Quand les élu-es de droite bafouent le débat démocratique
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Cet article met en lumière les dysfonctionnements de l’institution régionale depuis la prise de pouvoir par la droite. Ce qui est décrit est, malheureusement, notre quotidien. Nous déplorons que l’institution soit instrumentalisée à des fins de communication, de promotion de partis politiques et des ami-es dans les territoires plutôt qu’au service des citoyennes et des citoyens.

Un débat démocratique tronqué

Tous les ans, chaque groupe politique a l’opportunité de présenter un rapport-cadre qui, s’il est voté par l’assemblée régionale, devient une politique publique mise en oeuvre par l’exécutif.

Pour cette séance, notre groupe a proposé un rapport en deux parties :
1- Se fixer l’objectif de 50% de bio dans les cantines de lycées et des CFA ;
2- Engager un « projet alimentaire territorial » pour dynamiser toute la filière alimentaire francilienne locale et notamment biologique.

Acte 1 : Mise en ligne de notre rapport

Pour respecter les délais, nous transférons le mercredi 22 février 2017 notre projet de délibération et son exposé des motifs à l’administration régionale. Il est donc disponible pour l’ensemble des élu-es et l’exécutif le vendredi 24 février à 19h35.

Notre rapport s’appelle CR 2017-67_NICHE EELVA_POUR UNE ALIMENTATION 50% BIO DANS LA RESTAURATION DES LYCEES ET CFA EN 2025 – UN “PLAN ALIMENTAIRE TERRITORIAL FRANCILIEN” (PATF).

Le mardi 28 février à 10h11, l’exécutif met à disposition un rapport très important pour les lycées franciliens : « PLAN D’URGENCE POUR LES LYCEES FRANCILIENS : DES LYCEES NEUFS ET RENOVES POUR TOUS D’ICI 2027 (PPI : Plan Pluriannuel d’Investissement) ». Un rapport qui prolonge et propose de nouvelles opérations d’investissements dans les lycées franciliens.

Dans ce rapport, l’exécutif a ajouté en dernière minute un article 8, un peu « cavalier » (en clair, qui n’a pas grand chose à faire le coeur même du sujet de l’investissement), qui dit la chose suivante :

Article 8 : Restauration, circuits courts, produits locaux et biologiques
Décide que 100% des cantines des lycées seront approvisionnées en circuits courts, en priorité par des produits locaux, avec un objectif de 50% de produits bios d’ici 2024. Mandate la Présidente du Conseil régional pour conduire, dès 2017, une expérimentation en Seine-et-Marne.

Vous noterez sans difficulté l’ironie de cet article qui fixe 2024 comme objectif. Ce qui permet à certain-es élu-es de la majorité de droite de nous dire, en substance : « Vous voyez, nous, ont est plus ambitieux parce que l’on a fixé 2024. » Nous y reviendrons.

Acte 2 : Présentation de notre rapport dans les commissions thématiques

Scène 1 : la mise à disposition du rapport pour les élu-es

L’organisation est ainsi faite que tout rapport proposé au vote du Conseil Régional doit être examiné par les commissions thématiques, qui doivent émettre un avis avant l’assemblée plénière.

Notre rapport étant très transversal (il propose une organisation de la filière alimentaire), il aurait dû, en toute logique, être examiné par les commissions suivantes :

  • finances (pour évaluer l’impact sur les finances régionales)
  • développement économique, emploi et innovation (il y a de grands potentiels de création d’emploi en relocalisant la chaine alimentaire)
  • éducation (les lycées et les CFA sont gérés dans cette délégation)
  • environnement et aménagement du territoire (bonne pratiques agricoles, foncier)
  • affaires européennes (quels dispositifs européens pour financer ce projet ?)
  • ruralité et agriculture (l’agriculture évidemment mais aussi les commerces de proximité, les marchés, etc.)
  • formation professionnelle et apprentissage (les besoins en formations sur toute la chaîne seront éminemment croissants)
  • administration générale (il pourrait être nécessaire de dédier un service pour la mise en place d’un Projet Alimentaire)
  • enseignement supérieur et recherche (un Domaine d’Intérêt Majeur pourrait être sollicité pour l’étude et le suivi de tous les aspects d’un projet alimentaire)
  • tourisme (l’enjeu touristique autour des pratiques alimentaires et des labels locaux est évident)
  • santé (quand on sait les liens entre santé et qualité de l’alimentation et de l’impact des pratiques sur l’environnement des population, c’est une évidence).

Or, il est navrant de constater que les commissions thématiques sont surtout des chambres d’enregistrement où le débat d’idées et la co-construction autour des propositions sont inexistants. L’exécutif de droite joue alors un jeu qui consiste à limiter le nombre de commissions qui seront sollicitées sur les rapports.

Notre rapport ne sera présenté que dans 5 commissions (environnement et aménagement du territoire, développement économique, de l’emploi et l’innovation, ruralité et agriculture, éducation et finances).

Scène 2 : la présentation du rapport dans les commissions

Dans ces commissions nous avons constaté que la grande majorité des élu-es de droite n’avait lu du rapport que le titre. Et encore, ils n’en avaient surtout retenu que la première partie (rappelez-vous les 50% de bio à horizon 2025 dans les lycées et les CFA) pour  nous dire, non sans fierté et malice, que notre rapport n’avait plus lieu d’être puisque c’était déjà dans l’un de leur rapport (celui sur l’investissement dans les lycées, l’article 8) mais que eux étaient encore plus « forts » puisqu’ils ambitionnaient d’atteindre cet objectif en 2024. Quoi de plus normal que de se comporter comme des enfants dans une cour d’école quand il s’agit d’éducation… Bref, passons.

