CR 95-16 : LES GRANDS TÉMOINS CONTRE LE TERRORISME
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Voir le rapport : CR_95-16_grands témoins terrorisme (les temps d’interventions sont limités par une durée proportionnelle à la représentativité dans l’hémicycle)

Bénédicte Monville-De Cecco

« Madame la Présidente. Penser un phénomène aussi grave et complexe que le terrorisme devrait nous interdire toute approche trop simpliste. Or c’est malheureusement ce que vous nous proposez ici. Cela devrait vous amener à ne surtout pas vous limiter à proposer des témoins directs, dont les affects et leur énonciation pathétique peuvent certes avoir une fonction édifiante, mais à condition qu’ils s’accompagnent d’une démarche intellectuelle critique, menée par des enseignants du secondaire et des chercheurs en sciences sociales et humaines.

Sinon, nous risquons au contraire de plonger les lycéens auxquels nous nous adressons dans une sidération rarement propice à la réflexion. La distance face à l’événement, en particulier quand il atteint un tel niveau de violence et une dimension historique – comme c’est le cas ici –, est une condition de la réflexivité critique. Le temps long est indispensable pour approcher la complexité d’un phénomène comme le terrorisme, qui accompagne notre modernité, bien qu’il ait pris des visages et revêtus des expressions variés au cours de l’histoire. Le terrorisme ne se limite pas à la forme particulière qu’il prend aujourd’hui dans notre société. Toutes ses victimes sont également dignes que nous nous battions pour mettre fin à ces formes odieuses de lutte, et aux systèmes sociaux et politiques qui les nourrissent. Permettre à ce regard éloigné de s’exprimer, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Claude Lévi-Strauss, est une nécessité si nous voulons donner aux lycéens la possibilité de comprendre les causes à la fois structurelles et conjoncturelles qui peuvent pousser des groupes d’individus, mais aussi parfois des États, à recourir au terrorisme.

L’institutionnel ne peut pas s’improviser pédagogue, vous nous en donnez une preuve supplémentaire aujourd’hui, parce que ce rapport n’est pas seulement un coup de communication, il relève de la forfanterie intellectuelle, mais aussi, et c’est plus grave, d’un engagement à géométrie variable. Sinon, pourquoi diminuer drastiquement les subventions des associations de quartier et de lutte contre les discriminations ?

Monsieur SANDLER l’a rappelé tout à l’heure, exactement comme je viens de l’écrire : le terrorisme ne se limite pas à la forme qu’il prend actuellement. Il est suscité par des systèmes sociaux et des systèmes politiques. Il se doit d’être pensé de manière complexe, avec des gens qui ont le recul nécessaire pour penser de manière complexe ce phénomène extrêmement grave. Il appelle non seulement les témoins dont vous parlez, mais aussi des personnes qui ont justement ce regard éloigné que j’évoque, et qui est impérativement nécessaire ici. Alors, cessez ce théâtre ; cessez de réduire ce qu’il vient de se passer à des affects, comme vous êtes en train de le faire ; cessez de nous donner cette démonstration que vous n’avez strictement rien compris à ce qu’est le terrorisme. Vous n’êtes pas une enseignante, Madame la Présidente, vous êtes une politique. Ce que vous faites ici est grave, parce que vous nous interdisez et vous interdisez aux lycéens de penser le terrorisme dans toute sa complexité pour pouvoir y remédier de manière durable, et non pas les sidérer avec des témoignages qui, bien sûr, sont extrêmement importants, mais qui, par leur force, leur interdiront de penser le phénomène auquel ils sont confrontés tous les jours et qui contribue malheureusement à leur rendre absolument intolérable le monde dans lequel ils vivent.

Sortez de ces postures, Madame la Présidente. C’est scandaleux. Ce n’est pas à vous de dire aux enseignants ce qu’ils doivent faire ni comment ils doivent le faire. Vous faites du théâtre, c’est ridicule. »

Explication de Vote

Pierre Serne

« Madame la Présidente, chers collègues. Prenant acte du fait que vous avez accepté deux amendements qui nous paraissent très nettement élargir la portée de ce rapport, et justement comme nous avons essayé de l’expliquer, sortir du strict témoignage et de l’émotion pour aussi entrer dans un projet plus pédagogique, plus large et faisant aussi la part aux explications et aux équipes enseignantes, nous considérons que ce rapport change un peu de nature, et nous n’avons pas de problème à le voter. »