Plénière du 12 avril – Position du groupe sur l’industrie

séance plenière

Intervention de Sandrine Rousseau, vice-présidente Enseignement supérieur et Recherche (EELV)

« Permettez-moi de partir du concept de compétitivité pour vous convaincre de l’importance stratégique de la recherche pour conserver nos emplois dans le Nord – Pas de Calais et notamment nos emplois industriels.

Deux types de compétitivité : « compétitivité coût » et « compétitivité hors coût »

Sur la compétitivité coût, le salaire en est un des éléments mais pas le seul, ni le plus déterminant. Nous Sandrine-Rousseau1-150x150avons des salariés qui sont productifs et la France se classe selon les études en première, deuxième ou troisième position en terme de productivité : nous avons les salariés parmi les plus efficaces du monde. Un des éléments importants de la compétitivité coût, qui est souvent négligé, c’est la question de l’accès et du prix aux ressources : prix des ressources énergétiques et aussi des autres ressources, comme les métaux par exemple.

Et puis il y a la compétitivité hors coût. Aussi déterminante que la première, elle porte sur notre capacité à ne pas être sur des secteurs en concurrence avec des pays à bas salaires. En d’autres termes, elle concerne notre capacité à anticiper les mutations des secteurs industriels, à ancrer territorialement notre industrie pour que « emplois », « services » et « consommation » puissent être dans un périmètre restreint.

Sur ces aspects l’enseignement supérieur et la recherche ont quelque chose à apporter.

Sur l’aspect compétitivité coût et sur l’aspect formation des salariés, qui sait que dans la région une offre d’emploi sur deux demande un niveau bac + 3 minimum ? Qui sait que la moitié des offres d’emploi réclame le niveau bac ? Et qui sait que moins d’un jeune sur 3, moins de 30 % d’une classe d’âge, atteint le niveau bac + 3 ?

Nous avons un véritable enjeu qui est de former les jeunes pour qu’ils atteignent ce niveau bac + 3 afin de mieux pouvoir répondre aux offres d’emplois. Sachant que cette montée en compétences, ce niveau d’études toujours supérieur est une tendance longue au niveau régional, et que les emplois s’orientent de plus en plus vers des emplois qualifiés du supérieur.

40 % des salariés de l’industrie, et particulièrement l’industrie manufacturière, ne seront plus en activité en 2020. Nous sommes dans une vraie transition énergétique et industrielle et également dans une transition de la qualification de la main d’œuvre de notre région. Il faut le prendre en compte dans les politiques « formation ».

Sur la recherche, comment anticiper les changements :

Un des premiers facteurs qui pèse sur la compétitivité des entreprises c’est la question énergétique. Nous avons dans la région des entreprises qui sont très consommatrices d’énergie. Pour les aider à être plus compétitives, à moins dépendre de l’énergie et à baisser leurs charges énergétiques, il est absolument indispensable que nous ayons un pôle de recherche en matière d’énergie extrêmement performant, puisque les solutions ne sont pas toutes trouvées aujourd’hui d’une moindre dépendance à l’énergie.

Le journal Les Echos (que l’on ne peut taxer d’être une bande d’écolos rêveurs) titrait la semaine dernière que la transition énergétique dans son ensemble représentait un potentiel pour la France de 600 000 emplois et j’espère que dans la région nous en obtiendrons une partie.

La ministre Delphine Batho qualifie la transition énergétique de secteur d’emplois de demain et estime à 10 000 le nombre d’emplois dans les énergies marines, à 30 000 le nombre d’emplois possiblement créés par les smart grids, ces réseaux intelligents qui font que l’on dépense moins d’énergie ; et précisément nous avons les forces de recherche dans la région sur ces deux dimensions

Nous avons des forces de recherche en matière d’énergie, nous avons un pôle de recherche sur les smart grids et sur les réseaux intelligents. Nous avons aussi un pôle de recherche très fort sur les énergies éoliennes. Pour compléter la transition énergétique il faudrait que nous ayons un pôle de recherche important sur le démantèlement du nucléaire …

Une autre source de création d’emplois : c’est le stockage de l’énergie. L’université de Lille 1, de Valenciennes, les Arts et Métiers sont en pointe sur ce sujet. Nous devons donc conforter cette avance pour lier davantage notre recherche à l’activité économique et ainsi conforter nos emplois dans la région.