Le plus fort étant la présentation du rapport sur l’investissement dans les lycées où la vice-présidente, Mme Evren, tellement engagée et volontaire pour la mise en place du bio dans les cantines, a oublié de présenter l’article 8 y faisant référence. Tout un symbole qui ne semble choquer personne.

La Présidente de région, en « conférence des présidents » (une instance qui réunit l’ensemble des présidents des groupes politiques pour se mettre d’accord sur l’organisation de la séance plénière), annonce sans vergogne qu’il y a un problème avec notre rapport puisque nous proposons quelque chose qu’elle a déjà prévu. Tout un poème !

Pas plus que la défection des élu-es de droite qui ont quitté les commissions avant la fin et n’ont pas pu/voulu assister à la présentation.

Pour compléter le tableau, à l’issue de quelques commissions, certain-es élu-es de la majorité de droite nous ont avoué qu’ils n’avaient pas lu notre rapport et qu’ils s’en remettaient à l’avis de la Présidente.  Il faut reconnaitre, à ce stade, leur honnêteté : n’ayant pas lu le rapport, ils n’ont pas participé au vote. Alors, seul-es les élu-es de l’opposition se sont prononcé-es pour et ont donc été majoritaires. Ce qui a valu un avis favorable de notre rapport dans les commissions.

A ce stade, nous ferons une brève parenthèse sur les conditions de travail des élu-es. Si nous avons mis à disposition des élu-es notre rapport dans les temps pour permettre un examen sérieux, dans des délais raisonnables, il n’en est rien pour la majorité de ceux présentés par la Présidente de région. Souvent, les rapports ne sont disponibles deux ou trois jours avant la commission thématique, lorsque ce n’est pas après pour certains. Alors oui, parfois à cause des délais courts nous n’avons pas la possibilité de tous les analyser. Alors nous ne participons pas au vote.

Acte 3 : Dans les coulisses de l’assemblée régionale

Scène 1 : le retour du week-end a été studieux pour certain-nes

Entre la fin des commissions thématiques et l’assemblée régionale, il y a quelques jours qui permettent, éventuellement, une révision de dernière minute pour celles et ceux qui n’avaient pas pris le temps de travailler. C’est sans doute ce qui s’est passé le week-end des 4 et 5 mars parce que, dans les couloirs du conseil régional, nous avons eu des remarques positives de quelques élu-es de droite : « C’est intéressant votre proposition », « je le voterai bien votre rapport », « on n’avait pas vu que vous proposiez un Plan Alimentaire Territorial », etc.

Comme quoi, lorsque l’on se penche un peu sérieusement sur les propositions de chacun-e, il est possible de trouver des points de convergence au service de la population. C’est en tout cas ce que nous pensions… Mais c’était sans compter sur le dogmatisme de la droite dirigée par Valérie Pécresse.

Scène 2 : sortir du dogmatisme et aller de l’avant

L’usage veut que les groupes politiques puissent améliorer les rapports qui leurs sont soumis par voie d’amendement. Dans le cas précis d’un rapport soumis par un groupe, il est possible pour celui-ce de porter des amendements en réponse à ceux déposés par les autres groupes. Pour cette fois, aucun groupe de droite n’a fait l’effort de proposer des améliorations. Les groupes minoritaires ont fait ce travail, ce qui nous permet de faire un amendement en réponse intégrant les objectifs que la droite s’est donnés dans l’article 8 de son rapport sur les investissements des lycées. Puisque nous partageons des objectifs communs, autant ne pas créer de polémique inutile et nous satisfaire de cette avancée quasi historique. Rappelons que le Sénat, majoritairement à droite, s’était prononcé contre cet objectif quelques semaines plus tôt.

Une fois cet objectif partagé, il ne nous restait plus qu’à discuter de la méthode pour y arriver et, en ce sens, le Plan Alimentaire Territorial semble être l’outil idéal. Nous abordions donc confiants les débats en séance plénière. D’autant plus confiants que, sur certains territoires, des élu-es LR connaissent cette démarche. Pour l’exemple, le Plan Alimentaire Territorial est en cours d’élaboration sur le territoire de la communauté des Pays du Limours, dont le président est Jean-Raymond Hugonet (membre du groupe LR au Conseil Régional et élu dans la commission Ruralité et Agriculture). Lien sur le document de présentation.

Acte 4 : Présentation du rapport… et sabotage par la Présidente de région

Cette dernière partie s’est déroulée dans l’hémicycle. Les séance sont filmées, voici quelques morceaux choisis pour expliquer ce qu’il s’est passé.

Présentation de notre rapport :

A tout moment, l’exécutif peut déposer des amendements pour proposer des améliorations sur le texte. La Présidente de Région a utilisé cette possibilité pour modifier intégralement notre rapport et le vider de sa substance. Sans aucune concertation, en un acte ultime d’autoritarisme.

La délibération telle que nous la proposions

La délibération imposée par Valérie Pécresse

(à noter que nous étions prêts à modifier l’article 1 qui reprend les termes d’un rapport qui a été voté le même jour):

L’article 2 : confirme que la droite pense que les solutions sont uniquement entre les mains des agriculteurs.

L’article 3 : « … réfléchir à l’opportunité … » – Comme nous l’avons vu plus haut, sans débat et travail sérieux dans les commissions, il n’a pas été possible aux élu-es de droite de mesurer tous les avantages d’un PAT comme cela a été fait dans d’autres régions.

L’article 4 : nous ne comprenons pas bien la présence de cet article qui, encore une fois, considère que seuls les agriculteurs sont des acteurs de la filière alimentaire.