SYLVAIN ESTAGER – Expression des groupes politiques. La politique lycées

Séance Plénière des 20 & 21 octobre 2011

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, tout d’abord, un constat. Il est difficile, effectivement, de s’exprimer sur la  politique « lycées » sans évoquer le contexte général dans lequel elle est censée opérer.

Dans la continuité des années précédentes, la rentrée se passe mal, et ce, principalement du fait des seuls effets générés par les suppressions de postes. La chose a été à maintes reprises dénoncée dans cette assemblée.

À sa façon, le rectorat reconnaît que la situation n’est matériellement plus gérable. Il impose, en effet, une véritable dégradation des conditions de travail à ses personnels pour tenter de compenser les carences en postes.

Nous pouvons prendre l’exemple des TZR ; pour la première fois dans l’académie, certains TZR effectuent leur service sur quatre établissements.

Nous pouvons aussi prendre l’exemple de l’augmentation des heures de service, arbitrairement décidée par le rectorat de Lille, le seul en France à effectuer la chose, en ressortant un point qui n’avait jamais été appliqué des décrets de 1950.

Résultat : aujourd’hui, de nombreux établissements sont en conflit ouvert avec le recteur dans l’académie, car pour imposer ces mesures, point n’est besoin d’évoquer ici la qualité du dialogue social engagé par les autorités rectorales avec les personnels de l’éducation, les parents d’élèves ou les élus locaux, mais, évidemment, les plus menacés par cette politique comptable sont les élèves eux-mêmes. La diminution drastique des taux d’encadrement conduit à une amplification nette du décrochage scolaire observée dans tous les établissements déjà depuis la rentrée. Faute de place disponible, presque tous les établissements ont été obligés, en cette rentrée, de refuser les doublements ou les triplements pour les élèves de terminale. Ce triste constat valide dans la région l’abandon par le système scolaire de plusieurs centaines de lycéens. Ils se retrouvent sans la moindre qualification au terme de leur parcours scolaire.

Les regroupements pédagogiques absurdes mais généralisés, les effectifs pléthoriques dans les classes, le manque d’encadrants sont, de très loin, la cause première qui explique l’échec de la politique scolaire menée par le gouvernement.

Nous ne pouvons, ici, que relayer la colère des enseignants, des syndicats et des associations de parents d’élèves. Tous sont confrontés à une réalité, telle qu’on ne l’a jamais connue dans l’académie. Et le fait que le ministère ou les autorités rectorales refusent de communiquer sur plusieurs rapports de l’inspection générale ou des inspections d’académie qui rendent compte de cette situation est bien la marque d’un échec non assumé.

Bref, dans ce contexte de démantèlement du service public de l’éducation, l’effort budgétaire réalisé par la région doit être souligné.

Le débat du jour, comme celui qui a porté dernièrement sur le PPI, démontre que la politique éducative est au coeur de l’action du Conseil régional et qu’il demeure une véritable priorité. La région maintient ses dotations aux établissements et l’effort d’investissement réalisé est aujourd’hui plus que jamais indispensable pour la plupart des établissements.

Signalons d’ailleurs que l’extension du budget participatif des lycées à 25 lycées dès cette année et qui préfigure sa généralisation avant la fin de ce mandat va permettre d’optimiser cet effort budgétaire pour coller au plus près aux besoins exprimés par l’ensemble de la communauté éducative ; méthode innovante, modernisation de l’action publique, tout en conservant l’effort d’investissement, cette politique mérite d’être saluée, tout comme les services, d’ailleurs, de la région, pour leur capacité à mettre en œuvre un dispositif qu’il a fallu presque totalement inventer.

Au bilan, l’effort budgétaire et le souci d’optimisation de cet effort réalisé par le Conseil régional sont donc incontestables. Sur ce point, pas d’équivoque et nous tenons à souligner cette réalité, mais nous ne pouvons faire abstraction du contexte évoqué précédemment et nous tenons à formuler plusieurs remarques ou interrogations sur certains choix des politiques régionales qui se rapportent à la politique gouvernementale.

En premier lieu, sur la politique d’excellence, la région s’engage dans cette politique, politique initiée par l’État qui vise à consacrer une certaine forme d’excellence. De prime abord, l’idée de favoriser la réussite d’élèves issus de milieux modestes peut sembler louable, offrir la possibilité à des élèves issus d’un milieu social défavorisé d’améliorer leur cadre d’études est une bonne chose, les internats dits d’excellence peuvent jouer ce rôle, l’expérience vaut la peine d’être tentée.