Sur les transports : si l’on regarde le ferroviaire, on s’aperçoit rapidement que notre force en recherche sur le ferroviaire est un atout non négligeable pour garder les emplois dans la région et pour faire en sorte que les activités de production soient proches des secteurs de recherche.

Il faut évidemment que nous développions la recherche autour de l’automobile de demain mais bien  plus que cela, il est impératif de développer la recherche autour de l’écomobilité. Elle est un gros pôle de recherche et d’emploi. Ce sont de nouveaux modes de transport. Le vélo est considéré comme anecdotique. Pourtant les études convergent pour dire qu’un développement du vélo créerait en France 45 000 emplois. Quand on compare à l’emploi dans l’automobile dans la région (36 000), on se dit qu’il y a un potentiel. Il y a des chercheurs qui travaillent actuellement à un prototype de vélo en carton, utilisable sous la pluie, jetable et qui peut être recyclable complètement et acheté pour 10 € à la sortie des gares … Il y a aussi la dimension des services associés à l’écomobilité.

Le textile est l’une des industries fortes dans le Nord – Pas de Calais. Une industrie sur laquelle nous sommes en concurrence avec les pays à bas salaires. Grâce à la recherche, nous finançons un projet qui s’appelle CrossTexNet et qui associe beaucoup des pays européens qui ont une industrie textile. Ce projet de recherche nous permet de sortir d’une concurrence faussée et déloyale avec des pays à bas salaires, pour encourager la coopération et surtout répartir les activités de production du textile sur l’ensemble de l’Europe.

L’agro alimentaire est un colosse aux pieds d’argile. Les crises peuvent affaiblir cette filière de manière brutale. Là aussi, la recherche peut aider sur la sécurité,  la traçabilité, sur les circuits courts, et ce sera sans doute un atout pour demain.

Un des secteurs les plus dynamiques et l’un des plus créateur d’emplois, c’est le secteur des services à haute et très haute technologie. Ces services sont adossés aux activités industrielles et donc aux emplois industriels. Ces services ne doivent pas être négligés et j’en viens aux nouvelles technologies dans lesquelles notre potentiel en recherche est très fort. Nous sommes une des régions les plus dynamiques, il faut savoir s’appuyer là-dessus. Les nouvelles technologies nous aideront dans la transition énergétique, dans l’éducation et dans la montée en compétence des emplois industriels.

Pour faire tout cela nous avons des atouts : des chercheurs, des spécialisations en recherche, une aide de l’Europe, le FEDER, le CPER, des outils financiers, il faut maintenant oser.

Pour conclure, je réponds à  Frédéric Motte, président du CESER qui déclarait hier lors du bureau du SRDE : « à force d’être plus performant sur les normes environnementales en France qu’en Europe, à force d’être plus performant sur les normes environnementales et les exigences environnementales dans la région Nord – Pas de Calais, nous n’aurons plus que des normes et les entreprises auront disparu ».

Je réponds que précisément c’est parce que nous anticiperons ces normes, parce que nous préserverons les ressources, que nous aurons un temps d’avance et que nous préserverons l’emploi dans la région.

J’attire votre attention sur le fait que parmi les gros dangers qui menacent l’industrie il y a le prix des métaux et des métaux rares. La Chine est en quasi monopole sur ces questions. Si nous ne développons pas une activité de recyclage rentable qui permette de diminuer le prix d’accès aux ressources nous condamnons possiblement notre industrie qui utilise des métaux rares – l’automobile notamment – c’est donc un enjeu important d’anticiper les évolutions de demain : les normes et le respect de l’environnement seront beaucoup plus un atout qu’un handicap ! »

Intervention Jean-François Caron, président du groupe :

JF Caron« Le sujet est aigu pour notre région, au regard de son histoire et de son passé économique. Il est donc très chargé de symbolique, il peut même être identitaire.

Comme notre groupe va être amené à préciser ses nuances face à d’autres postures, il m’apparait important de préciser quelques données, pour que le débat et les positions des uns et des autres soient comprises

Je souhaite donc commencer par préciser ce qui relève de ce qu’on peut appeler le modèle industriel en le distinguant du secteur industriel

1) De quoi parle t’on quand on parle industrie ?

–          le secteur, les activités (industrie manufacturière, transformation de la matière : acier, textile, construction, ..)

–          le modèle, porté par l’industrie fordienne, basé sur l’intensification du travail ( plus vite, plus longtemps), la spécialisation (division du travail), le progrès technique, les économies d’échelle. Le tout déterminant la productivité. Ce modèle est d’ailleurs présent ailleurs (dans l’agriculture, parfois même les services)

Le secteur industriel va-t-il encore exister ? Oui bien sur, les activités manufacturières vont continuer

Mais le modèle non ! C’est le modèle qui mène à l’impasse.

