La première est l’aggravation du problème de la faim dans le monde. Presque tous les agrocarburants utilisés en Europe sont issus de cultures vivrières telles que le blé, le soja, l’huile de palme, le colza et le maïs, qui sont des sources de nourriture essentielles pour une population mondiale en expansion rapide. L’Union européenne brûle pourtant dans les réservoirs de ses voitures une quantité de calories alimentaires suffisante chaque année pour nourrir 100 millions de personnes. Par ailleurs, le prix des denrées alimentaires vitales, telles que les oléagineux, devrait augmenter de près de 20%, l’huile végétale jusqu’à 36%, le blé jusqu’à 13%, et le maïs de près de 22% d’ici à 2020 en raison des objectifs actuels de l’UE en matière d’agrocarburants. Si cela vous semble peu, pensez que pour les habitants des taudis du monde qui ont très peu d’argent pour acheter leur nourriture quotidienne, cela constitue une véritable catastrophe.

Deuxième conséquence : une nouvelle demande massive de terres par les grandes multinationales détruisant les petites exploitations agricoles ainsi que les habitations environnantes. Les spéculateurs fonciers, les fonds spéculatifs et les entreprises agro-énergétiques ont été en première ligne d’une nouvelle ruée mondiale vers la terre forçant des centaines de milliers de petits agriculteurs à abandonner leurs champs et les privant de leurs moyens de subsistance et d’approvisionnement en eau. Partout à travers le monde, mais particulièrement en Amérique latine, en Afrique et en Asie, la monopolisation des terres par des entreprises multinationales d’agrocarburants s’accompagne de violences dont les paysans indigènes et leurs familles sont les principales victimes.

La troisième conséquence enfin est la destruction de l’environnement. La demande en terres supplémentaires pour répondre aux objectifs de l’UE en matière d’agrocarburants implique une expansion des terres cultivées équivalente à la taille de l’Irlande, des forêts abattues, des tourbières pillées et des prairies labourées. Il ne fait plus aucun doute que les avantages en termes de changement climatique de la plupart des agrocarburants sont négligeables voire nuls. En tenant compte de l’utilisation d’engrais, du défrichement, de la déforestation et du déplacement d’autres cultures, la plupart des agrocarburants produits par l’UE ne réduisent pas les émissions de carbone, bien que subventionnés pour le faire, mais émettent des millions de tonnes supplémentaires de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. La consommation de combustibles fossiles doit être réduite rapidement, cela ne fait aucun doute, d’autant que les solutions alternatives existent. Elles incluent la réduction de la consommation d’énergie, l’usage plus généralisé des transports publics ainsi que d’autres sources d’énergie propre, et non les agrocarburants issus de cultures agricoles, et aux conséquences particulièrement néfastes.

Cette absurdité ne peut plus durer. Il est temps d’arrêter cette folie des agrocarburants, qui ne procurent de larges profits qu’à une poignée de multinationales alors que les conséquences sur l’environnement et sur des millions de victimes sans défense se révèlent désastreuses. Le 12 décembre, lorsque les dirigeants européens décideront à Bruxelles du sort de cette politique d’agrocarburants meurtrière, il est impératif qu’ils annulent immédiatement les objectifs fixés et abandonnent leur soutien aux agrocarburants qui ne font qu’entrer en compétition avec l’accès à la nourriture. Ignorer cette recommandation les rendra complices d’un crime contre l’humanité.

Auteur de : «Destruction massive : géopolitique de la faim», éditions du Seuil - Points, 2012.