Le chantier institutionnel européen

par Gérard Onesta, ancien député européen, conseiller régional

 

 

« Aucun domino ne peut tomber, dès lors qu’il est solidement lié à tous les autres »
(proverbe perso d’un ancien eurodéputé qui a passé 10 ans en Commission des Affaires Institutionnelles 😉
POURQUOI AGIR ?
Il est impossible d’élaborer un projet politique cohérent au niveau national, sans l’inclure dans sa dimension européenne. En effet, dans une infinité de domaines (agriculture, monnaie, commerce extérieur, environnement, services, droit, transports, énergie, etc.) les décisions votées au niveau de l’Union influent fortement sur notre sphère décisionnelle domestique, quand elles ne la surdéterminent pas totalement. À l’Assemblée Nationale comme au Sénat, près des deux tiers des points à l’ordre du jour ne sont plus que des simples transpositions pour la France des décisions prisent à Bruxelles. Ne pas intégrer cette donnée clef dans le débat de 2012 serait une faute politique.
Certes l’Europe ne fait plus rêver. On a déjà oublié que l’Union a apporté la plus longue période de paix que notre continent ait connu en deux millénaires, ou encore a donné une dimension normative essentielle à la protection de l’environnement. Son projet généreux, raboté au quotidien par la logique mercantile d’un libéralisme dominant, est parfois devenu pour son demi milliard de citoyen(ne)s
synonyme de recul social ou démocratique. En d’autres termes, figée dans son fonctionnement complexe et bridée par bien des gouvernements nationaux (qui n’y voient qu’un appréciable guichet quand tout va bien, et un utile bouc émissaire quand tout va mal), l’Europe est devenue anxiogène.
L’accouchement au forceps d’un Traité obèse, autolimitant et confus – même s’il donne heureusement bien plus de poids au Parlement Européen au travers de la codécision législative – ne règle aucun
problème de fond de la (non) gouvernance démocratique européenne. Dans la tourmente de la crise protéiforme que traversent nos sociétés, les gouvernants constatent au jour le jour, mais sans rien faire, les effets désastreux d’un processus institutionnel européen inabouti.
Il est vrai que les soubresauts des débats institutionnels européens passés ont laissé un souvenir amer. Quelles que soient les positions que les un(e)s ou les autres ont pu y défendre : la « mal Europe »
est toujours là, et, que ce soit par inconséquence, fatalisme, égotisme ou lâcheté, les dirigeants des 27 n’osent plus y toucher. Il suffirait pourtant de repartir des évidentes conclusions de l’intense débat qui a accompagné feu le TCE (Traité Constitutionnel Européen), en s’appuyant sur les avancées indéniables que soutenaient les tenants du Oui, tout en intégrant les légitimes exigences de celles et ceux qui, tenants du Non, n’en étaient pas moins des européistes convaincu(e)s. Le prochain pas, s’il est franchi dans ce souci de respect mutuel et d’intelligence collective, permettra enfin le rassemblement d’une forte majorité pro européenne.
Alors qu’il n’est plus d’État qui ne craigne d’être entraîné dans la spirale de la Crise, faire preuve de courage politique en remettant en route le processus européen est aujourd’hui d’une impérieuse nécessité. Cette relance passe bien sûr par la redéfinition des politiques européennes, mais celles-ci ne pourront jamais voir le jour au travers du mécanisme européen autobloquant actuel.
La priorité est donc de changer la « règle du jeu », puisque c’est elle qui détermine le cours du jeu… Une nouvelle donne nommée fédéralisme.

