La décentralisation : une réforme essentielle
« Nous sommes terriblement déçus par le projet de loi de décentralisation. Il est une somme de renoncements.
Si nous ne pouvons rien attendre de l’Etat, il faudra compter sur nous-mêmes pour rebattre les cartes en Bretagne.
Dans l’immédiat, nous devons concrétiser la création d’un service public audiovisuel bilingue. Sur le plus long terme, nous souhaitons travailler à la création d’une collectivité territoriale unique en Bretagne engageant la fusion des Départements et de la Région. Nous sommes prêts aussi à engager la transformation de notre Conseil en véritable Parlement régional, pour qu’enfin, comme nos voisins d’Europe, nous soyons dotés des moyens qui nous permettent d’engager un développement durable et solidaire de la Bretagne. »
Retrouvez, ci-dessous, l’intégralité de l’intervention de Yannik Bigouin pour EELV en session du Conseil régional de Bretagne consacrée à la décentralisation.
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Pour nous tous ici qui rêvons faire de la Bretagne une région qui puisse enfin parler d’égal à égal avec les landers allemands, les régions autonomes d’Espagne ou d’Italie. Pour nous tous ici qui souhaitons une Bretagne qui, face aux cousins gallois ou écossais, n’aurait plus à rougir de son budget, pas plus épais que celui d’une métropole européenne, cette journée aurait pu s’inscrire dans l’histoire de la Bretagne. Les élus du Conseil régional de Bretagne réunis en session extraordinaire pour demander unanimement des pouvoirs élargis et surtout devenir maîtres de leur destin, ça a de l’allure.
Ce jour aurait pu être historique car on nous l’avait promis ; le candidat François Hollande l’avait dit, l’acte III de la décentralisation poursuivant l’ambition de l’acte I de 1982 allait enfin mettre fin à l’exception centraliste française en Europe. Quelques semaines après, deux de nos collègues rejoignent Paris avec la responsabilité d’un ministère. On nous promet des lendemains qui chantent : une vraie décentralisation et aussi une loi cadre pour les langues régionales et la ratification de la charte européenne des langues minoritaires. On allait enfin voir ce qu’on allait voir !
Mais le prometteur discours du Président de la République au Sénat lors de l’ouverture des Etats Généraux de la Démocratie Territoriale a fait long feu et les fumées de nos maigres illusions se sont vite dissipées. Ce qui est tombé du camion de la réforme conduite par une Ministre de chez nous, nourrie au grain girondin, s’est avéré bien maigre. Les quelques avancées contenues dans les premiers textes ont vite été élaguées au fur et à mesure des assauts des grands lobbies centralisateurs. Mais quand même, nous n’aurions jamais imaginé que la version qui allait nous être livrée au final serait aussi fade.
Ce projet de loi décevant arrive de plus dans un contexte où de trop nombreux camouflets sont infligés à la Bretagne :
– contre-offensive des élus radicaux de gauche contre un aménagement de la loi qui aurait permis d’ouvrir la perspective de la réunification bretonne ;
– abandon par le Président de la république de l’espoir d’une modification constitutionnelle pour les langues régionales dans le cadre de la ratification de la charte européenne des langues minoritaires – promesse n° 56 du candidat Hollande, faut il le rappeler ;
– interdiction du livret de famille bilingue breton/français par la ministère de la justice qui, sans peur du ridicule, a évoqué une loi remontant à la Terreur pour justifier sa décision. Vraiment un hiver maussade s’est abattu sur les combats qui sont les nôtres et un plafond nuageux semble toujours vouloir boucher l’horizon.
Que dire d’un projet de loi qui, à vouloir ne fâcher personne, parvient à mécontenter tout le monde ! Si la démarche de la Région Bretagne de s’impliquer dans le débat de la régionalisation est bonne, nous ne pouvons que constater l’immense décalage entre les ambitions bretonnes que nous affichons aujourd’hui et cet avant-projet de loi dont on jurerait qu’il a été écrit par un technocrate parisien à cent lieues des préoccupations actuelles des territoires. Nos aspirations ont fondu comme neige au soleil, et certains éléments du texte de loi vont même à contre-sens du processus de régionalisation.
Je prendrai quelques exemples :
– Notre proposition bretonne est bâtie autour de l’idée d’expérimentation et de différenciation. Ces termes apparaissent quarante fois dans notre document. Ils ne figurent quasiment plus dans la dernière version du projet de loi…
– Nous réaffirmons notre volonté que les politiques régionales reposent sur une approche territoriale organisée autour des pays dit « Voynet ». La version 6 de l’avant projet de loi allait dans le même sens avec la création de pôles d’aménagement et de développement rural portant sur l’économie, l’environnement, la culture, le développement durable, l’aménagement. Ces pôles auraient permis un équilibre territorial face aux Métropoles urbaines à l’heure où les populations rurales et péri-urbaines se sentent, souvent à juste titre, délaissées par la puissance publique et tendent à se réfugier dans un vote extrémiste et sans avenir. Et puis plus rien, les pays ont disparu de la dernière version du projet de loi.
– Nous voulons des régions fortes, dotées d’un pouvoir normatif d’adaptation locale des lois nationales. Nous voulons que les schémas que nous votons, soient dotés d’un caractère prescriptif pour une meilleure organisation des compétences. Hormis en matière de développement économique, aucune avancée à ce sujet dans le projet de loi. La Région est bien identifiée comme chef de file sur certaines compétences, tel le transport, mais cela n’empêche pas les autres collectivités à continuer à agir sur ces domaines. Pourtant là aussi, le caractère prescriptif des schémas était inscrit dans la version 6 du projet de loi.