2) Comprendre la crise industrielle, nous estimons que nous sommes dans une triple impasse: emploi, travail, écologique

Quelles sont les deux raisons ?

 – La demande baisse. Les réponses souvent apportées pour renouveler le marché tournent autour de l’innovation (faire passer de mode rapidement un objet avec de nouveaux modèles), ou de l’obsolescence programmée (on définie à l’avance la durée de vie d’un produit)

Mais d’une part on continue à consommer de la matière, de l’énergie et on voit bien les conséquences écologiques et d’autre part, on a quand même des problèmes d’emplois car on n’a pas d’augmentation du volume vendu.

Dans ce modèle, plus on veut être compétitif, plus on perd des emplois. Paradoxalement.

Et si on est plus compétitif on en perd aussi.

Première conclusion : On peut donc essayer de sauver les emplois, mais on ne pourra pas en créer de nouveaux en continuant à appliquer le modèle existant : une économie tirée par la production de biens ne constitue pas l’espoir pour revenir au plein emploi

– La crise écologique, la crise environnementale sur l’accès à la matière, aux ressources naturelles, fossiles (gaz, charbon, pétrole) l’exemple de l’accès à l’énergie est la pour nous rappeler que plus la ressource diminue, plus son cout est cher, plus il y a les inégalités dans l’accès à la ressource.

Mais cela dépasse largement la question de l’énergie. Cela concerne aussi par exemple les minerais, l’eau….

La réduction des consommations des ressources fossiles est donc devenue de plus en plus stratégique. On pourrait dire l’arrêt des gaspillages. Comment passer d’une société du gaspillage à une société du recyclage ?

 

3) Quelles solutions

Je vous propose la règle des trois tiers

3 postures d’actions :

– une posture défensive sur les emplois existants pour tenter autant que faire se peut l’amélioration de la performance de nos activités traditionnelles. C’est le travail inlassable de Pierre de Saintignon et de la commission économie que nous partageons au nom de l’exécutif, pour accompagner les entreprises en difficultés

La seconde piste, c’est la nécessité aussi de conduire de façon très volontariste la transformation de l’industrie d’aujourd’hui.  Sur la mutation des outils industriels et surtout sur l’accompagnement des salariés. Vous ne transformez pas les salariés de la raffinerie Total en producteurs d’éoliennes du jour au lendemain.

Et enfin investir massivement dans l’industrie de demain.

A ce sujet, nous avons deux chapitres indispensables à creuser :

la Mutation vers un modèle serviciel (l’industrie au service des services), à partir des usages.

L’économie de la fonctionnalité vise à substituer à la vente d’un bien la vente d’un service ou de proposer une solution intégrée, tout en consommant moins de ressources et d’énergies.

Par exemple, on n’achète plus un téléphone portable, mais un ensemble de services de communication. On vous livre le portable dans une solution intégré. Le bien devient un service de l’usage et c’est une mutation profonde (voir le développement exponentiel de ce qu’on appelle les usages partagés)

Autre exemple : concevoir un cahier des charges sur l’automobile pour répondre à la demande d’usage, dans l’esprit de ce qui a été évoqué au récent colloque de l’éco mobilité en région

Cela nécessite un rapport plus étroit aux territoires, d’autres modes d’actions publiques et privés. C’est le chantier que nous menons dans le cadre de la TESR.

la Mutation vers l’économie circulaire

 L’économie circulaire donne au facteur écologique une place centrale dans le cycle de production industrielle des richesses. C’est une utilisation efficace et modérée des ressources, par exemple l’analyse en cycle de vie des produits, l’éco conception, la sobriété, la lutte contre le gaspillage et la recherche de proximité, ce qu’on appelle les circuits courts : ce sont des facteurs de développement de notre économie dans une logique d’ancrage aux territoires.

L’écologie n’est pas opposée au devenir industriel, bien entendu. Mais nous pensons qu’il y a des impasses à traiter, il y a quelques fois des fausses bonnes solutions. Tout à l’heure on parlera du gaz de houille et on expliquera pourquoi, pour nous, c’est une fausse bonne solution.

Mais il a aussi des anticipations à construire avec volontarisme pour avoir une industrie forte et pleine de vitalité dans notre région. »

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