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LE MONDE | 27.11.07 | 12h56
A 100 dollars le baril, on change de civilisation, par Yves Cochet
Yves Cochet est député Vert de Paris, ancien ministre.27 novembre 2007
A ce prix, le pétrole brut n’est pas cher, de même que le litre de super à 1,50 euro. Le cours du baril sur le marché new-yorkais retrouve aujourd’hui la cote qu’il avait atteinte en 1980, tandis que l’achat d’un litre d’essence nécessite deux fois moins d’heures de smic qu’il y a vingt-sept ans. Ces niveaux nous paraissent élevés car nous nous sommes habitués à des prix extrêmement bas entretenus par les multinationales du pétrole, puis par l’OPEP. Cette époque est révolue.
Désormais, les prix du pétrole - et ceux de toutes les énergies - seront toujours à la hausse pour trois raisons principales d’origine géologique, économique et géopolitique :
1. - Le maximum mondial de production de liquide hydrocarboné est atteint. Depuis le début de l’extraction industrielle du pétrole, la moitié des réserves originelles a été consommée. Le pétrole restant à extraire réclamant beaucoup plus d’investissement pour une qualité moindre, les prix augmenteront tandis que la production diminuera. Nous entrons aujourd’hui dans l’ère de la décroissance géologique de la production mondiale de pétrole ;
2. - La demande est structurellement supérieure à l’offre. Tout le monde veut du pétrole, source d’énergie essentielle au mode de développement industriel. Nous ne pouvons pas vivre sans, nous sommes drogués au pétrole. Cela rendra le choc pétrolier actuel plus durable que les chocs d’origine politique des années 1970 ;
3. - Le pétrole c’est la guerre. Là où il y a du pétrole, une élite dirigeante vit de sa rente - souvent aux dépens de la population - et ces pays sont visés par le comportement prédateur des grands consommateurs comme les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine. La guerre d’Irak est un exemple de cette pétrovoracité industrielle, comme l’a récemment avoué Alan Greenspan.
Les autres raisons sont marginales. Un cyclone tropical dans le golfe du Mexique, une grève au Nigeria, une spéculation sur le marché des matières premières... tout cela arrive parfois et pousse à la hausse.
Mais ces épisodes passés, le cours du baril ne redescend pas. Les optimistes ne peuvent pas expliquer pourquoi le baril cotait 20 dollars en 2002 et 100 aujourd’hui.
Le modèle du monde qui habite le cerveau de l’Occidental moyen est que le marché, la technologie et l’inventivité humaine parviendront à résoudre les problèmes qu’affronte l’humanité, notamment la fin des énergies fossiles à bon marché et le changement climatique. Quel aveuglement ! Si nous voulons conserver les valeurs cardinales de notre civilisation que sont la paix, la solidarité et la démocratie, nous n’avons pas d’autre choix que celui de la décroissance rapide de l’empreinte écologique des sociétés industrielles, en particulier la décroissance de notre consommation d’énergies fossiles. Contre l’évidence des limites géophysiques, les rêves des théologiens de la croissance continuent, même après le Grenelle de l’environnement.
Un premier rêve séduit les esprits productivistes : investir plus dans l’exploration permettra de découvrir et d’extraire plus de pétrole.
Hélas !, après plus d’un siècle d’exploration géologique, les ressources sont à peu près toutes connues. Depuis plus de quarante ans, le volume des découvertes annuelles diminue. Aucun investissement, aucune technologie ne créera du pétrole qui n’existe pas.
Un second rêve imagine que les progrès technologiques peuvent augmenter le taux de récupération des champs de pétrole (c’est-à-dire le pourcentage des réserves originelles par rapport au volume total en place). Ce taux est aujourd’hui de 35 %, en moyenne. /"Un gain de 1 % de taux de récupération équivaut à deux ans et demi de consommation mondiale ! Notre ambition est de le porter en moyenne à 50 %"/, affirme Andrew Gould, le PDG de Schlumberger. Mais le taux de récupération dépend essentiellement de la géologie du réservoir. Il peut varier de 3 % pour un réservoir compact fracturé à 85 % pour un réservoir poreux et perméable. Aucune technologie ne peut transformer un réservoir compact en un réservoir poreux.
D’autres rêves persistent dans l’imaginaire des croyants en la prodigalité éternelle de la nature : la technologie contribuerait à la croissance des réserves ; elle montrerait que nous avons encore 40 ans de réserves pour le pétrole, 60 ans pour le gaz, et 250 pour le charbon ; elle diminuerait les coûts d’extraction du brut. La réalité est tout autre quand on prend le temps d’examiner longuement les statistiques comme le font les experts de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil). Ce qui compte, en effet, n’est pas le nombre d’années de réserves, mais le moment où l’extraction atteindra un pic, puis déclinera inéluctablement. Pour le pétrole, nous y sommes.
Un dernier rêve s’exprime comme une évidence de bon sens matinée de credo scientiste : la technoscience trouvera des énergies de substitution lorsque la production de pétrole déclinera. Or existe-t-il une énergie aussi concentrée, aussi bon marché, aussi transportable, aussi répandue, aussi facile et universelle d’usage que le pétrole ?
Aucune. Les avions ne décollent pas avec de l’uranium ou de l’éolien. Ni avec des agrocarburants (éthanol, diester), dont l’engouement actuel est dû au lobby betteravier et céréalier, au mépris de tout bilan écologique et énergétique.
Le pétrole est un ensemble de molécules merveilleuses qui ont permis la fabrication et la diffusion de milliers d’objets et de services dans notre vie quotidienne (véhicules, aliments, médicaments, plastiques, textiles...) et c’est aussi une matière puante et polluante dont il faut nous sevrer rapidement sous peine de chaos écologique, économique et social.
La seule politique susceptible d’éviter cette catastrophe est celle de la sobriété, c’est-à-dire la décroissance franche et régulière de la consommation de pétrole dans les pays de l’OCDE. Cette politique n’est pas une adaptation légère due à un souci technique passager, c’est un changement de civilisation dû à la fin du monde tel que nous le connaissons.
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