Dans un contexte de défiance vis-à-vis des institutions, de diminution des dépenses publiques et d’explosion des besoins sociaux, des professionnels de l’action publique et de l’économie sociale et solidaire (ESS) appellent à créer les conditions d’une résilience territoriale. Lors d’une conférence organisée mardi 17 février à Paris avec la ministre de la Décentralisation Marylise Lebranchu, ils ont évoqué dans cet objectif la mise en réseau des acteurs locaux (fonctionnaires d’Etat et territoriaux, élus, responsables associatifs, chefs d’entreprises, universitaires, citoyens) pour co-construire les politiques publiques et concevoir les services publics de demain.
« Faire autrement tout de suite », « faire mieux », « faire plus intelligemment donc ensemble », etc. Par-delà les slogans creux, les bonnes volontés désireuses de réformer en profondeur l’action publique ne manquaient pas, mardi 17 février au café « Monde et Médias » du groupe SOS, leader français de l’économie sociale et solidaire (ESS). Parmi eux : des professionnels du secteur public, de l’Etat comme des collectivités territoriales, mais aussi des entrepreneurs sociaux et des acteurs associatifs.
Refonder l’intervention publique
Première série d’un cycle de conférences amené à être reproduit dans plusieurs villes de France au cours des prochaines semaines, la matinée de débats « Territoires : nous sommes innovation » a également pu compter sur la présence de la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, qui avait pris place aux côtés de plusieurs élus locaux.
Le mot d’ordre était aussi clair que la tâche ambitieuse : renouveler l’élaboration des politiques publiques, bâtir des services publics de qualité et en identifier les porteurs adéquats. Qu’il s’agisse des collectivités territoriales elles-mêmes… d’associations ou de sociétés d’économie sociale et solidaire.
Crise sociale, démocratique et économique
« Nous sommes à un moment charnière : les solutions néolibérales n’ont pas fonctionné, tandis que des inégalités violentes perdurent tant entre les territoires qu’entre leurs habitants. Les responsables politiques et les fonctionnaires ont plus que jamais le devoir de retisser du lien sur les territoires » a appelé de ses vœux, Marylise Lebranchu.
Dans cette perspective, la ministre de la Décentralisation a missionné Akim Oural, maire-adjoint de Lille, pour lui rendre un rapport « médiatiquement lisible, politiquement acceptable et socialement juste » sur les conditions du développement de l’innovation territoriale et la création d’écosystèmes ouverts au-delà du cercle restreint des collectivités territoriales.
Faire vivre l’innovation territoriale
Autrement dit : comment mettre en réseau les différents acteurs du territoire et bâtir un nouveau mode de gouvernance, permettant d’établir un diagnostic contrasté puis un projet de développement territorial partagé, afin de pouvoir combiner les talents, les conseils stratégiques, les soutiens financiers et les coups de pouce mutuels dans l’objectif de favoriser la résilience des territoires les plus en difficulté ?
Par crainte que son rapport ne finisse par prendre la poussière sur une étagère d’un ministère, Akim Oural promet toutefois d’en faire un recueil de « bonnes pratiques, faisant vivre les valeurs républicaines, mais aussi un document très concret permettant à des élus locaux ou des entrepreneurs privés de se l’approprier facilement pour faire vivre l’innovation territoriale. »
« Il faut créer au plus vite des postes de « managers de l’innovation », qui ne soient pas seulement des spécialistes de la verdure ou des bordures de trottoirs mais bien de véritables touche-à-tout agissant au cœur des collectivités. Eux seuls pourront faire émerger les besoins de leurs territoires pour pouvoir y réfléchir avec les différents porteurs de solution existants » lui propose Othmane Khaoua, conseiller municipal de Sceaux (Hauts-de-Seine) délégué à l’ESS.
Élargir la fabrique de l’intérêt général
« Alors que des besoins prégnants liés au vieillissement, à la petite enfance ou encore au suivi des jeunes délinquants se font ressentir quotidiennement, des institutions qui n’ont plus un sou doivent trouver de nouvelles réponses. Il est urgent de passer d’un Etat-providence à un Etat-pépinière » exhorte André Dupon, président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves). Déjà prestataires de plusieurs services publics, ils souhaitent désormais les influencer en amont.