 
AGIR SUR QUOI ?
L’Union Européenne, sans oser se l’avouer à elle-même, vit déjà au quotidien avec des pans entiers de fédéralisme (budget, justice, monnaie, défense, commerce…), mais le mot est encore souvent mal compris dans certains pays qui n’ont pas eu une vraie culture de décentralisation. Le fédéralisme européen n’est en rien un centralisme bruxellois. Au contraire, c’est un équilibre efficient entre deux notions indissociables que sont la solidarité (renforcement des liens entres les êtres et entre les territoires) et la subsidiarité (respect de la diversité des êtres et des territoires). C’est donc la logique d’un fédéralisme bien compris et assumé qui doit servir de trame à la rédaction des institutions nouvelles (1).
Simplifier, renforcer, légitimer
Avant toute chose, il faudra retirer du texte constitutionnel (par nature, rarement modifié) qui sortira du processus, tout ce qui a trait à la définition des politiques de l’Union pour n’y garder que les objectifs (en préambule) et les valeurs (Charte de Droits fondamentaux) ainsi que les compétences et les rouages (qui fait quoi et comment) (2). S’il est compréhensible que des politiques soit décrites dans un Traité inter étatique, leur « constitutionnalisation » serait une aberration intellectuelle doublée d’un diktat démocratique (il n’y a guère que la dictature soviétique qui ait osé le faire) car les citoyen(nes) d’Europe doivent obtenir le droit inaliénable de faire évoluer aisément et à tout moment – via les décisions de leurs institutions élues – le cadre des politiques qui déterminent leur quotidien. Par cette « décantation » on obtient un texte institutionnel comportant non plus des centaines, mais seulement quelques dizaines de pages.
Parmi les objectifs de l’Union, il faudra mettre en regard des « quatre libertés » issues du Traité de Rome et concernant la libre circulation « des marchandises, des personnes, des services et des capitaux » – et qui sont autant de prétextes de dérégulation sociale et environnementale – des objectifs tout aussi ambitieux en termes de défense et promotion des droits individuels et des biens communs (3).

Quelles seraient par ailleurs, pour chacun des organes institutionnels existants, les réformes urgentes et essentielles :
1 – Le législatif
En Démocratie, tout pouvoir procède du Peuple, c’est donc l’organe qui l’incarne le plus directement qui doit avoir la primauté dans l’édifice institutionnel. Le futur régime européen doit ainsi être clairement d’essence parlementaire (4).
Le Parlement européen qui représente les citoyen(ne)s doit voir ses pouvoirs renforcés par :
a – le droit de codécision généralisé à l’ensemble des politiques – notamment en ce qui concerne le droit de définir les recettes du budget européen – et que ce droit de codécision ne soit pas bridé en 2ème lecture par la difficulté à amender le texte (5) (en 2 ème lecture, les décisions doivent rester adoptées à la majorité simple avec un vote global final sur le texte ainsi amendé) ;
b – le droit d’initiative législative (6) (aujourd’hui laissé entre les mains de la seule Commission) quitte à ce que ce droit soit exercé non pas au travers d’un mécanisme de « niche parlementaire » pour chaque groupe politique, mais au travers d’une demande à la majorité qualifiée de l’ensemble de l’Assemblée ;
c – le pouvoir de renverser la Commission avec la même majorité qui a permis de lui accorder l’investiture, c’est-à-dire à la majorité simple (7), mais avec obligation alors de coupler ce vote de destitution avec l’élection concomitante d’un(e) nouveau(velle) Président(e) de la Commission (ainsi pas de vacance du pouvoir en vertu du principe de « censure constructive ») ;
d – le droit d’être saisi – au même titre que la Commission – au travers du droit d’interpellation citoyen (saisine par une pétition d’un million de signatures) pour une inscription directe d’un point à son ordre du jour ;
e – l’uniformisation complète du mode de scrutin pour son élection dans tous les États Membres, avec suppression de certains découpages en circonscriptions fantaisistes qui ne rapprochent en rien l’élu(e) de l’électeur(trice) mais augmentent le seuil d’éligibilité portant alors atteinte à la représentativité de l’assemblée et au « caractère globalement proportionnel » du scrutin (notion pourtant indiquée dans le texte actuellement en vigueur) ;
f – le renforcement de la vocation naturelle de la coalition parlementaire majoritaire à fournir le (la) chef de l’Exécutif par l’élection d’une partie significative de ses membres (au moins 10 %) sur liste transnationale présentée par les partis européens (8), liste dont la personne placée en tête serait candidate, pour sa famille politique, à la présidence de la Commission. Cette disposition, par la force du suffrage universel, est la seule à même de permettre la pleine entrée en pratique de l’article 9 D du Traité qui dit que le Conseil européen doit proposer au Parlement un(e) candidat(e) à la présidence de la Commission « en tenant compte des élections au Parlement européen ». Cette liste transnationale permettra en outre l’émergence de courants de pensées politiques enfin cohérents à l’échelle continentale.