– Pire, alors que l’on nous promettait une réforme qui permette de clarifier le mille-feuille administratif français, le département qui, selon nous, aurait du disparaître est confirmé et s’ajoute un nouveau statut de métropoles, dotées de pouvoirs élargis qui, à n’en pas douter, empiéteront sur l’action des Régions.
Une partie du flou artistique engendré par la réforme a vocation à être résolu par la conférence territoriale de l’action publique, sorte de « sénat » local, réunissant les présidents des grandes collectivités locales et ce, en dépit de tous les principes qui doivent théoriquement régir une démocratie. Cette instance, qui organise une « gouvernance par arrangements », deviendra vite un champ clos de confrontations des pouvoirs et de petits marchandages entre amis. La diversité politique y sera absente et je ne parle même pas de la représentation citoyenne. Les décisions qui y seront prises le seront en toute opacité. La Région assurera la présidence de ce « B 36 », mais elle ne pourra rien y impulser tant elle se trouvera démunie, privée des outils nécessaires, pour s’imposer vis-à-vis de l’État et des autres collectivités locales. La recherche permanente de consensus amènera à des décisions prises au plus petit dénominateur commun. Nous dénonçons cette forme de gouvernance a-démocratique. Lorsqu’on organise l’opacité, comment se plaindre ensuite du désintérêt des citoyens pour la chose publique? D’ailleurs, il faut souligner la pauvreté du chapitre « démocratie » du projet de loi, réduit à l’évocation d’un droit de pétition. Ce n’est pas cela moderniser la politique! Ce n’est pas cela moderniser les institutions.
Ce projet de loi est une somme de renoncements. Et je prendrai pour illustrer mes propos un autre exemple qui nous est particulièrement cher, celui des langues régionales. Je n’en dirai qu’un mot : rien, il n’y a rien, tout juste une phrase y fait-elle référence. C’est inadmissible. Ne pas agir aujourd’hui, c’est signer la mort des langues régionales et minoritaires de France, presque toutes menacées d’extinction.
En résumé, nous demandons le transfert de nouvelles compétences, la loi n’en prévoit que très peu. Nous voulons « décentraliser la décentralisation », nous assistons à l’avènement d’une gouvernance par arrangement entre barons locaux et au renoncement de l’Etat à trancher la répartition des compétences entre territoires. Nous voulons une démocratie renouvelée, la loi organise l’opacité. Nous voulons une clarification administrative, la loi prévoit le maintien de l’ensemble des échelons territoriaux. Nous voulons un droit à l’expérimentation simplifié pour mieux tenir compte des spécificités territoriales, il ne figure pas dans le projet de loi. Nous voulons une plus grande autonomie fiscale, on nous annonce des coupes franches dans les dotations de l’Etat sans contrepartie. Nous voulons des régions fortes, on nous impose des métropoles fortes. Paris, Lyon, Marseille sont les grands gagnants d’un projet de loi taillé à leur image. En Bretagne, Rennes et Nantes pourront devenir métropoles, quel avenir pour Brest et l’ouest breton? Ah si, nous apprenons par la presse en début de semaine que la ville de Brest, selon notre collègue ministre, pourrait bénéficier d’un rattrapage pour l’accès au statut de métropole. Rappelons que Brest est au 30ème rang des agglomérations de France. Comment donner satisfaction à Brest sans dans le même temps généraliser le statut de métropole aux quinze autres agglomérations qui comptent entre 200 000 et 400 000 habitants ? Et puis surtout une question nous taraude : si des statuts particuliers sont possibles pour les grandes Paris, Lyon, Marseille et même Brest, pourquoi pas pour la Bretagne ?
Si nous sommes terriblement déçus de ce projet de loi, nous sommes heureux d’avoir participé à l’écriture du document breton que nous votons aujourd’hui. L’initiative du Conseil régional de Bretagne semble être unique dans l’hexagone. Mais après, que faire? François Hollande a annoncé qu’il faisait « confiance au Sénat » pour réécrire le projet et « y apporter tous les aménagements nécessaires ». Pas sûr, donc, qu’il en reste grand chose à la sortie.
Il y a une chose dont nous sommes sûrs : les Bretons et les Bretonnes ont pris toute leur part dans la victoire du Président François Hollande et aujourd’hui ils sont déconsidérés, malmenés, oubliés. Si nous ne pouvons rien attendre du pouvoir central, il va donc falloir compter sur nous-mêmes, sur notre imagination collective et notre capacité à inventer, malgré tout, des formules novatrices en utilisant au mieux les quelques espaces de liberté ouverts par cette loi et les réformes précédentes. Nous pouvons rebattre les cartes en Bretagne.
Dans l’immédiat, nous devons concrétiser la création d’un service public audiovisuel bilingue. Le contexte est favorable, il faut transformer l’essai. Sur le plus long terme, les possibilités introduites par la réforme de 2010 rendent possible une nouvelle organisation et pour notre part, nous souhaitons travailler à la création d’une collectivité territoriale unique en Bretagne. Car, à l’heure où l’Alsace, le Grand Paris, le Grand Lyon se dotent de statuts sur mesure pour renforcer leurs territoires, la Bretagne semble frappée d’immobilisme comme le souligne justement le politologue Romain Pasquier cette semaine dans la presse. Nous sommes prêts à travailler à une évolution institutionnelle permettant de faire fusionner les quatre conseils généraux et la Région. Dotée d’un budget de 6 ou 7 milliards d’euros, cette collectivité serait plus lisible pour les citoyens et plus efficace.
Nous sommes prêts à étudier les modalités de l’organisation d’un référendum en Bretagne pour faire acter cette nouvelle organisation et engager la transformation de notre Conseil en véritable Parlement régional, pour qu’enfin, comme nos voisins d’Europe, nous soyons dotés des moyens qui nous permettent d’engager un développement durable et solidaire de la Bretagne.