21&22 avril 2010 – Dominique Plancke – Calais 2015

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président,

Nous examinons aujourd’hui les suites à donner au projet Calais Port 2015, à l’issue de la procédure de débat public et les circonstances de cette séance plénière donnent à ce débat un relief particulier.

S’agissant du premier débat politique concret de cette nouvelle mandature, il offre à chaque groupe de notre assemblée l’occasion d’exprimer son point de vue sur une compétence majeure de la Région,

S’agissant d’une étape dans un grand projet régional, il nous oblige à faire œuvre pédagogique vis-à-vis de nos collègues nouvellement élus,

S’agissant d’une échéance imposée par la procédure, vous avez choisi de nous proposer une délibération à l’énoncé consensuel, je cite « de décider de poursuivre le projet de Calais Port 2015 sur la base des préconisations du débat organisé » de septembre à novembre 2009.

Eh bien, si cet énoncé est consensuel, il est à mon sens totalement ouvert sur les conditions de réalisation du projet, à la mesure du rapport de bilan établi par le Président de la CNDP, Philippe DESLANDES, en conclusion du débat animé de main de maître par M. Pierre-Frédéric TENIERE-BUCHOT, Président de la Commission Particulière.

Ainsi, pour introduire le principe de poursuite du projet et les conditions qu’y met Europe Ecologie, je reprends les termes de la loi, je ferai trois citations :

la première, de Monsieur TENIERE-BUCHOT, page 9 du rapport : « faire Calais 2015, c’est prendre des risques, très certainement, mais ne rien faire, ce n’est pas un risque, c’est une fatalité, c’est l’échec d’un développement possible »,

la deuxième, de Monsieur DESLANDES, pages 3 et 4 du rapport : « ce débat est représentatif des débats actuels par le désir d’élargir les thèmes abordés et de resituer le projet dans un cadre plus global (…). L’irruption dans la conscience collective des impératifs mis en avant par le Grenelle de l’Environnement a fait en ce sens franchir un pas supplémentaire dans cette mise en perspective de tout projet »,

la troisième, que je tire de l’intervention de Jean-François CARON, Président de mon groupe Europe Ecologie, lors de notre Plénière d’installation : « il ne s’agit pas d’apporter des rustines à un modèle moribond, mais bien d’opérer des ruptures, et de construire un modèle nouveau en impliquant au plus large l’ensemble des acteurs ».

Notre intention est donc bien de développer le port de Calais, mais dans le cadre de l’ensemble de la façade portuaire du Nord/Pas de Calais, dans le cadre de l’environnement local du Détroit et des objectifs globaux du plan climat régional.

 Notre intention, c’est d’intégrer le projet de Calais dans le Schéma Régional des Transports et de mettre en cohérence de calendrier et en perspective budgétaire l’ensemble des éléments de ce schéma.

 Notre intention, c’est de mesurer avec les acteurs locaux le potentiel du projet à l’aune des indicateurs de développement du nouveau modèle que nous portons.

Ces intentions que nous portons relèvent d’une vision générale des démarches et engagements régionaux qui cadrent le projet en répondant aux conclusions du rapport de bilan.

Pour détailler cette vision, je reprends maintenant six préconisations ou interpellations du rapport et vais vous exposer comment nous souhaitons les explorer avec vous.

  •  Première préconisation, je cite : « le projet doit prendre en compte l’évolution des dimensions des bateaux, mais l’évolution du trafic n’est pas consensuelle ».

Si notre groupe prend acte des caractéristiques nautiques des navires, il récuse le scénario de trafics du projet. En effet, celui-ci affiche + 50% de transbordement d’automobiles à l’horizon 2050, + 60% de poids lourds, il s’agit de trafic Transmanche, alors que le cabotage, présenté comme un enjeu de transfert de la route vers la mer, n’atteindrait que 10% du total du fret. Par ailleurs, le projet est muet sur les prévisions pour le tunnel, alors que l’ouvrage est aujourd’hui utilisé à 53% de sa capacité.

Parallèlement, notre collectivité souscrit à l’objectif national de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, que nous avons traduits dans notre Schéma Régional de Transports par un engagement de -22% en 2020. Le scénario précité ne peut y répondre

Ces engagements exigent de nous des scénarios de flux compatibles et ambitieux, et cohérents avec nos autres programmes d’infrastructures :

Des scénarios compatibles, c’est-à-dire qui décrivent la décarbonation de notre économie par la dématérialisation des échanges, une relocalisation de l’activité et l’émergence de circuits courts d’échanges commerciaux.

Des scénarios ambitieux, par un transfert massif des passagers et des marchandises de la route vers le rail ou la voie d’eau, ou les transports collectifs routiers, des scénarios d’infrastructures mais aussi des scénarios fonctionnels, qui intègrent le coût croissant du carbone, et/ou une régulation volontariste des flux autoroutiers régionaux.

