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Extrait d’un entretien avec FELIX CASTAN

6 juin 2010

Boudiou Records : Est-ce que tu penses que les idées anti-centralistes que tu défends ne touchent que le champ culturel ou qu’elles peuvent aller vers un projet global de société ?

Castan : Ma position, c’est qu’il faut distinguer les questions politico-économiques et les questions culturelles. Je pense que dans le domaine économique, se sont les régions qui doivent être responsables. Le travail d’une région, doit être de faire apparaître les problèmes spécifiques de la région, mais elle a besoin de s’intégrer à la vie nationale. Par conséquent, il me semble que ce principe de gestion régional doit être guidé par le principe de subsidiarité. C’est-à-dire que la région est obligée de prendre en compte la politique générale de la nation quand elle fait apparaître ses propres problèmes. Il doit y avoir une dialectique permanente entre la nation et les régions, mais dans un esprit de cohérence, de collaboration et d’équilibre. Si par exemple, il y a une région qui est surdéveloppée et une autre sous-développée, il est normal que la nation rétablisse les équilibres. Par conséquent, c’est la cohérence de l’ensemble qui est le but final. Alors qu’au niveau culturel, ce n’est pas du tout ça. C’est l’incohérence qui est le but, c’est la contradiction. Si nous voulons que Toulouse et Marseille existent, il faut qu’elles disent autre chose que Paris. Il faut qu’il y ait contradiction, qu’il y ait antithèse, il faut qu’il y ait dialogue. Dialogue, ça veut dire désaccord. Dans le domaine culturel, je dis que l’action doit devenir centrifuge, ce qui ne veut pas dire qu’on les détruit, qu’on les fusille, mais il doit y avoir une dialectique d’opposition. Alors que dans le domaine économique, l’action peut rester centripète. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des apports économiques propres de la périphérie vers le centre. Je pense que c’est à cette condition seulement que renaîtront les capitales occitanes, mais aussi Lyon, Rouen, Lilles, Nantes, Strasbourg∑ C’est-à-dire quand ces villes auront quelque chose à dire de différent, d’opposé aux autres. Il faut qu’elles entrent en dialogue entre elles, avec Paris et avec les capitales des pays voisins. Il faut qu’elles jouent leur rôle de capitale à part entière, de manière absolument et complètement autonome. Ne dépendant ni des unes, ni des autres, ni de Paris. Tandis que sur un plan économique, on dépend tout de même de Paris, on ne peut pas faire autrement. Et alors, je crois que c’est ça qui est le plus difficile à faire comprendre. Dans le mouvement occitan, on le comprend très difficilement. Les problèmes économiques doivent se régler sur le plan économique et dans la subsidiarité, la convergence, l’harmonie nationale. Les problèmes culturels se situent dans la divergence des capitales. Je pense que sur le plan culturel, nous devons aller vers une nation polycéphale. Alors que sur le plan économique, non. Pour moi, il est plus important de faire apparaître deux choses pour en finir avec le centralisme parisien. Parce que nous ne sommes pas contre Paris. Le centralisme est un système qui lui-même est indépendant de la ville de Paris. C’est un système qui pèse sur la France, une sorte de névrose nationale, qui fait que rien ne fonctionne comme ça devrait fonctionner. Le centralisme est un mécanisme qui écrase tout les autres, c’est l’ennemi de tous, alors que la centralisation, doit être au service de tous. C’est à dire que le centralisme, c’est le contraire de la centralisation. Il est évident qu’il y a un problème de mot qui fait qu’on a du mal à se faire comprendre. A mon avis, ce qui contredit cette féodalité parisienne, c’est d’une part les capitales, ce que j’appelle les contre-capitales, c’est à dire les villes. Combien y’en a t-il ? On peut les compter, elles ne sont pas nombreuses. A peu près une par région. Et puis les cultures des langues différentes. Il faut jouer sur les deux terrains. C’est pour ça que je dis qu’il faut redéfinir la nation en disant qu’elle doit avoir plusieurs capitales et par ailleurs, plusieurs cultures. Elle doit être "politiquement une et culturellement plurielle". Indivisible politiquement et culturellement polycéphale".