Le Conseil de l’Union qui représente les États Membres doit voir sa légitimité clarifiée par :
a – la désignation, par le gouvernement de leur pays respectifs, de membres du Conseil dédiés à cette mission exclusive, bien identifiés par les citoyen(ne)s et siégeant à temps plein (9) (et non à temps très partiel comme c’est le cas actuellement, où ce sont des ministres trop occupés par leurs fonctions dans leur pays qui délèguent leur rôle de législateur continental à des fonctionnaires, certes chevronnés mais inconnus et qui n’ont jamais de comptes à rendre aux électeurs(trices)). De plus, cette disposition séparerait davantage le pouvoir législatif européen du pouvoir exécutif national.
b – l’évolution de la composition de ce Conseil en intégrant mieux la représentation des régions (pour les États qui leur ont dévolu des droits institutionnels), et même des Assemblées nationales (en remplacement de la COSAC – Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires – qui joue très mal son rôle aujourd’hui – ce qui accélèrerait certainement la transposition des directives en droit national). Cette évolution permettrait, à terme, l’émergence d’un véritable « Sénat européen » (10) partageant à parité avec le Parlement européen le pouvoir législatif, et intégrant de façon lisible la représentation légitime des territoires fédérés.
c – la réunion publique de toutes les sessions du Conseil (que celui-ci siège en formation « affaires générales » ou en formations sectorielles, et ce, quel qu’en soit le niveau).
d – la fin de la présidence tournante semestrielle qui nuit à la qualité du travail de cette instance.
Comme le Parlement, le Conseil doit élire pour la durée d’une demi-mandature un(e) Président(e) en charge d’organiser ses travaux et de présider le Conseil « affaires générales », et autant de président(e)s de « commissions » que le Conseil a de formations sectorielles (11).
2 – L’Exécutif Pour mettre un terme à la confusion savamment entretenue par la pratique institutionnelle actuelle, le seul et unique organe exécutif européen reconnu doit clairement être la Commission européenne. Le Conseil Européen (réunissant chef d’États et de Gouvernements) ne doit plus – en aucun cas – prétendre définir les grands axes de la politique de l’Union, mais revenir à son rôle initial, celui d’être (sous la conduite de son (sa) Présidente choisi(e) au travers de la procédure actuelle) une instance d’analyse et de prospective de très haut niveau (12). En effet, le mécanisme même de décision (unanime) au sein de ce Conseil européen ne fait émerger que le plus petit dénominateur commun, qui est forcément médiocre en termes de résultats politiques. Même si cet organe n’a formellement aucun droit dans le processus décisionnel, la caisse de résonnance médiatique de ces sommets des gouvernants nationaux est telle, qu’elle impose de fait ses (non) décisions aux institutions légitimes de l’Union (« les 27 ont décidé », affirme à tort la presse). Et l’on voit alors anéantis des mois de travaux autrement plus ambitieux, comme ce fut le cas lors des « Perspectives Financières », ou du « Paquet Énergie Climat » qui ont été vidés de toute substance par le « putsch médiatico institutionnel » du Conseil Européen. Les gouvernants devraient désormais intervenir dans le processus législatif uniquement via leurs représentant(e)s au Conseil de l’Union, instance où personne n’a le droit de veto (décisions à la majorité qualifiée), ce qui change absolument tout quant aux résultats des compromis qui en sortent.
La Commission européenne doit obtenir toute légitimité, pour cela il convient :
– a) de voir son (sa) Président(e) élu(e) par le Parlement Européen, certes sur proposition du Conseil Européen, mais obligatoirement choisi dans les rangs de la coalition parlementaire majoritaire issue
des urnes européennes (13). Ainsi les citoyen(ne)s choisiront non seulement leurs député(e)s européen(ne)s mais indiqueront aussi quelle personne doit présider la Commission. Un tel enjeu est
de nature à faire reculer l’abstention qu’ont connue les scrutins européens.
– b) de laisser le Président(e) de la Commission composer son Collège de Commissaires en respectant la parité Femme / Homme, mais sur la seule base des compétences et de la cohérence politique, sans obligation de nombre ou considération d’origine nationale (14). Car la règle actuelle qui tend à assurer la représentation de chaque pays au sein de la Commission est d’une perversion totale : outre le fait qu’elle engendre une Commission pléthorique jusqu’au ridicule, sa mission de gardienne de l’intérêt européen est antinomique avec toute défense (plus ou moins avouée) d’un quelconque intérêt national. De plus, certains dirigeants de « grands » pays n’hésitent plus à illustrer leur mépris communautaire en soulignant que quand toute l’ex-Yougoslavie sera entrée dans l’Union elle disposera de sept commissaires contre un seul pour la France ou l’Allemagne, et que, dès lors, il faudra retirer tout pouvoir à la Commission et en faire un « petit secrétariat » du Conseil, ce qui achèverait de diluer le projet européen dans le combat des nombrils nationaux… Au contraire, une Commission européenne, resserrée, politiquement cohérente (et dont l’appréciation de la compétence de chaque membre resterait soumise à des auditions parlementaires préalables) apporterait – après avoir reçu l’investiture du Parlement – bien plus de garanties de démocratie et d’efficience.
