Jean François Caron – Le SRADT

 

Durant la séance plénière de février 2012 Myriam Cau pose la question suivante à Jean-François Caron, qui porte le SRADT dans sa  dynamique d’élaboration, en animant actuellement la commission thématique « transformation écologique et sociale » ; quelle filiation, finalement, peut-on faire entre ces démarches et en quoi peuvent-elles se répondre et alimenter cette vision prospective à 20 ans que nous voulons porter ?

 

 

M. CARON

 

Je vais essayer de répondre à la question,  plutôt par quatre ou cinq idées forces, je ne vais pas redire tout ce que j’aimerais trouver dans le SRADT et y mettre des éléments de contenu, plutôt des éléments de posture et de ce qui fait que le SRADT entraîne ou n’entraîne pas, finalement, car c’est tout de même un peu la question.

 

D’abord, réagir sur ce qui a été dit ce matin sur la place spécifique de la Région et du schéma.

Martin VANIER, de mémoire, a insisté sur les trois niveaux « supra » et les trois niveaux « infra » : commune, département, intercommunalité et Europe, Région, État. Au contraire de ce qu’il a dit, et j’aurais aimé pouvoir en débattre avec lui, je pense que la Région est l’articulation des deux. La Région n’est pas régalienne, n’est pas réglementaire, donc elle n’est pas dans la posture de l’État ou de l’Europe qui donne un certain nombre de grandes lignes et qui donne un cadre général. En même temps, le niveau local va plutôt être sur la gestion, la mise en oeuvre, les communes, les intercommunalités, et je pense que la chance de la Région, la spécificité de la région, est d’articuler ; il y a un petit « État régional », dit souvent notre Président de Région, et, en même temps, dans l’articulation au territoire, ne serait-ce que parce que nous sommes dans une posture d’élu et dans la proximité.

Cela me paraît important, parce que pour le SRADT, évidemment, cela veut dire quelque chose et, évidemment, on a besoin du SRADT. Si on n’a pas de SRADT, comment a-t-on ce dialogue : quelles sont les ambitions remontant des territoires et avec une ambition régionale ; l’utilité régionale, finalement, pour le faire ? C’est un point qui me semble important, notamment dans l’esprit des lois de décentralisation et dans ce qui va se jouer après la présidentielle ; quel que soit le candidat, il y a une question là-dessus par rapport à la réforme territoriale. Deuxième idée sur la table ronde, j’ai pu constater ce matin, d’abord, des décalages de représentations sur l’existant, et, portés par toute une série d’acteurs, des enjeux de multiples mutations. On nous a parlé de toutes les mutations qui sont arrivées depuis une dizaine d’années.

 

Du coup, je réponds à la question : qu’est-ce qui a changé ?

On pourrait multiplier les exercices. D’abord, avant de rentrer dans deux éléments de contenu, dire : est-ce que vous imaginez qu’il y a 10 ans, au moment de l’élaboration du SRADT, on aurait pu parler comme on a parlé aujourd’hui des pôles métropolitains et du regroupement d’un certain nombre de territoires sur une logique de projet ? Je crois qu’alors c’était inaudible.

 

Même le concept de communauté d’agglomération était encore quelque chose qui ne faisait qu’émerger ; il n’était pas si simple d’avoir une couverture du territoire par des agglomérations. De la même manière, autre élément qui me frappe dans les discussions de ce matin, quand on a lancé le SRADT et les collèges de prospective, les économistes voulaient parler avec les économistes et les écolos voulaient parler aux écolos ; c’était un exercice très compliqué que d’essayer de faire en sorte qu’ils soient dans des groupes de travail où ils parlent ensemble. Justement, avec les équipes de la Direction du plan, avec Pierre-Jean LORENS et toutes ces équipes, tout l’art était d’essayer de décloisonner, et c’était très compliqué ; on avait des espèces d’affrontements de logiques… Aujourd’hui, quand on écoute ce qui se dit depuis ce matin, cela ne marche plus ainsi. Une approche intégrée des territoires, l’idée que l’on doit tenir compte en même temps des dimensions environnementales, des dimensions économiques, des dimensions de la formation, etc. C’est évident.

 

Cela me frappe dans l’évolution des mentalités et je pense que la façon de construire le SRADT a été une façon de décloisonner les esprits et de commencer à s’écouter, et donc à muter ; j’y reviendrai après, j’ai un terme un peu meilleur que « muter », parce que cela nous amènerait à des considérants génétiques.

Ce qui a changé depuis 10 ans sur le plan des contenus, j’en prends deux exemples, pour dire que cela va vite… Je ne fais pas « mon Jean VIARD », qui, ce matin, nous a fait un numéro intéressant en déstabilisation des modes de pensée.

 

Le premier exemple que j’ai voulu choisir sur les contenus est le changement climatique. Il y a 10 ans, quand on a publié la carte de la région en 2102, en rappelant qu’une petite fille qui naissait sur deux allait connaître cette période, puisqu’une petite fille qui naît aujourd’hui a une chance sur deux d’être centenaire, donc c’était à l’échelle d’une vie humaine, c’était : « Je tombe de ma chaise ! Qu’est-ce qu’il nous raconte ? La mer arrive au pied des collines d’Artois ; qu’est-ce que c’est que ces conneries ? » C’était dans une hypothèse d’un à deux degrés de réchauffement climatique, mais beaucoup de monde prenait cela par-dessus la jambe. 10 ans après, cela ne marche plus ainsi et à part ALLÈGRE, qui est un révisionniste, quasiment plus personne ne se pose de question là-dessus.

