Voir le rapport : CR_82-16_décrochage scolaire (les temps d’interventions sont limités par une durée proportionnelle à la représentativité dans l’hémicycle)
Bénédicte Monville-De Cecco
« Bien que nous partagions son objectif, nous pensons que ce rapport véhicule une vision fausse des causes du décrochage scolaire et fait preuve de biais idéologiques assez graves. La principale raison du décrochage se situe dans les inégalités sociales et culturelles. Les difficultés économiques et l’éloignement culturel de la famille, relativement aux prérequis nécessaires à la réussite scolaire, sont des variables constantes et seules pertinentes pour expliquer l’échec scolaire et le décrochage. Selon la sociologue de l’éducation Marie DURU-BELLAT, « dans une société plus égale où les familles auraient des conditions de vie plus égales et un niveau d’instruction plus égal, il y aurait moins d’échecs scolaires ».
Le rapport produit par la majorité noie ces raisons principales dans une série de raisons plus anecdotiques. Il naturalise aussi l’échec scolaire en parlant d’une « orientation non adaptée au potentiel de l’élève ». Il est peut-être nécessaire de rappeler l’égalité de capacité de tous les élèves à accéder au savoir scolaire. Notre école organisée sous la IIIe République en système extrêmement élitiste ne sait pas tenir compte des rythmes différents d’apprentissage des élèves. La responsabilité ne revient pas aux lycéens, mais aux personnes ayant institué et promouvant un système scolaire qui vise essentiellement à objectiver l’éviction des classes populaires de l’école et à perpétuer un système de domination d’une classe sur les autres à travers son « mérite » scolaire.
Ce rapport précise certes que le décrochage touche principalement la voie professionnelle, mais il ignore les raisons évidentes pouvant détourner les familles du choix d’une orientation professionnelle. Il ne cite pas les mauvaises conditions de travail des personnes occupant des emplois peu ou pas qualifiés qui ne sont plus compensés par des droits sociaux plus avantageux, les très faibles salaires ou l’espérance de vie inférieure de dix ans en moyenne pour les ouvriers par rapport aux autres travailleurs. Cet examen attentif des motifs éveille notre inquiétude face à une des propositions de la majorité régionale « d’améliorer le travail sur l’orientation ». S’agira-t-il d’accompagnement ou de suggestions ? S’agira-t-il d’éclairer les lycéens sur leurs choix disponibles ou de les persuader que l’orientation de leur choix est inadaptée à leur potentiel ?
De plus, ce rapport poursuit l’entreprise de remise en cause systématique du service public de l’éducation par sa privatisation progressive en passant par des voies annexes, à la suite des exécutifs de droite successifs au plan national. Il institue des tutorats à la demande pouvant être assurés par des étudiants, salariés ou retraités. C’est dévoyer le sens du tutorat dans l’éducation, qui est une relation fondée sur l’échange réciproque et non sur un rapport marchand et qui a toujours été utilisé entre pairs pour développer la capacité des uns et des autres à transmettre et à approfondir ses connaissances.
Le rapport propose également de renforcer le travail commun de tous les acteurs d’un territoire, y compris avec les acteurs de l’insertion sociale et professionnelle, sans préciser à quel modèle économique, lucratif ou non ceux-ci pourront appartenir. Il propose de moderniser et professionnaliser le suivi des jeunes qui décrochent, avec la volonté à peine dissimulée de recourir à une prestation de service sans préciser la qualité des prestataires, ou de confier à un prestataire privé les appels téléphoniques de premier contact avec les jeunes sans restriction sur les conditions de travail des employés, bien que les centres d’appels téléphoniques soient souvent de très mauvais exemples en matière de gestion du personnel voire de dumping social.
Contrairement à l’objectif de ce rapport, nous n’en partageons ni les motifs ni la plupart des axes mis en œuvre. »