– c) de conserver l’actuel caractère collégial des décisions prises au sein de la Commission Européenne (une personne = une voix) afin de ne pas personnaliser à l’extrême le pouvoir dans l’Union. Son(sa) Président(e) n’a de voix prépondérante qu’en cas de partage des voix à égalité.
– d) de doter la Commission européenne d’une administration « de terrain » et non plus cantonnée à la seule bulle étanche bruxelloise (15). Assurer ainsi, notamment par redéploiement de personnels, une présence de proximité pour la puissance publique fédérale est la plus sûre façon de rapprocher les citoyen(ne)s de la « chose européenne » tout en connectant mieux les décisions bruxelloises à la réalité quotidienne des territoires et de leurs habitant(e)s.
– e) de donner à la Commission européenne le nom de « Gouvernement européen » et à ses membres le titre de « Ministres européen(ne)s », afin de lever toute ambiguïté quant à la nature du rôle institutionnel d’exécutif fédéral qu’ils(elles) doivent assurer (16).
3 – Le Judiciaire
Le pôle de Justice de l’Union, qui dit le Droit européen, est peu connu. Basé à Luxembourg et composé (pour l’essentiel) d’une Tribunal de Première Instance (TPI) et d’une Cour, il est souvent
confondu avec la Cour européenne des Droits de l’Homme (qui est, elle, rattachée au Conseil de l’Europe, basée à Strasbourg, et recours ultime des justiciables en cas de non respect de la Convention européenne des Droits de l’Homme).
Pour renforcer la Justice dans l’Union il conviendrait :
– a) d’élargir la possibilité de saisine par de simples citoyen(ne)s à tout type de recours auprès du Tribunal, notamment en cas de non respect du Traité (17);
– b) de mettre enfin en place un « Procureur européen », premier organe communautaire chargé de défendre les intérêts financiers de l’Union en poursuivant les auteurs d’infractions (18), et dont la création immédiate est possible au regard du Traité. En l’absence de ce « parquet européen », ce sont les États Membres qui sont – avec l’empressement que l’on imagine – censés traquer sur leur territoire leurs propres errements vis-à-vis du droit communautaire. La mission de ce Ministère public européen serait utilement articulée avec celle de l’actuel OLAF (Office de Lutte Anti Fraude) qui, lui, n’a aucun moyen autre que des investigations administratives pour agir.
– c) de doter le TPI et la Cour de moyens opérationnels adéquats pour que le mécanisme de la « question préjudicielle » soit rapide quand un juge national veut s’assurer du cadre d’une affaire au regard du droit européen (actuellement plus d’un an de délai en moyenne). C’est une des conditions sine qua non pour faire vivre le principe de primauté du droit européen sur la sphère nationale (hiérarchie des normes acquise depuis 1964) mais aussi d’uniformiser la jurisprudence entre les divers États Membres ;
– d) de mieux intégrer au niveau fédéral (dépassement de la simple coordination) et de renforcer le contrôle démocratique des organes « Eurojust » (coordination judiciaire contre le crime organisé), « Europol » (coordination des polices) et du système « Eurodac » (comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile et de clandestins).
4 – Les autres organes
En ce qui concerne les autres organes communautaires, il faudrait également :
– a) remettre à plat le statut de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le double souci de renforcer, là aussi, son contrôle démocratique et la pertinence de ses interventions (19). En ce sens, il faut revoir la gouvernance de l’Euro en alignant – au minimum – les statuts de la BCE sur ceux (pourtant perfectibles) de la Réserve Fédérale américaine (meilleur contrôle du Parlement, missions non limitées à la seule défense du niveau de la monnaie, évolution des règles internes de la Banque selon la Loi et non selon le Traité, etc.).
– b) faire désigner les membres des deux Comités européens consultatifs par leurs pairs et non plus par les gouvernements nationaux (20). Ainsi, le Comité Économique et Social Européen (CESE) pourraient voir ses membres désignés par les fédérations européennes syndicales et professionnelles, mais aussi sa composition élargie aux fédérations continentales du secteur associatif (notamment environnemental, comme ce fut récemment le cas en France). De son côté, le Comité des Régions (CdR) verraient ses membres désignés au sein des associations nationales d’élu(e)s régionaux(ales), à l’exclusion d’autres représentants tels ceux de départements ou de villes comme le pratique étrangement la France.
Des moyens à la hauteur du projet
Aucune réforme institutionnelle ne peut porter ses fruits si les organes qui en sont issus ne voient leurs moyens budgétaires alignés à la hauteur des ambitions du projet européen. Pour cela, il y a des verrous règlementaires à faire sauter et il conviendrait notamment de :
– a) démocratiser le processus budgétaire en impliquant pleinement le Parlement Européen dans la définition des recettes, à parité avec le Conseil, dans le cadre de la procédure de codécision ;
– b) d’abroger la décision 2007/436/CE du Conseil qui fixe un (misérable) plafond budgétaire de 1,24 % du RNB continental comme limite aux ressources financières de l’Union. Le montant du budget
doit être apprécié au regard des seules décisions politiques et des nécessités stratégiques du moment (21) (à titre de comparaison les 50 États des USA mettent en commun, au niveau fédéral, 20% de leur RNB global)