Co-organisateurs avec le Groupe SOS et le secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP), le Mouves souhaite accélérer la mutation de l’action publique territoriale… et postule donc à l’un des rôles principaux de la nouvelle scène. « Chaînon manquant entre le secteur public et la société civile, notamment les populations en difficulté », les entrepreneurs sociaux refusent que les institutions publiques soient les seules dépositaires de l’intérêt général.
Las des recommandations d’experts hors-sol pour faire atterrir l’innovation, le groupe SOS et le Mouves cherchent aujourd’hui des appuis au sein des territoires pour organiser des collaborations entre secteurs publics/associatifs/privés non lucratifs. Ils appellent le gouvernement, les administrations centrales, les agences et les partenaires sociaux associés, mais surtout l’Etat local, les collectivités territoriales ainsi que les élus locaux à se transformer en facilitateurs.
Participation des habitants
Le directeur général adjoint du conseil général de Meurthe-et-Moselle en charge du développement, Vincent Malnoury, se dit prêt à relever le défi. Compétents en matière de solidarité territoriale ou de solidarité humaine, il imagine même les départements chefs de file de cette co-construction avec des entrepreneurs, des chercheurs ou des responsables associatifs… à condition de ne pas oublier les citoyens.
« Pourquoi ces bons vieux départements – créés il y a plus de 200 ans et menacés de suppression tous les 5 ans – souhaitent-ils innover avec les habitants ? Les associer à notre réflexion garantira que l’action publique de demain corresponde à un réel besoin et soit efficace » estime-t-il. Cet adepte de Nietzsche et de sa célèbre formule « tout ce qui ne tue pas rend plus fort » voit dans la crise l’opportunité de changer les choses en profondeur et de rebondir.
Coopération et relocalisations
« A rebours des trop nombreux discours prônant la libre-concurrence partout, il est urgent de prendre exemple sur les villes de Laguiole ou Romans-sur-Isère, qui sont parvenues à leur échelle à relocaliser leurs activités et créer de l’emploi pour tous » illustre l’universitaire Sophie Keller, auteure de « L’économie qu’on aime – Relocalisations, créations d’emplois, croissance : de nouvelles solutions face à la crise. »
« Arrêtons de parler à tout bout de champ de la concurrence ! C’est un fait, mais cela n’en fait pas une valeur. Contrairement à la coopération » rebondit Marylise Lebranchu, dont la loi NOTRe ambitionne de mettre fin au dumping territorial en matière de développement économique « Par contre, derrière, il est important que les responsables politiques se coordonnent véritablement » estime la ministre, chantre des conférences territoriales de l’action publique.
Un vœu… qui pourrait rester pieux. Plus d’un an après la loi Maptam octroyant aux métropoles la compétence du développement économique, le lobbying des élus régionaux pourrait finir par payer : la loi NOTRe examinée par l’Assemblée nationale envisage d’accorder aux régions l’exclusivité des prérogatives économiques. A moins que François Hollande, en bon jacobin, ne décide finalement de départager les élus locaux en créant une agence nationale pour le développement économique.
Territorialisation et décloisonnement
« Lorsque les besoins sociaux se font ressentir de plus en plus fort, et que nos moyens d’intervention diminuent drastiquement, nous n’avons plus tellement le choix que de coopérer ensemble » estime Vincent Malnoury. « Il faut partir des bassins de vie, y recueillir les besoins des habitants et bâtir à partir de là une action conjointe permettant de dépasser les différences culturelles, les jeux d’intérêts, les rivalités de pouvoir. C’est ainsi que nous pourrons casser les cloisons, réfléchir de façon transversale et produire de l’innovation et des services publics de qualité » recommande ce cadre territorial.
Il est clair que « si chaque strate de collectivités intervient selon ses propres intérêts, cela ne fonctionnera pas ! C’est le rôle de l’Etat de réguler les différentes énergies, afin d’éviter qu’elles ne partent dans tous les sens » confie Akim Oural, qui compte auditionner en vue de son rapport plusieurs associations d’élus locaux ainsi que des syndicats de fonctionnaires. Objectif : sortir de la conceptualisation et concrétiser l’innovation territoriale.
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