Un parc naturel urbain pour le canal Saint-Martin

Le canal Saint-Martin, lieu de vie emblématique du 10ème arrondissement de Paris, fêtera ses deux-cents ans en 2025. Alors que les campagnes municipales de 2020 ont ouvert un débat autour de la création d’un « poumon vert » pour la capitale, les écologistes du 10e proposent la création d’un Parc Naturel Urbain autour du Canal Saint-Martin et ont invité la population à venir découvrir et échanger autour de cette proposition lors d’une rencontre (ici le courrier).

Compte-rendu de l’échange.

La liste Ecologie pour Paris 10 a proposé lors de cette rencontre de transformer le quartier du canal Saint-Martin en un Parc naturel urbain (PNU). Les Parcs naturels urbains sont des projets collaboratifs de protection des espaces naturels en milieu urbain, faisant participer citoyens, associations et élus à la valorisation du patrimoine de leur quartier. La création d’un Parc naturel urbain du canal Saint-Martin permettrait d’associer les habitants du 10ème arrondissement à l’élaboration d’un projet écologique et citoyen, dont la gouvernance serait partagée, et qui permettrait de mettre en valeur ce quartier historique.

Le débat a permis de faire intervenir plusieurs citoyens et membres d’associations pour rappeler la richesse patrimoniale et écologique que représente le canal Saint-Martin d’une part, et l’intérêt des Parcs naturels urbains pour sa possible redéfinition d’autre part.

D’abord, deux premiers intervenants, historiens, ont donné une brève histoire du canal. La décision de créer le canal Saint-Martin pour acheminer de l’eau potable jusqu’à Paris est officialisée par un décret de 1802. Les vicissitudes de la période napoléonienne retardent toutefois le financement et les travaux : il faut attendre 1818 pour qu’une société privée soit créée pour mener à bien l’ouvrage, la Société des canaux de Paris. Les travaux débutent en 1822, et s’achèvent trois ans plus tard, en 1825. Longtemps demeuré entièrement à l’air libre, le canal est en partie recouvert par le préfet Haussmann en 1860, afin de faciliter la circulation des troupes et le maintien de l’ordre dans la capitale. Si le canal-Saint-Martin fut initialement prévu pour approvisionner Paris en eau potable, il prit rapidement une vocation commerciale et servit au transport de marchandises : ainsi, en 1880, le bassin de la Villette avec lequel il communiquait était le quatrième port français, après Marseille, Le Havre et Bordeaux. Près d’un siècle plus tard, dans les années 1970, le canal faillit disparaitre lorsque le Conseil de Paris envisagea la construction d’une autoroute urbaine à quatre voies, censée emprunter son tracée, projet qui fut finalement abandonné. Le renoncement à l’autoroute urbaine permit la création du jardin Villemin, agrandi à quatre reprises jusqu’en 2007. Au début des années 1990, le journal trimestriel La Gazette du Canal militait pour la piétonnisation des berges, idée qui fut reprise par le maire en 1995 et appliquée les dimanches. Le quartier du canal connait depuis un rapide processus de gentrification. 

Un nouvel intervenant, membre de La Seine n’est pas à vendre, plaide en faveur d’une réhabilitation du transport fluvial et des travailleurs du fleuve. Il rappelle ainsi qu’une péniche – dont le moteur ne pollue pas davantage que celui d’un camion – peut transporter des cargaisons de près de trois-cents tonnes, soit une capacité équivalente à celle de trente camions de marchandises. L’association souhaite que l’Île-de-France accorde toute leur place aux transports fluviaux, moins chers et moins polluants, en tirant profit des importants cours d’eau qui la traversent comme la Seine, la Marne et l’Oise. La politique fluviale a pourtant pris le chemin inverse à partir de la fin des années 1980, avec un plan de déchirage visant à réduire le parc de bateaux de transport, qui détruisit l’essentiel des péniches de gabarit « Freycinet ». L’association appelle enfin le gouvernement français à décentraliser ses consultations concernant l’aménagement fluvial de la région, en sollicitant davantage les associations et en cessant de considérer la mairie de Paris comme son interlocuteur prioritaire.  

Tangi Le Dantec, urbaniste paysagiste, coauteur du livre Bien vivre la ville : vers un urbanisme favorable à la santé, Archibooks, 2018, rappelle s’être opposé aux propositions retenues par l’appel d’offre « Réinventer la Seine » lancé en 2016, jugeant que les intenses projets de construction alors retenus avaient un coût écologique excessif. En effet, les plans d’eau servent de corridor de ventilation, ce qui permet de limiter les extrema thermiques, et ainsi de diminuer la température urbaine de plusieurs degrés, ce qui peut s’avérer particulièrement précieux en période de canicule. Ces corridors réduisent également la pollution de l’air, et ce jusqu’à 50% dans certaines villes ; c’est ainsi que la municipalité de Pékin, capitale chinoise, a entrepris d’importants travaux pour accorder toute leur place aux canaux et plans d’eau dans le maillage urbain, réduisant de 20 à 30% la pollution de son air. Le canal Saint-Martin étant dans l’axe des vents parisiens (sud-sud-est à nord-nord-est), son ouverture aurait ainsi des conséquences positives sur la qualité de l’air et les températures de Paris. 

Marine Calmet, juriste des droits de la nature, part elle du constat que nos sociétés contemporaines sont trop anthropocentrées, et qu’elles gagneraient à se préoccuper davantage des thèmes écologiques, notamment en intégrant ceux-ci dans leurs droits. L’intervenante prend l’exemple du lac Érié, dans l’Ohio, qui s’est tout récemment vu reconnaitre par référendum une personnalité juridique accompagnée de droits ; l’initiative est venue des citoyens de la ville de Toledo, attenante au lac, pour réagir à la pollution causée par les activités agricoles. L’intervenante souligne que les lobbys agricoles se sont vivement opposés à ce qu’un espace naturel puisse plaider devant les tribunaux. Elle rappelle ensuite que les droits de l’environnement ont bien souvent valeur constitutionnelle, comme c’est le cas en Équateur, mais aussi en France, où la Charte de l’environnement de 2004 a été intégrée au préambule de la Constitution. Concernant la portée juridique de cette Charte, elle dépend en bonne partie de l’interprétation qu’en fait le Conseil constitutionnel, interprétation qui a connu de récentes inflexions en faveur d’une meilleure prise en compte de sa lettre et de son esprit.

Un dernier intervenant explique que les parcs naturels urbains (PNU) sont inspirés des parcs naturels régionaux (PNR), qui couvrent 15% du territoire national. Si les PNR sont une catégorie juridique, les PNU ne constituent encore que des initiatives citoyennes, qui ne sont pas reconnues par le droit positif. Les PNR peuvent être vus comme des partenariats hybrides, qui impliquent d’identifier plusieurs acteurs susceptibles de participer à sa définition et à son développement, pour ensuite en assurer la gestion sur le long terme : le plan d’aménagement du territoire des PNR s’étend ainsi sur quinze ans.

Les diverses interventions se terminent avec, comme proposition, la création d’une Délégation à la nature qui se défend.