– c) permettre l’évolution de la fiscalité européenne dans le cadre général de la codécision (22) en supprimant la « procédure législative spéciale » qui impose l’unanimité au Conseil (avec consultation
de pure forme du Parlement). Seule une harmonisation des politiques fiscales nationales et leur intégration – pour une part – au niveau européen est de nature à mettre fin aux « guerres de l’impôt » entre États (qui privent les budgets nationaux de ressources essentielles et désarticulent le corps social) ;
– d) lutter (grâce au futur Parquet européen) contre la fraude qui détourne actuellement de ses fins une part du budget européen à cause du laxisme des États (destinataires de cet argent) ;
– e) « dénationaliser » l’essentiel des contributions budgétaires en basant celles-ci non pas sur des apports d’États, mais en créant une taxation « transfrontière » établie sur les pratiques et non sur la nationalité : on taxerait ainsi la spéculation (taxe de type « Tobin ») et la pollution (pollutaxe sur gaz à effet de serre + déchets y compris du nucléaire). Cette taxation concernerait indifféremment les entreprises, les collectivités, les États, les individus, et pourrait assumer le terme fédéral « d’impôt européen » (23). Cela sous entend la suppression de toute « ristourne » nationale (notamment le
fameux « chèque britannique » cher à Mme Thatcher).
– f) établir que tout prélèvement basé sur l’évaluation des richesses des territoires doit s’appuyer sur une batterie d’indicateurs bien plus large que le seul PIB (critères sociaux, sanitaires, environnementaux, etc.). Cela implique la réalisation d’une cartographie territoriale des ressources non pas basée uniquement sur les 27 unités étatiques, mais bien plus fine faisant apparaître des
centaines de « pixels » régionaux et locaux.
– g) simplifier le mécanisme autour de la « ressource TVA » en permettant à l’Union de décider en toute autonomie et de façon uniforme la part de TVA qui serait directement versée au budget européen.
– h) permettre le recours à l’emprunt européen – quitte à le plafonner – et en réservant celui-ci aux seules dépenses d’investissement de long terme (la « bonne dette ») et excluant les dépenses de fonctionnement (la « mauvaise dette ») (24);
– i) établir aux frontières de l’Union une taxe de « protectionnisme solidaire » : taxation des produits entrants à hauteur de ce qu’ils auraient coûtés s’ils avaient respectés les clauses environnementales des AME (Accords Multilatéraux sur l’Environnement) et les accords de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Le caractère « solidaire » de ce protectionnisme réside dans le fait qu’une (large ?) partie de cette taxe est renvoyée dans le pays d’origine du produit pour y permettre l’aide directe aux populations (transfert d’écotechnologies, aides sociales, etc.) afin que, dans l’avenir, les AME et les
règles de l’OIT y soit respectées.

