Contribution de Catherine Grèze, Eva Joly et Michèle Rivasi aux Assises du développement

Les priorités des écologistes en terme de cohérence des politiques pour le développement de l’UE 

 

« Pour les écologistes, la politique de développement doit s’inscrire dans le monde d’aujourd’hui et participer à l’amélioration de celui de demain ».

 

La politique de développement de l’Union européenne (UE), élaborée progressivement, constitue aujourd’hui un des piliers de ses relations extérieures. Cependant, un grand problème de coordination et de fragmentation de l’APD existe. Entre l’UE et les Etats membres d’une part, entre la politique de développement et les autres politiques extérieures de l’UE d’autre part.
La cohérence des politiques pour le développement est désormais un sujet central. Le Traité de Lisbonne consacre explicitement l’éradication de la pauvreté comme un objectif de l’UE (article 21). Pour l’atteindre, une approche cohérente dans l’action extérieure de l’UE (article 208) est nécessaire notamment avec les politiques agricoles, commerciales, de santé, de pêche, la lutte contre les changements climatiques et les paradis fiscaux.

Inutile en effet de se « donner bonne conscience » en allouant des milliards en APD aux pays du Sud si, par ailleurs, on entrave leur développement par des politiques agricoles et commerciales ne bénéficiant qu’aux multinationales, par des accords de pêche iniques aux bénéfices discutables pour les populations et qui détruisent petits pêcheurs locaux et ressources halieutiques, par des traités commerciaux qui « oublient » les normes sociales ou bafouent les droits de l’homme et entraînent la disparition des productions locales au profit des cultures d’exportation. Veiller à la cohérence des politiques pour le développement doit être notre objectif prioritaire. Sans celle-ci, le travail mené au niveau institutionnel et sur le terrain, tous deux complémentaires, ne pourra aboutir à faire reculer la pauvreté dans le monde.

 

Pour les écologistes, les priorités pour la future politique de développement sont simples :

 

*Politique commerciale européenne. Il faut inverser la logique de la Commission européenne qui a toujours eu le travers d’interpréter la politique de développement par le prisme du commerce international, qu’elle présente même comme la solution. La cohérence des politiques pour le développement doit être au cœur même de tout accord ainsi que le respect systématique des normes environnementales et sociales, tout en incluant la société civile.
Le modèle de développement de l’Amérique latine, reposant essentiellement sur l’extraction des matières premières, est largement encouragé par l’Union européenne. Pourtant, les conséquences des grands projets d’exploitation sont souvent néfastes pour la population comme pour l’environnement. Les Traités de libre échange avec cette région vont ainsi totalement à l’encontre des objectifs de la politique de développement. Trop d’exemples désastreux des conséquences de l’exploitation du pétrole dans des pays en développement ou émergents existent. Les conséquences sur les populations locales et leur environnement  de cette exploitation des ressources minières et pétrolières vouées à l’exportation vers nos pays européens aux modèles de développement énergivores, – par des entreprises européennes, et notamment françaises (Repsol, Total, Pérenco,…) – sont souvent terribles (par exemple Le Neuquen en Argentine, Le Péten au Guatemala, …).
La “Biopiraterie” représente également un défi important à relever en termes de cohérence. Cette pratique va à l’encontre des engagements de l’Union en matière d’éradication de la pauvreté et de protection de la biodiversité. La politique commerciale en matière de droits de propriété intellectuelle va à l’encontre de ce principe de cohérence.

*Sécurité et souveraineté alimentaire. Nous déplorons également l’absence de cohérence des politiques s’attaquant aux causes premières d’insécurité alimentaire comme : l’usurpation, la spéculation, l’impact de la PAC, les agrocarburants, la libéralisation des marchés financiers. L’accès à une alimentation adéquate est un droit de l’Homme universel et une grande préoccupation pour les pays en développement. Pour garantir la sécurité alimentaire, il faut en priorité soutenir les petits et moyens agriculteurs et la mise en place de marchés locaux, lutter contre la spéculation et l’accaparement des terres, et mettre en œuvre des politiques cohérentes.

