mélenchon serait moins légitime que vous pour parler d’écologie ?

« Parler d’écologie est toujours très louable, mais il convient de mettre en cohérence ses idées écologistes et son programme, de penser à la biodiversité et à la santé. Jean-Luc Mélenchon se prononce pour les grands travaux, pour la LGV (ligne ferroviaire à grande vitesse). Le Parti communiste, qu’il représente, est toujours pronucléaire. Si Mélenchon propose un référendum sur le nucléaire, c’est qu’il ne peut vraiment pas faire autrement ! Il reste un productiviste qui va pêcher les voix des écologistes. C’est vrai qu’il se fait mieux entendre que moi… »

  • Le service public

Le président Sarkozy a évoqué la prise en charge de la dépendance des personnes âgées avant de faire machine arrière. Que proposez-vous ?

« Comme pour la santé, la maternité et la retraite, nous voulons un régime public. Nous financerons par la solidarité nationale la prise en charge de la dépendance, ainsi que l’augmentation de 10 % par an des minima sociaux. Le coût est de l’ordre de 8 milliards d’euros par an. C’est ce que nous a coûté la déroute de Dexia. Les derniers cadeaux sur l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ont coûté 2 milliards d’euros. La réduction du taux de TVA sur la restauration, 3 milliards par an. L’exonération des charges sociales sur le temps partiel, 4 milliards par an qui profitent à Carrefour et à Auchan et qui créent de la précarité.

Les ressources existent, tout dépend des arbitrages politiques pour leur usage. Je veux revenir à la fiscalité du patrimoine telle qu’elle existait en 2000, avant tous les allégements. Je lève de nouveaux impôts, je finance la protection des services publics, je recrute pour revenir à une école de qualité. Il faut sortir de la logique ultra-libérale selon laquelle les services publics sont des charges. Ils sont l’essence même de la France, il faut mettre les moyens pour les protéger. »

  • Préserver l’hôpital

L’accès aux soins devient de plus en plus difficile. Comment y remédier ?

« On peut vivre avec peu de moyens si on est assuré d’avoir des écoles de qualité, de pouvoir faire déjeuner ses enfants à la cantine, de bénéficier de la gratuité pour les premiers litres d’eau par jour et d’un tarif modique pour les premiers kilowattheures. Et de se faire soigner gratuitement.

Or, on se dirige vers un système libéral où il faut payer pour s’offrir un spécialiste, où certains médecins gagnent des salaires invraisemblables par le biais de services privés à l’intérieur des hôpitaux publics. Je veux au contraire revaloriser la situation de tous ceux qui font tourner l’hôpital, les infirmières et les gens invisibles dont on ne reconnaît pas l’importance. Je préserverai l’hôpital en ayant le courage de lever des impôts et j’interdirai le secteur privé dans les murs de l’hôpital. »

Et sur le dépassement d’honoraires ?

« En ville, il est difficile de revenir complètement dessus mais on peut encadrer. On peut demander à un médecin de secteur 2 d’avoir 30 % de sa clientèle en secteur 1. On peut imposer sur chaque acte un plafond à 2,5 fois le tarif opposable, par exemple. »

  • Sur la justice

On condamne à de la prison ferme pour des vols sans gravité alors que des chauffards ne prennent que des peines légères. Qu’en pensez-vous ?

« Vous soulevez un problème très vrai, qui est l’inégalité de traitement entre les délinquants. Je n’ai jamais arrêté de le dénoncer. Ce ne sont pas les lois sur la délinquance qui vont améliorer la situation puisqu’un récidiviste qui vole va mécaniquement prendre un an de prison. Quand j’ai commencé ma carrière de substitut, il y avait 12 000 victimes de la route par an, il y a une amélioration. Mais on continue à se sentir puissant au volant de son véhicule, on n’est pas conscient des dommages que l’on cause. Dans le projet de civilisation que nous portons, le rapport à la bagnole n’existe pratiquement plus. La génération qui vient va rêver de vélos magnifiques ! »

  • La tuerie de Toulouse

Pourquoi avez-vous critiqué Claude Guéant sur son attitude lors de la tuerie de Toulouse ?

« La séparation des pouvoirs est un grand principe. Un régime dans lequel un ministre aurait le droit de procéder à une arrestation serait une dictature. On reviendrait aux lettres de cachet de l’Ancien Régime, quand on envoyait les gens à la Bastille. Arrêtons-nous sur la procédure : quand des meurtres sont commis, comme à Toulouse, la police enquête sous la direction d’officiers de police judiciaire qui rendent compte au procureur de la République. Il n’y a pas là une prise d’otages dans un aéroport ou une révolte dans une prison, c’est-à-dire un trouble à l’ordre public, qui nécessite l’intervention du préfet et du ministre. Mohamed Merah est seul assiégé dans son appartement, nous nous situons pleinement dans la compétence judiciaire. Procéder à l’arrestation de Merah est dès lors un acte de police judiciaire. Dans ce cadre, le Raid est un outil à la disposition du procureur de la République.

Avant la mort de Merah, je n’ai pas dit un mot. Mais, après l’issue de cette affaire, j’ai dénoncé la confusion des rôles et la mise en scène. Les citoyens non avertis avaient l’impression que Claude Guéant et Nicolas Sarkozy menaient l’enquête. Ou que Claude Guéant commandait le Raid, ce pour quoi il n’est pas compétent.

Je sais de quoi je parle, j’ai été longtemps substitut du procureur de la République à Orléans et à Évry. Dans cette deuxième affectation, j’ai été amenée à appeler le Raid à cause d’un forcené. Je n’ai donc pas été qu’un juge financier, comme on voudrait le faire croire. Mais, dans le cadre de cette campagne, je ne peux que constater que le « joly-bashing » (NDLR : la critique systématique) a été un sport très pratiqué. »

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