 
AGIR COMMENT ?
2012, levier du nouvel élan européen
Le Traité européen permet à plusieurs organes institutionnels de l’Union de rouvrir le chantier institutionnel. La Commission européenne, qui brille par sa complaisante inconsistance envers les États, semble peu encline à la hardiesse. Le Parlement européen a récemment gagné ce nouveau droit, y fait d’ailleurs souvent référence, mais reste paralysé par le jeu politique traditionnel et, selon un vieil adage communautaire, « bondit en rugissant comme un tigre, avant d’atterrir comme une carpette ». Reste qu’un État-Membre peut aussi introduire unilatéralement cette demande de réforme et lancer ainsi un grand débat.
Dans ce contexte, le choix des personnes qui occuperont au Conseil le siège de la France – pays fondateur qui pèse (encore) lourd dans les dynamiques bruxelloises – à partir du printemps 2012 n’est pas neutre. Si les progressistes veulent VRAIMENT faire de l’Europe l’outil de régulation globale qu’ils appellent de leurs vœux, il est INDISPENSABLE de mettre cette question d’un « New Deal européen » au cœur de l’accord entre partenaires de l’alternance/alternative du printemps prochain.
Une assemblée constituante
Le saut institutionnel majeur que l’on doit franchir ne peut se faire dans le bricolage de couloirs au travers du Conférence Inter Gouvernementale (qui, comme son nom l’indique, tourne vite au maquignonnage entre États), et encore moins dans le dos des Peuples. Une assemblée constituante représentant « le Peuple et les Peuples » d’Europe, entièrement dédiée à l’élaboration d’une constitution courte, claire et évolutive, doit être désignée (25). Cette assemblée ne peut être l’assemblée « législative » qu’est le Parlement européen, non seulement parce que c’est une des bases de la Démocratique que ce ne soient pas les mêmes personnes qui édictent les règles que celles qui se les voient appliquées, mais également parce qu’on peut être très bon législateur et piètre constitutionnaliste (et vice versa). Si l’on souhaite éviter une complexe campagne électorale européenne juste pour désigner des « expert(e)s », on peut envisager de faire désigner cette assemblée constituante par le Parlement européen, chaque eurodéputé(e) cooptant un(e) constituant(e) en provenance de son pays d’origine. On pourrait obtenir ainsi – dans de brefs délais – un corps de 751 citoyen(ne)s spécialisé(e)s dans les questions institutionnelles, représentant parfaitement les équilibres politiques voulus par nos concitoyen(ne)s, et prenant totalement en compte les savants dosages (surpondérés pour les petits pays) de nombre de personnes par États-Membres. On respecterait ainsi pleinement la légitimité populaire, la représentativité politique et les équilibres géographiques, tout en obtenant un haut niveau d’expertise.
Si l’on désire avancer rapidement, l’actuel Parlement européen pourrait d’ores et déjà désigner cette Constituante « symétrique », mais indépendante de lui. Mais on peut aussi considérer qu’il n’a pas reçu mandat populaire pour cela, auquel cas il conviendra d’attendre juin 2014 et le renouvellement de l’Assemblée de Strasbourg pour qu’une Constituante soit élue séparément – ou cooptée par chaque nouveau(elle) eurodéputé(e) – en toute transparence. Cette dernière aurait alors un mandat court – une année – pour rédiger le nouveau texte institutionnel : la première Constitution européenne…
Un référendum transnational
Cette Constitution ne saurait être validée « par appartement », État après État, chacun d’eux adaptant le mécanisme de ratification à sa sauce nationale, avec le risque certain que les électeur(trice)s – du moins pour celles et ceux qui auraient la chance d’être consulté(e)s – soient tenté(e)s de répondre non pas à la question posée, mais au gouvernement qui la leur pose…