A contrario, nous émettons des réserves sur le principe des lycées d’excellence qui repose sur une autre logique. Dans sa mise en oeuvre, ce dispositif procède, en effet, d’une logique qui emprunte davantage à la promotion de l’élitisme qu’à celle de l’excellence. Les élèves sélectionnés sont déjà dans un profil de belle réussite, au sein de leur établissement et de leur famille. L’ambition ou plutôt le pari qui consiste à rendre encore plus performants des élèves déjà performants en les plaçant dans un nouvel environnement scolaire, et parfois familial, est, en soi, très discutable, voire peut-être même risqué, pour les élèves concernés. Plusieurs expériences en témoignent dans l’histoire de l’éducation, car ce projet, en réalité, n’est guère innovant, contrairement à ce que prétend le ministère. On peut souligner qu’il emprunte davantage au modèle du lycée napoléonien tel qu’il a été créé à l’origine qu’à celui de Jules Ferry ou de Jean ZAY.

De plus, la philosophie politique même du projet interroge. Il ne s’agit pas de repérer dans un établissement les élèves méritants, issus de milieux modestes, et de les porter en apportant un correctif aux inégalités sociales, comme, par exemple, avec le principe des bourses au mérite, mais, au contraire, de les extraire de leur environnement scolaire.

Une idée centrale, donc, préside à ce dispositif : la meilleure façon de réussir à atteindre l’excellence dans un établissement, c’est parfois de le quitter.

En définitive, le risque que ce dispositif valide l’idée que l’effort doit être réalisé sur quelques-uns déjà en situation de réussite farde ce qui, à nos jours, est le vrai problème des établissements, celui sur lequel nous devrions concentrer notre regard et notre action : l’échelle  de plus en plus inquiétante de ceux qui ne bénéficient pas des bonnes conditions d’apprentissage, conditions qui se dégradent pour beaucoup en cette heure où les fonds sociaux, par exemple, sont lourdement amputés par l’État.

C’est ce qui justifie une seconde remarque qui porte sur les priorités budgétaires décidées par la région. Dans le contexte évoqué, celui du démantèlement du service public, force est de constater que la capacité de résistance des établissements publics est moindre que ceux du privé. Un exemple a beaucoup marqué la communauté éducative cet été : pour faire face à la suppression de la scolarisation des moins de 3 ans entreprise par le recteur, le diocèse d’Arras a répondu en cette rentrée par la création de cinq classes hors contrat dans les établissements sous contrat, classes entièrement financées par les parents. Belle illustration de la privatisation de l’éducation qui est en cours et de la capacité de résistance supérieure pour les établissements qui bénéficient par essence de fonds privés ! Nous pourrions multiplier ces types d’exemples au niveau de l’encadrement, des projets culturels, des sorties et des voyages scolaires, qui font de plus en plus défaut faute de moyens au sein des établissements publics et qui, par conséquent, stigmatisent ces établissements.

Parce qu’ils ne reçoivent pas de financements privés et qu’ils sont les seuls à assurer une mission de service public, les lycées publics doivent être au coeur des préoccupations de l’institution régionale, d’autant que la réforme de la carte scolaire mise en place au début du mandat de Nicolas SARKOZY met aujourd’hui tous les établissements en concurrence pour recruter les effectifs.

Les logiques comparatives, de fait, s’imposent chez les parents. Nous devons anticiper les conséquences qui se matérialisent déjà doucement mais sûrement.

Nous profitons donc du débat de ce jour sur les crédits de fonctionnement affectés aux établissements pour demander d’engager une réflexion sur la priorité qu’il y aurait à donner aux établissements publics à travers l’ensemble des dispositifs financés par la région. Pour conclure, nous demandons à travers la question des lycées d’excellence ou de la priorité à donner à certains financements d’ouvrir en séance un débat de fond sur certains choix structurants des politiques éducatives, prenant conscience que si la région calquait sa politique sur celle du gouvernement aujourd’hui, les établissements ne pourraient plus fonctionner, mais la région n’a pas vocation à accompagner, à suivre ou à subir les choix politiques imposés par l’État, surtout quand rien ne l’y oblige.

Nous devons désormais dégager des lignes fortes, structurantes et, surtout, lisibles dans les politiques de la région, afin de consacrer un véritable modèle régional sur la question des lycées, aussi bien sur les politiques menées, sur les crédits affectés, que sur la dimension parfois hautement symbolique incarnée par ces affectations.

Ouvrons donc les débats !

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