Boudiou Records : Ton discours rentre en opposition avec l’héritage de la notion de "nation" depuis la révolution française.

Castan : Il faut jeter ça par-dessus bord. Attention, il ne faut pas détruire la nation, au contraire. Je pense que c’est une erreur absolue de penser que les nations doivent être détruites parce qu’on fait l’Europe. Je pense que c’est idiot, c’est une utopie pure et on ne tirera rien de ça. Mais en revanche, je pense qu’il faut redéfinir la nation. Il faut reconstruire la nation sur une base pluraliste, baroque d’une certaine manière. C’est à dire avec une pluralité de capitales et une pluralité de cultures. Et que ces capitales et ces cultures aient elles mêmes des relations. Alors il y a un pouvoir politique qui coordonne tout ça par ailleurs, sur le plan de l’enseignement, sur le plan de l’équipement∑ Il y a des responsabilités qui incombent à un pouvoir politique, c’est normal. Mais ce pouvoir politique ne pourra faire face aux problèmes culturels de l’Europe qui sera polyculturelle, si la nation n’accepte pas un polyculturalisme à l’intérieur. Il ne peut pas y avoir un monoculturalisme centralisé à l’intérieur et un polyculturalisme à l’extérieur. C’est contradictoire. Il faut donc repenser la culture. L’Europe nous y incite. Nous qui posions des problèmes à partir de nos problèmes occitans et pour la nation française, il se trouve du fait de la construction de l’Europe et du fait de l’actualité, que les idées que nous agitions comme ça en solitaire pendant cinquante ans, deviennent d’actualité. Ce sont les idées du jour, dont il faut se servir pour faire l’Europe, pour refaire la nation, pour penser tous les problèmes qui sont devant nous.

Boudiou Records : C’est un peu une nouvelle révolution française que tu nous propose ?

Castan : D’un certain côté. La nation française a été construite de manière étriquée, simpliste, unitariste et maintenant, il faut aller plus loin. Attention, il ne faut surtout pas détruire la république ! Il faut au contraire une république plus large. Il faut aller vers le concept total de république. Le concept véritable, utile et complet de république, alors qu’on n’a qu’une république restreinte.

Boudiou Records : Dans ton dernier livre, tu donne une explication écologiste à l’existence de la culture occitane.

Castan : L’écologie, c’est l’habitat. J’habite à Bayeux et bien je pense de Bayeux. C’est de l’écologie, ce n’est pas un régionalisme. Le régionalisme, c’est l’enfermement, l’écologie, c’est habiter face au monde. Je pense que dans la notion d’écologie, il y a une notion forte et qui se substitue à la notion de nationalisme et de régionalisme. Il faut se méfier de ne pas enfermer et rétrécir l’écologie uniquement dans l’écologie politique. Mon objectif, c’est d’avoir une vision beaucoup plus générale de l’écologie qui dépasse le phénomène politique ou même les phénomènes de pollution. Car il y a aussi un phénomène social et matériel. Je crois que c’est l’écologie qui est notre concept de base. Je le dis depuis longtemps ça. Bien avant qu’il y ait un vent écologiste. Et pour des raisons simples, c’est que la littérature d’Oc, la langue d’Oc, la conscience d’Oc, la pensée d’Oc∑ n’ont pas de support politique. Alors qu’elle est son support ? L’environnement. Elle part de la niche dans laquelle habite l’homme. Elle n’est pas barrée par une nation politique. Donc, elle adhère au monde dans lequel les hommes vivent, à leur habitacle. Donc, c’est une littérature de l’habitacle. Ce n’est pas un régionalisme. Parce qu’un régionalisme, ce n’est jamais que mineur par rapport au centre. Par conséquent, il n’y a pas de dialogue d’égal à égal. Dès qu’il y a une nation, il y a un encadrement mental. Il se trouve que la culture occitane n’a pas de nation. Un breton, il se défini breton, tandis qu’il n’y a pas d’occitan qui se dise occitan. S’il se trouve à l’autre bout du monde et qu’on lui demande "d’où tu es toi ? ", il répondra "je suis de Toulouse, je suis de Provence∑" mais "je suis occitan", il ne le dira pas. Tandis que d’autres peuvent dire "je suis français, je suis Corse∑". La notion d’Occitanie est récente, et le peuple n’a pas élaboré une conscience nationale. Je ne pense pas que la situation occitane, soit celle d’une nation qui est en train de se constituer et d’émerger. Il n’y a pas de conscience occitane. C’est un peuple qui est dépourvu de toute ambition narcissique. Il ne pense pas pour lui. Mais en revanche, il a pensé la nation au 16ème siècle, mais pour les autres. Une nation pour tous dans laquelle tout le monde pourrait adhérer, une nation pluriculturelle.

