Lettre verte et ouverte au Pt de la République et au Premier Ministre pour la « génération Notre-Dame-des-Landes »

NDDL-121117

Monsieur le Président, monsieur le Premier Ministre,

J’imagine cette lettre en roulant vers une gare, dans les Landes. La semaine dernière, à la même heure, c’est vers Notre Dame des Landes que j’allais, avec quelques amis et pas mal d’inconnu-es.

Je vais chercher ma plus jeune fille, une lycéenne, interne en ville. Elle est, comme ses frères et sœurs, ses ami-es et pas mal d’autres, la rejetonne d’une famille de militants.

Elle a vécu au quotidien l’engagement de ses parents, ses grands-parents, ses oncles et tantes, la plupart des amis de ceux-ci.
Elle a connu les retours tardifs pour cause de réunion de parents bénévoles de crèche rurale, de parents d’élèves, d’amicale laïque, syndicale, de conseil municipal.
Elle a goûté les jours de manifs, dans nos bras, dans sa poussette, et plus tard parfois avec ses ami-es, pour les retraites, la sécu, contre le CPE, les OGM, le nucléaire, contre le racisme et le FN.
Parfois cela l’ennuyait, parfois elle trouvait ça festif.

Dans la mémoire du milieu militant où ma fille a grandi, celui du peuple de gauche, il y a le souvenir bruyant des attentats de l’OAS et ceux qui s’en allaient garder les mairies de la banlieue rouge, la violence de Charonne, l’entrée des troupes soviétiques à Prague, un mois de mai à la parole libre et aux cours d’écoles que les enseignants ne surveillaient plus, les printemps lycéens et un automne chilien, un soir de mai il y a 40 ans, un hiver de longues soirées de marche pour les retraites.
Dans l’album de famille, il y a plus de photos de manifs que de cérémonies de mariage, plus de souvenirs politiques que de repas du dimanche après la messe.

Je vous parle d’elle, messieurs, et d’un projet d’aéroport à Notre Dame des Landes.

Il y a ce projet d’aéroport, qui m’inquiète, et je ne reprendrai pas ici les arguments que vous avez certainement lus ou entendus dans la bouche des opposants qui en contestent l’utilité (coûteux par ces temps de contrôle de nos dépenses, destructeur de zones agricoles et de zones humides, générateur de gaz à effet de serre … ). Vous êtes, vu les fonctions que vous exercez en notre nom, certainement très bien informés, même si, parfois, à fréquenter vos amis, je me demande si nous ne parlons pas deux langues étrangères et si les traducteurs-interprètes ne nous font pas défaut.

Si je vous écris, messieurs, c’est que j’ai une autre inquiétude, que je crois partagée par nombre d’habitants de ce pays, tous ceux qui ont choisi de consacrer de leur force et de leur temps à l’engagement politique. J’ignore s’il existe des statistiques sur eux entre celles du chômage et celles de notre balance commerciale, mais je les crois nombreux.

Il y a eu, pour eux comme pour beaucoup de ceux qui gouvernent avec vous ou les conseillent au sein des cabinets ministériels, un jour de grève, un jour de manif, un rassemblement : contre l’injustice, pour l’égalité, pour le droit à l’avortement, contre le racisme, l’apartheid, pour Haïti, l’Afrique… une rose, une petite main jaune, un drapeau, des voies mêlées, des corps en marche, des poings levés. – Par chance, nous ne sommes pas des générations qui durent prendre les armes –
Il y a eu l’espoir de pouvoir agir, ensemble, et la force de ceux qui croient au combat – fusse-t-il non violent – et au collectif, qui croient à l’engagement. C’est sur ce terreau-là, celui des palabres et de la confrontation d’idées, celui de la conviction partagée, celui, presque grisant, de se savoir nombreux parfois, cet élan, ce sentiment d’être « du bon côté », d’être le peuple, la jeunesse du monde, quelque soit notre âge, qu’ils ont fait des morceaux de leur vie, pour certains leur vie entière et la font encore.

Je crois que c’est cet espoir de pouvoir peser (même légèrement) ensemble sur le monde et le cours des choses qui nous ont fait et nous font encore nous sentir vivants, utiles. Humains même ? N’est-ce pas lui que nous voulons voir dans les yeux et les gestes de nos enfants, apprentis du métier de vivre, plus que ce que nous avons pu réaliser matériellement ?

Le lien est là, messieurs, entre ma fille et cet aéroport, et les combats (physiques ceux-ci) qui s’y déroulent ces jours-ci. Et il ne s’écrit pas dans un accord politique.

Je pense à vous, messieurs, et au difficile « exercice de l’Etat ». Bien sûr, vous ne pouviez pas venir à Notre Dame des Landes, ce samedi où nous y étions si nombreux.

Vous y auriez pourtant vu un bel exemple très concret de ce à quoi les ministres travaillent aujourd’hui : un choc de coopération, du lien inter-générationnel, de la mixité sociale, de l’égalité femme-homme, des bâtisseurs, du partage de savoir, de la production, du respect des espèces protégées, des constructions d’habitations, de la culture, de la solidarité.
Vous y auriez surtout vu une belle jeunesse, celle qui est une de vos priorités.

Rien ne serait pire pour moi, messieurs, et je le pense, pour beaucoup d’entre nous, que cette jeunesse, bien présente à Notre Dame des Landes, nos enfants, puissent demain, si vous ne trouvez pas d’issue politique, si vous ne renoncez pas à envoyer les forces de police, douter de l’ engagement, renvoyer dos à dos la gauche et la droite, tomber dans le cynisme du tous pareils-tous pourris, douter du politique même.

Je ne sais, messieurs, s’il y aura dans notre pays une « génération Hollande ».
J’aimerais que, fiers de ce que nous voulons transmettre, le refus du renoncement, la force de l’engagement, pour comme dites-vous « choisir notre destin  », nous ne sacrifions pas la « génération Notre Dame des Landes », celle de ma fille et de ses ami-es, sur l’autel de la  « réalpolitqiue », pour une infrastructure et par orgueil. Ce sacrifice nous coûterait alors bien plus cher que le nouvel aéroport, quelque chose comme notre âme.

Veuillez agréer, monsieur le Président et monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

 

Bérénice Delpeyrat-Vincent, Vice-présidente du conseil régional d’Aquitaine, militante écologiste .

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