Osons revendiquer des droits pour nos Régions
« Lors de son passage en Bretagne, nous avons aimé, comme vous, chanter le Bro goz ma zadou avec le 1er ministre gallois – la main sur le cœur et l’oeil humide – en lorgnant avec jalousie sur le budget de son institution, 5 fois le nôtre, et qui possède en plus un pouvoir réglementaire et législatif. Sortons du symbole et de l’émotion pour la raison : réclamons plus de droit comme l’on fait les gallois. Car c’est de ça dont nous avons besoin en Bretagne. Le droit d’être nous. Enfin. »
Retrouvez l’intégralité de l’intervention de Yannik Bigouin, au nom d’EELV, à propos du projet de loi de décentralisation.
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J’ai été très surpris en découvrant le bordereau de contribution au débat national sur le nouvel acte de décentralisation.
D’abord parce que nous avons participé et co-animé avec vous les groupes de travail compétences, expérimentations et finances qui ont traité le sujet de la décentralisation. J’ai vu la richesse des propositions produites, le travail rapide, efficace, fournis souvent dans l’urgence par les services. J’ai vu la passion, l’enthousiasme, le désir de bien faire. Chacun mesurant l’enjeu. J’ai senti combien pour beaucoup d’entre nous le rapport à la Bretagne n’est pas un rapport à la Région Bretagne mais bien à un bout du monde spécifique, une presqu’île du continent indo-européen, une péninsule à la destinée originale. Pour la majorité d’entre nous écrire une nouvelle vision pour la Bretagne, c’est écrire une part de soi qu’on donne pour ce pays.
Aussi, nous pensions trouver dans ce document le résultat de cette phosphorescence collective avec de la matière, de l’élan, une vision. Quel désenchantement ! Ce document n’est pas fidèle à nos travaux.
Nous pensions par exemple, que l’expérimentation dans le domaine linguistique serait une proposition forte pour ne pas dire majeure de ce document. Nous avons beaucoup apprécié le travail pertinent de Mme la Vice-Présidente aux langues de Bretagne, Léna Louarn, à ce sujet mais nous n’avons rien retrouvé de ces propositions dans le texte. Ce qu’on nous présente aujourd’hui est moins bon que ce que nous avions voté dans notre politique linguistique en mars dernier.
Le minimum aurait été de reprendre ce document et de travailler en particulier :
– une vraie télévision publique régionale alors que France Télévision est clairement ouverte à des propositions de collaboration. Ainsi l’inter-syndicale et l’ensemble des salariés de France 3 Bretagne souhaitent de manière consensuelle une vraie régionalisation de leur chaîne avec les moyens des émissions de prestige ramenés en région. C’est l’occasion unique d’inverser le modèle de France 3. Ne ratons pas le coche.
– un pouvoir normatif sur notre territoire, ce qui implique de pouvoir créer un ou des droits et une ou des obligations opposables y compris envers les autres niveaux de collectivités et les services déconcentrés de l’Etat par dérogation de droit commun. Il s’agit d’exercer au besoin une autorité fonctionnelle sur les collectivités infra-régionales et les services publics de l’Etat pour la mise en place d’un schéma de développement des langues,
– un vrai schéma régional pour la langue bretonne qui doit pouvoir assumer la responsabilité de l’établissement d’un schéma d’implantation de sites bilingues publics et privés à tous les niveaux, fixer les seuils permettant l’ouverture de classes bilingues et garantir l’accueil des enfants de deux ans dans les classes bilingues,
– la garantie prescriptive que les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur publics et privés à tous les niveaux puissent proposer l’accès à la langue bretonne par la carte scolaire de l’enseignement bilingue,
– que l’avis de la région soit obligatoirement recueilli par l’Etat dans la détermination annuelle du nombre de postes ouverts aux concours de recrutement des enseignants bilingues,
– que la région puisse garantir le droit des établissements Diwan à bénéficier de contrats d’association avec l’Etat dès leur création et non pas attendre 5 ans,
– que l’Etat puisse apporter des moyens supplémentaires en particulier dans les domaines de l’enseignement, des médias et autres services publics.
Qu’avons-nous à la place pour les langues de Bretagne? La coordination d’un schéma de développement des langues de Bretagne et la coordination des pouvoirs publics en ce domaine.
Chers collègues, Monsieur le Président, je vous le dis solennellement : soyons à la hauteur des enjeux, ne jouons pas petits bras, ne nous auto-censurons pas, osons… Comme nous le demandent d’ailleurs notre collègue Marylise Le Branchu, et surtout les Bretons eux-mêmes. D’ailleurs, je vais vous citer l’un d’entre eux : « Il faut construire un projet de développement global qui permette aux régions de devenir des autorités organisatrices, des espaces de cohérence pleinement responsables du développement économique, de l’emploi, de la formation, de la recherche, de l’enseignement supérieur… Elles doivent avoir un pouvoir réglementaire délégué et surtout le pouvoir de prescrire. On ne peut plus se contenter de rédiger des schémas, il faut leur donner un pouvoir prescriptif ». Fin de citation. De qui est ce texte volontariste d’après vous ? De Jean-Yves Le Drian dans le journal les Echos il y a 9 mois, en mars de cette année.
Alors osons demander plus encore pour prendre en main, demain, les destins de notre région avec de nouvelles compétences, de nouvelles expérimentations, une autonomie fiscale.
Vous vous inquiétiez hier, M Le Président, de savoir si la « loi aurait la portée escomptée » compte tenu du « conservatisme de certains corps de l’état » et qu’il vous fallait « respecter les engagements pris ». Dont acte. Respectez les engagements de votre prédécesseur que je viens de citer.
Nous craignons la compilation de réponses à d’associations d’élus avec un enchevêtrement des compétences. Le lobbying des départements, des grandes écoles, des maires ou de je ne sais qui ne doit pas barrer la route de nos collègues élus au gouvernement que je crois sincères et foncièrement régionalistes puisqu’ils l’ont tellement exprimé ici, dans cet hémicycle. J’ai envie de leur dire : osez taper du poing sur la table pour affirmer votre vision politique et votre volonté de changer la France.
Nous avons aimé, comme vous, chanter le Bro goz ma zadou avec le 1er ministre gallois – la main sur le cœur et l’oeil humide – en lorgnant avec jalousie sur le budget de son institution, 5 fois le nôtre, et qui possède en plus un pouvoir réglementaire et législatif. Sortons du symbole et de l’émotion pour la raison : réclamons plus de droit comme l’ont fait les gallois. Car c’est de ça dont nous avons besoin en Bretagne. Le droit d’être nous. Enfin.