Boudiou Records : Ca a été pensé par qui ?

Castan : Il y a un auteur occitan qui s’appel Aber, qui a fait une épopée qui s’appelle "Le gentilhomme Gascon". En fait, c’est l’épopée d’Henri IV. Et alors, Aber dit à un moment que finalement, ce sont les gascons qui ont rétabli le pouvoir royal. Il dit " la Gascogne est la mère de la France". Ce n’est pas la France qui est la mère de la Gascogne. Dans Aber, il y a cette idée extraordinaire que toutes ces nations culturelles, toutes ces cultures, tous ces peuples, de Normandie, de Lorraine∑ sont les mères de la nation française. Actuellement, si on demande à un français "de la France ou de la Normandie, qui est la mère ?". C’est évident, il répondra "c’est la France qui est la mère" car c’est la bourse. A cette époque là, c’était l’inverse. Pour moi, c’est la grande idée ça. Concevoir la nation pluriculturelle et unique politiquement, pour ceux qui ont décidé de s’entendre, de vivre sous une même loi. Il faut que la France retrouve ça et alors je n’aurai plus de problèmes avec la France. Tout de suite, j’ai un problème avec la France et son centralisme qui nous étouffe. Mais si c’est cette formule qui est choisie, je n’ai plus aucun problème.

Boudiou Records : C’est pour ça que tu es un farouche défenseur du bilinguisme ?

Castan : Les hommes ne sont complets que s’ils sont bilingues. Par conséquent, je ne suis pas contre le français, d’ailleurs, j’écris en français. Les circonstances ont fait que c’est le français qui domine, tant mieux, utilisons le. Car en même temps, nous connaissons une grande littérature, peut-être la plus grande littérature du monde. Bravo ! Que tout le monde soit bilingue, que chacun parle sa langue et que chacun échange avec la langue commune. Par ailleurs, ça doit devenir un idéal d’humanité qu’elle soit bilingue. L’humanité n’est pas complètement humaine tant qu’il y a des monolingues. Le monolinguisme, c’est une situation encore un peu animale. L’humanisation totale, c’est de devenir bilingue. C’est une formation de l’esprit, c’est une élégance. Et quand on est bilingue, on est facilement plurilingue. Et je ne vois d’obstacles à lier des relations, avec personne. Nous pouvons discuter avec l’humanité entière. C’est dans ces démarches que l’humanité prend conscience d’elle-même. On n’a pas besoin de connaître l’humanité tout entière, si on sait être plurilingue, avoir une nation pluriculturelle∑ Si on sait faire la différence entre l’Etat politique et la pluralité culturelle, et bien on sait ce que c’est que l’humanité sans avoir besoin d’aller voir tout le monde. On fait tous les voyages du monde sans bouger de chez soi. Je suis assez méfiant à l’égard de ceux qui veulent abolir les différences. Attention, je ne suis pas contre le métissage sur un plan biologique. Par contre, je pense qu’il faut que chacun prenne conscience de son identité la plus forte et ensuite, on échange à partir d’identités bien affirmées. Mais abolir les identités, dire "on est tous pareils", ça va contre les lois de l’évolution la plus logique, contre la loi de l’évolution de la pensée. Si tout le monde pense la même chose, la pensée n’évoluera plus. Les échanges doivent permettre de renforcer les identités de chacun.




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