Plénière des 19 et 20 décembre 2013 / Intervention de politique générale de Clara Osadtchy.
Ce matin, je voudrais vous parler de Coryphaenoides rupestris. Coryphaenoides rupestris est un garçon pas très joli dont l’espérance de vie est d’environ 60 ans et qui ne se reproduit qu’à partir de 14 ans, au tiers de sa vie, ce qui le rend particulièrement vulnérable.
Son autre nom, le Grenadier, vous sera peut-être plus familier. Comme des dizaines d’autres, ce poisson vit de 400 à 2000 mètres de profondeur. Il est directement menacé par la pêche en eaux profondes, une pratique qui détruit les écosystèmes des abysses, dont l’interdiction a été refoulée au parlement européen la semaine dernière, à 16 voix près, contrairement aux propositions de la Commission européenne.
Mardi 10 décembre, le Parlement européen n’a en effet pas approuvé l’interdiction aux professionnels de remplir leurs chaluts tractés sur les fonds marins à plus de 200 mètres de profondeur.
Vous ne serez pas surpris, nous sommes profondément déçus, voire en colère. Mais les écologistes ne veulent pas être propriétaires de la cause environnementale : pour l’interdiction de la pêche en eau profonde, ce sont plus de 100 000 citoyens qui se sont mobilisés au travers d’une pétition assez historique par son ampleur.
Je vous parle de cela car la pêche en profondeur, que nous venons d’échouer à réformer, est faite des mêmes ressorts que la crise du modèle agroalimentaire breton. Le chalutage de fond s’est développé dans les années 1980, lorsque les industriels se sont tournés vers la haute mer, sentant venir le déclin après avoir surexploité les zones côtières européennes et nord américaines, puis les eaux des pays du Sud. Or parmi toutes les pratiques de pêche, le chalutage fait partie des moins performantes du point de vue du nombre d’emplois rapporté au tonnage des captures.
Cet épisode du chalutage en eaux profondes n’est pas le problème d’un secteur économique. Il est, tout comme la crise bretonne, celui d’un modèle tout entier qui, chaque jour et depuis longtemps, fabrique bien davantage de perdants que de gagnants, qui a éliminé des milliers d’emplois paysans et agroalimentaires, un modèle qui n’a tenu que par le maintien de salaires faibles, et de conditions de travail critiquables dans toute la filière, sous la pression de la grande distribution.
Il révèle la confrontation de deux visions du monde : soit continuer comme avant, sans souci des conséquences sur les ressources et les équilibres, dans l’illusion de l’illimité ; soit réorienter nos activités et nos pratiques de façon durable en prenant conscience des limites objectives et en s’adaptant à celles-ci.
Ainsi, malgré l’impulsion de la commission européenne, nous n’avons pas encore réussi à créer le sursaut nécessaire pour faire la transition vers des modèles durables.
Et quand je dis « durable », je veux être précise : durable, ce n’est pas seulement durable pour l’environnement, les ressources naturelles, les poissons. Durable, c’est ce qui est aussi durable pour les hommes et les femmes qui vivent de l’environnement. Une pêche durable, en l’occurrence, ce n’est pas simplement un ensemble de dispositifs qui protègent mieux les poissons. C’est un ensemble de politiques, de choix collectifs, qui protègent aussi les pêcheurs, leurs emplois et leurs conditions de vie et de travail.
Heureusement des collectivités locales innovent, comme la Basse-Normandie, qui travaille avec le secteur économique de la pêche, très important dans notre région, pour en améliorer la qualité, promouvoir l’origine Normandie, éco-labelliser les pêcheries régionales respectueuses de l’environnement. Cela va dans le bon sens et nous nous en félicitons.
Mais ce nécessaire sursaut global, que doit-on attendre pour l’engager ?
Vous l’avez sans doute lu dans la presse, l’alerte à la pollution aux particules dans la région a fait l’actualité toute la semaine dernière.
J’étais justement à Strasbourg en début de semaine dernière à la clôture de l’année européenne de l’air, qui a eu malheureusement trop peu d’écho médiatique. Le représentant de la Commission européenne y a annoncé que les niveaux de seuils de déclenchement des alertes à la pollution, qui sont seulement le fruit de compromis entre parties prenantes, ne seraient pas revus à la baisse car personne ne serait capable de tenir le rythme. En particulier la France.