Coordination de l’aide en matière de santé. Les aides aux pays en développement dans ce domaine sont actuellement trop morcelées et souffrent d’un manque d’organisation entre pouvoirs publics et associations. Il est donc nécessaire de coordonner ces aides. Nous regrettons que la Commission européenne peine à consacrer 20% du FED aux secteurs sociaux, comme elle s’y est pourtant engagée. Nous plaidons pour un rééquilibrage au profit de l’aide bilatérale et une plus grande conditionnalité des aides au renforcement effectif des systèmes de santé. Ces systèmes ne doivent pas se limiter aux seules politiques de vaccination : plus de dispensaires sont également nécessaires, afin que l’ensemble des malades soient pris en charge. Avant tout, il faut agir sur la gouvernance et sur les systèmes plutôt que de mener des actions qui ne conforteront pas la pérennité des systèmes de santé. Ainsi en matière de formation des personnels de santé, il est important que ce soient les Etats eux-mêmes qui paient leurs personnels et leurs permettent des conditions d’exercice correctes plutôt que de s’en remettre à l’aide internationale. Par ailleurs des efforts devraient être faits en direction des femmes, qui ont un accès plus faible que les hommes à l’éducation.

*Accès aux médicaments. Cette question de fond demeure. La propriété intellectuelle est un obstacle. La déclaration de Doha permet d’introduire des flexibilités mais des accords bilatéraux remettent parfois en cause celles-ci : il n’y a pas aujourd’hui d’accès facile aux médicaments car les laboratoires attaquent régulièrement en justice.

*Lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. Nous réclamons depuis longtemps la mise en place contraignante du “country-by-country reporting” pour toutes les entreprises européennes – dans un premier temps – opérant dans des pays en développement. Connaître leurs bénéfices pays par pays, le montant exact des taxes payées, le nombre de personnes qu’elles emploient, la quantité de ressources extraites ou de matières produites est la seule façon de lutter efficacement contre la corruption et l’évasion fiscale à grande échelle dont les multinationales sont coutumières, et de permettre ainsi aux PED de légitimement jouir de l’exploitation de leurs richesses. L’obligation de transparence pour nos entreprises européennes – notamment dans les transactions intragroupe – doit être une des priorités de nos politiques de développement. L’initiative volontaire, “the Extractive Industries Tranparency Initiative” (EITI), déjà mise en place dans certains pays riches en ressources gazières, pétrolières et minérales, doit être étendue à tous les pays riches en ressources, et les entreprises doivent publier leurs activités financières en détails dans chaque pays où elles sont implantées, comme la Commission européenne l’évoque dans sa proposition de révision des directives comptables et de transparence. L’EITI doit être incluse dans tous les accords commerciaux. Les “bonnes” pratiques volontaires ne suffisent pas et la transparence ne doit pas être “une option”. La transmission d’informations précises et complètes doit être assortie d’un véritable système de contrôle. Les paradis fiscaux facilitent la spéculation, sur les denrées alimentaires par exemple, et l’instabilité financière. En permettant la fuite illicite des capitaux, ils sont responsables chaque année d’un énorme manque à gagner en matière fiscale pour les PED. Pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l’APD, nous devons donc lutter contre ces centres financiers extra-territoriaux (offshore) qui prédominent toujours, notamment au sein de l’UE, malgré leur engagement à respecter les normes de l’OCDE sur la transparence et l’échange de données. L’Union européenne doit pour cela se doter de sa propre définition des juridictions non coopératives suivant des critères définis par ses soins et coopérer avec les pays pauvres afin de renforcer les appareils judiciaires et les organismes anti-corruption. Les capitaux doivent en effet s’investir dans l’économie réelle et au service des citoyens dans le monde.

*Responsabilité sociale des entreprises. Des obligations juridiquement contraignantes doivent également être mises en place pour les investisseurs étrangers dans les pays en développement en matière de droits de l’Homme, d’environnement, ou de normes du travail de l’OIT. Les entreprises françaises et européennes ainsi que leurs filiales doivent être tenues responsables légalement dans leur pays d’origine en cas de violation de ces obligations.

 

Notre modèle de développement, que nous exportons sans vergogne dans les pays du Sud, est à repenser entièrement. La cohérence doit en être le mot d’ordre !

 

Catherine Grèze, Députée européenne EELV, Coordinatrice Verts/ALE de la Commission du Développement,
Eva Joly, Députée européenne EELV, Présidente de la Commission du Développement,
Michèle Rivasi, Députée européenne EELV, Vice-Présidente de l’Assemblée parlementaire ACP-UE.

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