La proposition est donc de soumettre le (court) texte constitutionnel à un référendum continental, organisé de façon transnationale le même jour partout dans l’Union. L’Europe se verrait alors dotée d’une constitution à la double condition (fédéraliste) d’avoir obtenue une majorité des suffrages populaires exprimés dans l’Union (celle-ci étant considérée comme une circonscription unique) ET que le Oui l’emporte dans une majorité d’États Membres (26). On pourrait, pour que la Loi fondamentale puisse se revendiquer d’un large consensus, envisager que la majorité à recueillir au niveau des États soit une majorité qualifiée (le Oui devant, par exemple, être vainqueur dans les 3/5èmes des pays) mais en aucun cas l’unanimité des États. Requérir l’unanimité reviendrait à permettre à un seul pays, même le plus petit d’entre eux, de prendre tous les autres en otage et de bafouer ainsi le libre droit d’une majorité de citoyen(ne)s de l’Union d’avancer vers l’avenir qu’ils (elles) se seraient choisi.
Il faut que noter que si rien ne prévoit dans l’actuel Traité (ni à fortiori dans les constitutions nationales) l’organisation d’un tel référendum européen, absolument rien n’interdit d’organiser une telle consultation populaire. Ce serait un « sondage officiel », exhaustif et continental en quelque sorte. Même avec un simple statut consultatif, la charge symbolique et la force politique de ce vote citoyen paneuropéen seraient telles que les parlements nationaux seraient ensuite contraints de ratifier – pour respecter la forme juridique – le texte selon le désir exprimé directement par leurs peuples respectifs (c’est d’ailleurs déjà la pratique légale dans divers États-Membres).
Mais quid des États dont l’électorat national rejetterait la Constitution, alors que celle-ci serait validée au niveau de l’Union ?
Il suffit d’établir à l’avance, d’un commun accord, que les pays minoritaires « récalcitrants », devraient alors décider – en suivant simplement leurs propres procédures nationales (parlementaire et/ou référendaire)soit de se rallier au consensus européen en approuvant finalement la Constitution par un nouveau vote (organisé uniquement à leur niveau national), soit de faire usage du droit DÉJÀ inscrit dans l’actuel Traité, et de se mettre en retrait de l’Union tout en gardant des liens de coopération étroits avec elle (27) (comme le font déjà des pays « hors Union » qui émargent au Budget européen pour certaines politiques ou ont intégré des pans entier de législation communautaire : les accords de Schengen par exemple).
Un texte qui n’insulte pas l’avenir
Enfin, la Constitution européenne devrait rester un texte « vivant » qui pourrait évoluer dans le futur au travers de l’adoption d’amendements (suivant en cela le modèle constitutionnel des USA) dès lors qu’une majorité qualifiée au Conseil ou au Parlement en ferait la demande, et qu’un nouveau référendum transnational (toujours à double majorité requise) l’approuverait (28).

 

 
CONCLUSION

 
Refonder ou disparaître
La question européenne ne doit plus, ne peut plus, être la grande absente des campagnes élyséenne et législatives qui s’annoncent. Tou(te)s les commentateur(trice)s avisé(e)s conviennent aujourd’hui que la crise mondiale, parce qu’elle est systémique – nous amène à changer de système en franchissant un pas décisif. Aujourd’hui, ne pas avancer n’est plus synonyme de « sur place » mais d’effondrement. Un modèle fédéral assumé, parlementaire et citoyen, évident et efficace dans ses rouages, cumulant la force de la solidarité et la richesse de la diversité, est la solution qui doit s’imposer. Adossé à des moyens et mécanismes financiers cohérents avec les objectifs à atteindre, et basé sur une Constitution libérée du corpus des politiques sectorielles, lisible, évolutive, et souverainement adoptée par les Peuples et les États, ce fédéralisme doit être le moteur d’un nouvel âge européen.
Enfin, par la garantie de stabilité sociale et économique qu’il procure, ce saut fédéral rendrait crédible la nouvelle donne nationale que nous appelons de nos vœux.

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