La question des impacts sur notre territoire du réchauffement climatique est un exemple d’un certain nombre de tendances lourdes qui s’appliquent sur notre territoire. Plus globalement, et c’est là où j’ouvre sur la transformation écologique et sociale, ce qui, depuis 10 ans, a changé – on le porte plus ou moins selon qu’on est plus ou moins dans le système ou plus ou moins sur des colorations du paysage politique –, c’est que les crises… D’abord, on a dit qu’il y avait une crise économique, puis une crise environnementale, puis une crise sociale. Non, il y a une crise ; une crise du système, une crise systémique, et cela, je pense qu’à peu près tout le monde l’a perçue, on sent bien que notre mode de fonctionnement, pour toute une série de raisons que je ne vais pas redire ici, est, d’une certaine manière, arrivé au terme ; le gaspillage de nos ressources, l’explosion du prix du pétrole est un peu une conséquence de cela et on a évoqué ce matin que cela allait déstabiliser le modèle économique et toute une série de choses.

 

Cette question que la crise est devenue systémique nous interroge sur ce que sera le modèle de développement demain, et cela pose la question de l’enjeu d’un nouvel imaginaire qu’on a du mal à structurer entre nous, c’est-à-dire qu’on a tendance à pousser les curseurs à la continuité des trajectoires en cours, mais quel est le nouvel imaginaire de demain ? Cela a été très bien dit par Jean VIARD ce matin.

 

Du coup, cela nous met une question compliquée : comment on sort de la pensée unique ? On reprend les systèmes d’avant et on les renforce, on en fait encore un peu plus ; c’est la continuité du processus pour aller se jeter dans le mur, finalement. Du coup –le terme va être un peu cru, et je m’en excuse – comment fait-on pour se désaliéner d’un certain nombre de pensées uniques ou de modes de comportements ?

Par exemple, l’aliénation au matérialisme, le « toujours plus de, plus de, plus de », est une question compliquée pour chacun d’entre nous, même si on sent confusément que, premièrement, cela ne nous rend pas heureux et, deuxièmement, ce n’est pas durable.

C’est là où je trouve que le SRADT a une responsabilité particulière, et ce sera plutôt le côté mise en perspective pour la suite. Je pense que le SRADT doit faire apparaître le futur, comme, par exemple, les petits films de prospective avaient été extrêmement intéressants pour sortir de notre façon de regarder. Je pense que le SRADT doit travailler à la question de la résilience, même si, parfois, il est arrivé au CESER de se choquer qu’on ait pu employer ce mot ; je pense que c’est important, cela a été redit ce matin, pour arriver, d’une certaine manière, à se désintoxiquer et à regarder la construction du futur.

 

Je pense que le SRADT doit être un acteur moteur de la montée en capacité des acteurs du Nord – Pas de Calais, c’est-à-dire que tout le monde puisse, grâce à la pédagogie de la discussion, ce qu’on fait aujourd’hui… La discussion de ce matin nous donne à tous un autre regard sur la vision des enjeux de la Région et on est monté en capacité d’avoir entendu cette table ronde. Comment fait-on pour que chaque habitant du Nord – Pas de Calais ou, en tout cas, chaque acteur impliqué, s’approprie ces enjeux ? Est-ce qu’on diffuse cela à tous les habitants ? Il n’est pas sûr que cela fonctionne. Quelle forme trouve-t-on ? Le fait que Myriam CAU ait à la fois la délégation SRADT et la délégation démocratie participative est intéressant.

Cette question de monter en capacité nécessite l’implication des acteurs ; cela avait été la marque de fabrique du SRADT que de faire un schéma participatif. Je rappelle que d’autres régions avaient plutôt fait des regards d’experts ; Poitou-Charentes avait fait un sondage, par exemple. Nous avons plutôt joué un long exercice de construction collective. Je crois qu’il faut retrouver des formes de ce type.

Derrière, évidemment, on retrouve des responsabilités du Conseil régional, ce qui n’est pas la même chose que le SRADT, puisque le SRADT appartient à tout le monde, d’une certaine manière, c’est-à-dire comment animer et coordonner, c’est un peu le travail du Président de Région et de son équipe, autour de la vision stratégique. Il y a de cela 10 années, on n’était pas sûr du tout que le SRADT intéresse et, depuis, il n’y a pas une année où on nous dit : « Vous en êtes où de tel point du SRADT ? Vous en êtes où de tel point du schéma des transports ? » Cela veut dire que ce qui avait fait rêver, le schéma de l’OREAM, il y a 30 ou 40 ans, qui est encore dans les fantasmes d’un certain nombre de têtes, le SRADT a progressivement remplacé cette vision collective. Coordination par le Conseil régional chef de file, cela a été dit, c’est la loi, et, bien entendu, nos actions à la Région, comment nous contribuons ; ce sont les schémas, schéma des transports, les directives régionales d’aménagement, tout le mode d’emploi.

 

Pour terminer, je dirai trois mots sur notre triple A version positive. Je pense que l’exercice que l’on doit continuer à faire est :

– d’anticiper, encore et toujours, parce que c’est la responsabilité du politique de ne pas être dans le suivisme mais dans l’anticipation ;

– d’animer, au sens participatif, c’est-à-dire que cela ne découle pas comme une vérité, cela se travaille, par les rencontres ;

– d’agir, parce que s’il y a une prospective et que cela ne mène pas à de l’action sur des choses qui ont été identifiées, c’est « pipo » et cela ne marche pas.

 

Anticiper, animer, agir, j’arrêterai sur cette conclusion.

Merci.

 

 

 

 

 

 

 

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