Des scénarios cohérents avec le potentiel ferroviaire que nous affichons avec la desserte du littoral, et avec le développement du port de Dunkerque, que nous renforçons en plus avec sa desserte fluviale.

  • Deuxième interpellation, intitulée : l’intermodalité, le point faible ? Je cite en résumant : « face aux attentes de la Fédération Maritime du port de Calais – diversifier en misant sur le cabotage et le transport ferroviaire – et malgré les efforts de la Région, des doutes subsistent sur le doublement de la ligne Calais-Dunkerque et les deux opérateurs ferroviaires, RFF et SNCF sont incapables d’avancer du concret et des échéances ».

Pourquoi ne s’engagent-ils pas ?  Parce que la condition de succès d’un système logistique à vocation intermodale, orienté vers les modes de transport durables, c’est la régulation, les péages ou l’éco-redevance du transport routier et une tarification corollaire favorable des modes durables.

En effet si Dourges prospère depuis son ouverture, si nos ports peuvent être les meilleures plates-formes logistiques, l’irrigation du système est toujours principalement routière. Le fret ferroviaire ne va pas bien ni chez nous ni ailleurs : la branche Paris-Dunkerque de CNC a fermé il y a trois ans. De même sur la voie d’eau : la navette Dunkerque-Lille de l’opérateur Maersk RSC n’a duré qu’une année. Cette situation illustre simplement le mur auquel se heurte le transfert modal, celui du dumping routier, du dumping sur le prix des carburants non renouvelables et du CO2. Le système d’infrastructures que nous mettons patiemment en place au niveau régional ne pourra donc fonctionner qu’avec cette régulation. C’est la condition indispensable et préalable de son succès et, nous demandons l’expérimentation du péage poids lourds dans notre Région et une initiative plus large de toutes les Régions face à l’Etat qui annonce faire machine arrière sur la taxe poids lourds.

  •  Troisième préconisation : « des attentes diversifiées », nous insistons pour notre part sur les enjeux d’un avenir équilibré du Calaisis, par le développement de la zone industrialo-portuaire et nous y appelons la création d’éco-activités, sur la base dès maintenant d’une gestion d’écoport adossé au transbordement mais permettant d’y développer de surcroît la pêche, le tourisme et la plaisance.
  •  Quatrième préconisation sur, je cite « l’environnement, une question largement abordée, à laquelle  le maître d’ouvrage est attentif, et dont les résultats des études devront faire l’objet d’une large information et d’évaluations contradictoires ».

Nous attendons effectivement ces résultats et cette démarche de communication. Si le recensement des enjeux locaux est exhaustif, le chiffrage des investissements qui garantiront l’écoport, ainsi que les compensations des impacts sur l’environnement nous ont paru sous-estimés, comme nous l’avons exprimé avec les Verts Nord – Pas de Calais dans leur cahier d’acteurs. A contrario, l’enjeu de ces investissements est bien l’excellence et le développement d’un écoport de référence et participe de la diversification de l’emploi que je viens de citer.

Nous élargissons aussi le champ des enjeux en demandant d’évaluer les impacts de l’élévation du niveau de la mer sur le projet et sur les choix d’investissement de la Région sur le littoral. Enfin, sur l’enjeu climatique global, le bilan carbone des travaux du port ne répond pas à la question du bilan carbone de son activité à vingt puis à cinquante ans, dans le respect de nos engagements sur le CO2, comme je l’ai dit à propos des trafics. Cet indicateur de prospective du XXIème siècle doit faire partie de toute opération d’investissement régional.

  • Cinquième interpellation, « un bon débat, mais en l’absence des jeunes générations, les premiers à être en réalité concernés par le projet ».

Naturellement, nous avons tous la prétention de porter les enjeux d’avenir de la jeunesse, mais je rapprocherai cette interpellation d’une sixième et dernière préconisation, sur la gouvernance, qui reprend explicitement une proposition formulée par Emmanuel Cau pour les Verts et aujourd’hui pour Europe Ecologie, il s’agit de la mise en place d’une maison du Détroit sur le modèle de la maison de l’estuaire mise en place pour le projet du Havre « Port 2000 », un espace de concertation et de pilotage permanent réunissant les différents acteurs du détroit (Boulonnais, Calaisiens, Dunkerquois, mais pourquoi pas – je cite – ouverte à nos voisins anglais, belges et néerlandais ?), un espace alliant un rôle de médiation et de prescription d’études et de mesures de génie écologique pour évaluer, suivre et valoriser l’état de l’environnement.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président, vous avez engagé des études, vous disposez de crédits qui nous serviront à éclairer ces enjeux, voici les propositions d’inflexions et d’orientations que nous vous faisons. Avec tous les enseignements du débat public et de notre débat, il importe maintenant de mettre en place un pilotage du projet au niveau de notre institution, de Calais et du détroit, nous prenons ce risque à la hauteur de nos responsabilités.

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