Nous en avons parlé ici, nous avons même voté une motion sur le sujet en mars 2012 pour demander aux préfets qu’ils engagent des actions contraignantes visant à réduire les émissions de polluants dans l’air lors des pics. Depuis, rien n’a été engagé dans ce sens. Le débat sur le diesel, reconnu cancérogène, a été celui du pot de terre contre le pot de fer, des grands lobbys contre les défendeurs de la santé publique.
Pourtant, la pollution de l’air est bien une question de santé publique. 42000 décès y sont attribués par an en France, soit plus que le nombre d’habitants de la ville de Cherbourg !
Agir pour la qualité de l’air, c’est donc notamment contribuer à combler le trou de la sécurité sociale. En ce jour de plénière sur le budget, c’est tout de suite plus parlant pour chacun ici ! En 2012, une étude du ministère de l’écologie a évalué le coût sanitaire de la pollution de l’air entre 20 et 30 milliards d’euros en France.
Et pour autant, loin d’être le seul sujet des fanatiques d’un environnement pur, agir pour la qualité de l’air s’inscrit pleinement dans la transition écologique de notre territoire.
Sous cette formule, je parle concrètement de créer des emplois dans l’innovation technologique, de développer davantage de formations dans le domaine de la santé environnementale, de soutenir les associations d’éducation à l’environnement qui vont dans les écoles toucher les publics jeunes. C’est ce que nous faisons avec le portage du SRCAE, avec le soutien à Air COM, association que j’ai l’honneur de présider.
Agir pour la qualité de l’air, c’est développer une animation territoriale tournée vers les mobilités durables, c’est travailler avec le monde agricole à des pratiques nouvelles qui protégeront de plus la santé des agriculteurs malades des pesticides. C’est engager des politiques publiques de lutte contre les passoires énergétiques, à l’instar du futur chèque éco-énergie qui sera présenté aujourd’hui.
Vous avez compris le sens de mon propos : quand on parle de qualité de l’air, on parle aussi d’un bien commun à fort potentiel de développement économique dans nos territoires.
Peut-être aurez-vous l’impression, en m’écoutant aujourd’hui, d’entendre bien des choses que vous avez déjà entendues. Mais ce n’est pas simplement le discours des écologistes à cette tribune qui donne ce sentiment de « déjà entendu ». Les signaux tout à la fois d’un risque d’effondrement mais aussi de chemins possibles vers autre chose, vous pouvez les lire, les voir, les entendre chaque jour. En ouvrant un journal, en allumant une radio, une télé. En étant, comme élu, à l’écoute des milliers de nos concitoyens confrontés à ce qui s’effondre, mais aussi à l’écoute de celles et ceux, ils sont des milliers aussi, qui tentent de faire naître, de faire vivre la vie qui va avec le monde qui vient.
Il m’arrive de me demander parfois à quoi servent ces moments un peu formels et théatraux de nos échanges – qui n’en sont d’ailleurs pas toujours, des échanges – de politique générale. Je crois qu’ils doivent être le moment où, par delà les politiques publiques sectorielles que nous cherchons ici à mettre en oeuvre, nous pouvons indiquer, tenter d’indiquer, un sens, une vision globale, des paroles qui s’efforcent d’être à la hauteur des mutations extraordinaires de notre époque et face auxquelles, on peut bien l’admettre, nous nous sentons parfois démunis.
Et si nous connaissons des incertitudes dans l’action, nous pouvons aussi nous appuyer sur des exemples, de ceux qui peuvent nous donner la force de nous hisser plus haut que nous-mêmes.
Je voudrais ici, au nom du groupe écologiste, rendre hommage à Nelson Mandela qui nous a quitté il y a quelques jours, un homme capable de changer le monde par son humanisme et sa tolérance, la constance de ses combats et sa capacité à rassembler les ennemis d’hier. Nous inspirer de son parcours, mais surtout de sa pugnacité, voici ce que nous souhaitons à notre assemblée d’élus en responsabilité.