Pour préserver la Seine, donnons-lui des droits !

préserver la Seine
préserver la Seine

La nature a-t-elle des droits, et si oui comment les faire appliquer au mieux ? Face à la dégradation, voire la destruction irrémédiable de la nature, l’attribution de droits à des entités non-humaines tend à devenir un sujet de première importance. Cela est d’autant plus d’actualité que l’intégration prochaine du climat et de la biodiversité dans l’article 1er de notre Constitution témoigne d’une prise de conscience grandissante et d’une évolution significative du droit. 

À Paris, c’est précisément une entité vivante qui incarne la capitale depuis des siècles : nous voulons bien sûr parler de la Seine. Au long de ses 776km, ce fleuve est malheureusement à la portée d’agressions multiples, polymorphes et fréquentes : pollutions en tout genre, projet massifs de bétonisation et d’industrialisation ainsi qu’accidents ponctuels, comme le scandale du déversement de béton par Vinci à Nanterre en avril ou celui de rejets toxiques par la station d’épuration d’Achères (Yvelines), usine Seveso seuil haut, le 3 juillet dernier. Un incendie s’est déclaré dans un grand bâtiment contenant des cuves de chlore obligeant au rejet d’eaux usées brutes dans la Seine. Sept tonnes de poissons morts ont été repêchés en quelques jours, asphyxiés faute d’oxygène. La pêche est interdite sur 40 communes de l’Eure et le risque de pollution pourrait durer deux ou trois ans le temps de la réparation. En parallèle, avec plus de trois cents communes bordant le fleuve et dix-sept millions d’habitants dans son bassin versant ; ce n’est pas uniquement l’espace naturel lui-même qui est menacé mais aussi toute la biodiversité qu’il accueille, et jusqu’aux femmes et aux hommes qui cohabitent avec elle.

Donner à la Seine les moyens de se défendre sur le plan juridique apparaît ainsi essentiel, pour la protéger elle, mais aussi pour protéger tous ceux qui vivent en interaction et en interdépendance avec le fleuve. Nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre une catastrophe pour invoquer un préjudice écologique, il nous faut aujourd’hui prévenir les dommages causés à cet écosystème vital et reconnaître sa valeur intrinsèque. D’où la proposition d’une personnalité juridique qui permette de faire respecter son droit fondamental d’exister, de s’épanouir, de se régénérer et d’évoluer, ainsi que son droit inhérent à la restauration, au rétablissement et à la conservation : idée que l’association « La Seine n’est pas à vendre » avait déjà formulée l’année passée. Aujourd’hui, c’est pour nous une priorité politique. 

Bien sûr, de nombreuses lois existent déjà en ce qui concernent la préservation de l’environnement. Le Parlement en a ainsi adopté une trentaine entre 1958 et 2005, date à laquelle la Charte de l’environnement est entrée dans le préambule de la Constitution, en mettant en avant la diversité biologique et la préservation des ressources naturelles. Cependant, tous ces moyens légaux ne permettent pas encore à la Seine de se protéger suffisamment des projets d’accaparement  qui la vise, des dégradations liées aux très fortes densités urbaines sur son parcours ou aux innombrables rejets agricoles ou industriels. Lui reconnaître la personnalité juridique, en associant à l’affirmation de cette dernière l’ensemble de ses citoyen.ne.s et riverain.e.s, visera d’abord à lui apporter des garanties bien plus fortes et nombreuses que ce dont elle peut aujourd’hui bénéficier, en s’inspirant de démarches similaires en d’autres endroits du monde.

Ainsi, en Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui s’est vu reconnaître une personnalité juridique ainsi que la Gange en Inde ou le Rio Atrato en Colombie. Même aux Etats-Unis, les cas se multiplient. En février dernier, c’est un lac asphyxié par la pollution agro-industrielle qui est devenu sujet de droit. Les résident.e.s de Toledo (Ohio), une agglomération de 600.000 habitants vivant au bord du lac Erié, l’un des Grands Lacs du Nord-Ouest américain, ont ainsi approuvé par référendum une « Déclaration des droits du lac Erié » afin de pouvoir intenter des poursuites judiciaires contre les atteintes à son intégrité et à son droit à vivre et à prospérer naturellement. En mai, c’est le fleuve Klamath qui coule à la frontière de l’Oregon et de la Californie qui s’est vu reconnaître par la nation Yurok les droits « d’exister, de s’épanouir et un climat stable, exempt des impacts du changement climatique causé par l’homme ;  et d’être exempte de contamination par des organismes génétiquement modifiés ». Pourquoi ne pas faire de même, en commençant par l’un des fleuves les plus emblématiques de France ?

Cette affirmation juridique est une nécessité pour la sauvegarde du fleuve et de tous les vivants qui en dépendent intimement. Elle est partie intégrante de l’écosystème de Paris, en plus d’être un symbole de son histoire et de son développement. « La rivière est le symbole animé de toute la vie qu’elle soutient ou nourrit » écrivait en 1972, dans une « opinion dissidente » devenue célèbre, le Juge William Douglas, alors membre de la Cour suprême américaine. « Poisson, insecte aquatique, cincle d’Amérique, outre, martre, biche, élan, ours, et tous les animaux homme compris qui en dépendent ou qui jouissent de sa vue, de ses bruits, de son énergie. La rivière comme sujet de droit parle pour cette communauté écologique vivante, et qui fait partie d’elle. Et tous ceux qui se trouvent liés à elle de manière significative, qu’ils soient pêcheurs, canoéistes, zoologues ou bûcherons, doivent pouvoir s’exprimer au nom des biens de valeur que la rivière représente et que la destruction menace ». Près de cinquante ans plus tard, le droit sur ce point n’aura pas assez évolué, tandis que la compréhension de la fragilité de l’environnement et de la nécessité de le protéger aura fait des pas de géants. A part quelques noms d’espèces peu courantes entre Bourgogne et Normandie le texte paraît concerner aussi bien les cours d’eau d’ici que de Californie. Ne reste plus alors qu’à le traduire, concrètement, sur nos rives.

Publié dans Libération

par David Belliard, candidat écologiste à la mairie de Paris ; Julien Bayou, conseiller régional IDF et porte-parole d’EELV ; Valérie Cabanes, juriste en Droit International spécialisée dans les Droits de l’Homme et le Droit humanitaire à l’initiative du mouvement citoyen européen pour la reconnaissance du crime d’écocide ; Gwenaël Querrien, architecte-urbaniste et membre de l’association “la Seine n’est pas à vendre” ; Lucas Surel, militant écologiste et citoyen de la Seine ; Marie Toussaint, députée européenne écologiste et juriste spécialisée dans le droit de l’environnement, ancienne présidente de l’ONG “Notre affaire à tous”.