Le confinement : une aubaine pour le circuit court ?

Anne Gruand se mobilise pour les habitant.e.s de son quartier

A Nantes, les consommateurs réclament davantage de paniers alimentaires issus d’une production locale de qualité. Afin de satisfaire au mieux la demande, agriculteurs et éleveurs du département redoublent d’efforts pour réorganiser une production, largement perturbée par l’épidémie de Covid19. La question mérite d’être posée : le confinement serait-il en train d’esquisser de nouvelles formes de distribution plus vertueuses ?

Témoignages d’Anne GRUAND – habitante militante – et de Pierre-Yves RENAULT – paysan fromager – à l’occasion de la web-conf de l’écologie politique #1 proposée par Europe Écologie les Verts, l’association de veille citoyenne AVEC et la campagne Nantes Ensemble.  

Anne Gruand se mobilise pour les habitant.e.s de son quartier

« Au Clos Toreau, les habitant.e.s récupèrent davantage de paniers »

En temps normal, les habitant.e.s du quartier du Clos Toreau récupèrent chaque quinzaine des paniers de fruits et légumes distribués par un producteur installé en agriculture raisonnée dans la commune des Sorinières. Développé par le centre socio-culturel de l’ACCOORD, ce système de livraison fonctionne depuis quelques années déjà.

Pendant la période de confinement les distributions se poursuivent bien que la maison de quartier des Confluences, point de livraison des paniers, ait fermée ses portes. En effet, grâce à la pugnacité des habitant.e.s du quartier, le producteur de la ferme des Sorinières a repris le chemin des livraisons et livre sa production dans le plus scrupuleux respect des règles sanitaires.

« En temps normal ces fruits et légumes sont proposés à des tarifs très compétitifs. Or, sur l’ensemble des personnes qui profitent de ces paniers, seulement une très petite partie habite le Clos Toreau. La majorité des mangeur.euse.s habite d’autres quartiers de la ville. Cela m’a toujours étonnée : pourquoi les habitant.e.s du quartier du Clos Toreau ne profitent-ils pas davantage de cette aubaine ? Or aujourd’hui, alors que nous traversons la crise sanitaire, je constate qu’à quelques exceptions près, les paniers sont récupérés par les gens du quartier. Le ratio s’est inversé. Bien sûr, cela peut s’expliquer par la fermeture des marchés en plein air de la ville mais il y a là quelque chose à creuser … » constate Anne Gruand.

Un démarrage d’activité très très original

Paysan fromager en reconversion, Pierre-Yves Renault devait démarrer la commercialisation de ses produits lors de la première semaine de confinement. « Ça a perturbé mes plans, c’est le moins que je puisse dire… Pour rebondir, j’ai créé un point de vente sur la ferme. Beaucoup de voisins s’y rendent. Le bouche à oreille fonctionne bien et je sens que les gens viennent aussi parce qu’ils ont du temps et qu’ils l’exploitent pour partir à la découverte de leur environnement proche. Poussés par la curiosité, ils découvrent ma ferme qui s’aperçoit depuis la route. J’écoule aussi ma marchandise en me rendant sur l’Île de Nantes où je livre. La période n’est donc pas chômée ! Chez mes voisins et amis producteur.ice.s, le constat est le même :  ils.elles sont débordé.e.s et la fatigue commence à se faire sentir » témoigne Pierre-Yves.

Un paradoxe : les urbains réclament davantage de produits auprès d’agriculteurs toujours moins nombreux

Né dans les années 1980 à San Francisco, le mouvement locavore n’est pas récent. A Nantes, comme dans de nombreuses villes, les habitant.e.s réclament toujours davantage de produits bio acheminés en circuit court. Si Pierre-Yves Renault ressent cette demande, il pose un regard lucide sur le paradoxe qui l’accompagne : « Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et beaucoup d’entre eux vont partir à la retraite dans les prochaines années. En outre, le problème de l’approvisionnement en local provient aussi du coût de transport, supporté par les paysans. Enfin, les politiques nationales n’encouragent pas le circuit court. La FNSEA, syndicat majoritaire des agriculteurs, n’a de cesse de promouvoir une agriculture compétitive, autrement dit intensive, très éloignée de la logique du circuit court ».

Pierre-Yves Renault lors d’une rencontre sur l’oenologie en février dernier.

Après la crise : des pistes pour favoriser le circuit court à Nantes

Fervents défenseurs d’une agriculture locale de qualité et accessible à tous, Anne Gruand et Pierre-Yves Renault esquissent quelques pistes pour promouvoir la distribution des produits alimentaires en circuit court à l’issue de la crise sanitaire.

Anne Gruand : « Il faut inviter les producteurs à venir distribuer leurs produits au coeur des quartiers, dans des lieux qui bénéficient de la plus grande visibilité possible. Améliorer la signalétique (panneaux, affichages en plusieurs langues…) permettrait d’informer les habitant.e.s sur les livraisons proches de leur domicile, tout en rappelant les valeurs solidaires qu’il y a derrière le circuit court, l’agriculture bio et les AMAP. Ayons également la fracture numérique en tête ! Beaucoup de paniers se commandent via le web. Or, les personnes défavorisées ont un accès difficile au numérique ».  

Pierre-Yves Renault : « Des lieux pourraient être mis à la disposition des producteur.ice.s et des consommateur.ice.s pour que les distributions des produits soient plus confortables. Ces lieux pourraient par exemple être des commerces de proximité ou bien des locaux dédiés à ce type d’activités, génératrices de lien social. Cette dernière solution invite à poser un nouveau regard sur nos aménagements urbains, notre façon de concevoir et de construire la ville ».

Pour en savoir plus

Coronavirus : quand les Nantais réinventent des solidarités pendant le confinement. Médiacités. 9 avril 2020

https://www.mediacites.fr/solutions/nantes/2020/04/09/coronavirus-comment-les-nantais-reinventent-des-solidarites-pendant-le-confinement/

Coronavirus. Avec le confinement, le circuit court fait un boom en Loire Atlantique. Ouest France. Le 28 mars 2020. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/coronavirus-avec-le-confinement-le-circuit-court-fait-un-boom-en-loire-atlantique-9228bd54-7018-11ea-9597-f4909ab5c06f

Coronavirus : l’alimentation en circuit court est plébiscitée par les Français (un article du journal Le Monde en date du 20 avril 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/20/l-alimentation-en-circuit-court-est-plebiscitee-par-les-francais_6037137_3234.html)

Les circuits courts alimentaires créent de nombreux emplois. Reporterre. 25 Janvier 2017. https://reporterre.net/Les-circuits-courts-alimentaires-creent-de-nombreux-emplois

Derrière l’appel à la main-d’œuvre, les difficultés d’un monde agricole précarisé. Mediapart. 18 avril 2020

https://www.mediapart.fr/journal/france/180420/derriere-l-appel-la-main-d-oeuvre-les-difficultes-dun-monde-agricole-precarise