Zone euro : comment sortir de la crise

Vous trouverez ci-dessous une tribune publiée le 17 décembre 2010 dans Le Monde par des députés verts français et allemands responsables du suivi des questions économiques.

Elle s’appuie sur les positions du groupe au Parlement européen, et est co-signée par Pascal Canfin, Dany Cohn-Bendit, Sven Giegold, députés européens du groupe des Verts/ALE, ainsi que par Gerhard Schick, député et porte-parole des Verts au Bundestag.

Pour sortir de la crise actuelle, nous proposons quatre mesures.

    – Premièrement, la création d’obligations européennes selon les modalités avancées récemment par Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe. Les détenteurs d’une partie de nos dettes nationales se verraient remettre une obligation européenne en échange de leurs bons du Trésor. Comme pour les bons du Trésor américain, ces euro-obligations bénéficieraient d’un taux d’intérêt très bas puisque le risque de défaut associé à l’ensemble de la zone euro, et non à un seul pays, est nul.

    Cette mutualisation d’une partie de nos dettes nationales permettrait aux pays qui n’arrivent plus à se financer à des taux normaux, comme la Grèce et l’Irlande aujourd’hui mais peut être aussi d’autres demain, de bénéficier d’un taux d’intérêt beaucoup plus faible sur une partie de leur dette. Mais sur la partie restante, purement nationale celle-là, les écarts de taux resteraient, ce qui n’est pas illégitime puisqu’ils reflètent en partie les différences de situation macroéconomique et ce qui les incitera à ne pas laisser déraper le niveau de leur endettement.

    L’Allemagne puis la France ont refusé la semaine dernière cette option alors qu’elle est essentielle pour sortir de la situation actuelle, où les marchés jouent contre les Etats les uns après les autres.

    – Deuxièmement, la création d’un véritable gouvernement économique européen, selon la terminologie française, ou d’un élargissement de la coopération macroéconomique, selon la terminologie de la Commission européenne. Depuis l’entrée en vigueur de la zone euro, nos économies divergent. L’Allemagne bénéficie de l’euro pour accroître ses exportations avec une monnaie plus faible que si elle avait le seul deutschemark et ne redistribue pas les gains de productivité à ses salariés, ce qui limite sa consommation intérieure et donc l’effet d’entraînement sur le reste de la zone.

    A l’inverse, la Grèce et le Portugal utilisaient l’euro comme un parapluie qui leur permettait de s’endetter à des taux d’intérêt très faibles, puisque fixés en lien avec la moyenne de l’inflation de l’économie de la zone, alors que leur propre taux d’inflation était plus élevé.

    Or, jusqu’à présent en Europe, aucune autorité n’a le pouvoir de forcer, ni même d’inciter, chaque Etat à mettre en place des politiques visant à réduire ces déséquilibres. C’est tout l’enjeu de l’une des directives proposées par la Commission européenne en septembre et qui vise justement à élargir la gouvernance économique à d’autres questions que celles des finances publiques. Ce texte est en négociation entre le Parlement européen et le Conseil. Il doit aboutir à doter l’Europe d’un pouvoir d’orientation des politiques nationales sur ces sujets. Car on ne peut pas avoir structurellement une même monnaie et des économies divergentes.

    – Troisièmement, la création d’un véritable budget européen financé par des ressources propres. Le budget européen est aujourd’hui limité à 1 % du PIB. Les transferts financiers des zones riches de l’Union vers les zones pauvres, au travers des fonds structurels, représentent moins de 40 milliards d’euros pour toute l’Union. Rien à voir donc avec les solidarités budgétaires qui existent au niveau national. Ce budget européen additionnel, qui permettrait par exemple à l’UE de financer les investissements verts nécessaires à la conversion écologique de l’économie dans les zones qui n’en n’ont pas les moyens, devrait être financé sur des ressources propres assises sur les facteurs économiques mobiles qui ne sont pas ou plus assez taxés au niveau national.

    Nous avons montré dans une étude récente qu’une taxe européenne sur les transactions financières de 0,05 % pourrait rapporter jusqu’à 190 milliards d’euros par an. En mettant en place une telle taxe dont une partie importante pourrait aller au budget européen, comme en mettant fin à l’absurde concurrence fiscale entre nous dont les seuls bénéficiaires sont les multinationales, l’Europe démontrerait aux peuples sa réelle plus-value : faire ensemble ce que chacun d’entre nous ne peut pas faire seul. Il est donc urgent que la Commission fasse une proposition législative concrète comme une majorité du Parlement européen le demande.

    – Quatrièmement, limiter les possibilités de spéculation sur les dettes souveraines. Les marchés financiers ne sont pas responsables des déséquilibres au sein de la zone euro. Mais ils disposent d’outils pour allumer le feu et en tirer bénéfice. Ainsi, il est aujourd’hui possible d’acheter un credit default swap (CDS) sur l’Irlande ou la Grèce, qui est un produit financier qui assure l’acheteur contre le risque de faillite d’un Etat, sans posséder d’obligations irlandaises ou grecques. Des fonds spéculatifs (hedge funds) ne se gênent pas pour acheter des CDS, donc à en faire monter le prix, ce qui en retour fait penser aux vrais détenteurs d’obligations qu’ils doivent se couvrir contre un risque accru… en achetant des CDS.

    Les fonds spéculatifs peuvent alors revendre leurs CDS avec une belle plus-value en ayant fait augmenter le taux d’intérêt auquel l’Etat se finance et donc en ayant aggravé les problèmes… Ce mécanisme doit être interdit, et une négociation est en cours pour le faire entre l’ensemble des gouvernements et le Parlement européen. Mais, au sein des Etats, seule l’Allemagne y est pour l’instant favorable ! Le chemin pour sortir de la crise de la zone euro existe. Mais il implique de sortir tout à la fois des crispations nationalistes et des dogmes néolibéraux. La France et l’Allemagne ont une responsabilité majeure. Nos dirigeants actuels seront-ils à la hauteur ?

Pascal Canfin, Dany Cohn-Bendit, Sven Giegold, députés européens du groupe des Verts/ALE, Gerhard Schick, député et porte-parole des Verts au Bundestag

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