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Tribune
Une autre agriculture est possible
Février 2008

Une autre agriculture est possible

Le Grenelle de l’Environnement a fait miroiter la perspective d’une agriculture enfin « durable », la diminution par deux de l’utilisation de pesticides, des objectifs ambitieux d’extension de l’agriculture biologique, des précautions vis-à-vis des OGM… Marketing électoral confirmé par la visite de M. Sarkozy au salon de l’agriculture. Des réunions de concertation, brassant des personnalités de tous bords, se sont succédées, mais la « révolution écologique » tant annoncée tarde à venir. Par exemple, sur les 30 molécules de pesticides interdites d’ici 2009, 20 sont déjà désignées par l’Union européenne.

L’agriculture « Haute Valeur Environnementale » promue par M. Barnier ressemble à celle dite « raisonnée », défendue par l’industrie agrochimique, qui se contente de respecter des prescriptions réglementaires minimalistes, notamment pour les nitrates et les pesticides. Par ailleurs, doubler le crédit d’impôt des exploitations en produits bio n’est pas en mesure de développer une production locale suffisante, ni de limiter le recours massif actuel aux importations. Enfin, la loi en discussion sur les OGM va favoriser leur dissémination dans la nature et la chaîne alimentaire. 45 millions d’euros ont été débloqués pour les biotechnologies végétales…mais rien pour la recherche sur l’agriculture biologique… Beaucoup d’agitation pour des résultats bien décevants !

Au-delà de cet immobilisme français, se pose la question de la réforme de la Politique Agricole Commune, prévue cette année de présidence française de l’UE. M. Barnier défend l’idée d’une PAC soutenant la croissance de la production agricole, pour une Europe exportatrice de denrées agricoles, sans remise en cause des aides actuelles qui favorisent les grandes exploitations des plus riches, au détriment de celles qui respectent l’environnement et la santé et contribuent au maintien du tissu rural.

Pourtant, les deux axes majeurs de la PAC, le productivisme et les exportations, montrent leurs limites et leur perversité. L’intensification entraîne des coûts indirects que la société toute entière subit. L’utilisation massive des pesticides a des conséquences graves sur la santé des agriculteurs, et leurs résidus se retrouvent dans les aliments et l’environnement, aux risques et périls des consommateurs. Les populations d’oiseaux des zones rurales ont chuté de presque 30% en 15 ans, les sols s’appauvrissent et les ressources en eau sont de plus en plus dégradées. Par ailleurs, les exportations subventionnées de produits agricoles détruisent les économies locales des pays les plus pauvres, mettant directement en péril leur souveraineté alimentaire.

Les objectifs de la PAC, datant de l’après-guerre, ne sont plus d’actualité. Il s’agissait à l’époque de rendre l’Europe autosuffisante en produits de qualité standard : cet objectif est aujourd’hui largement dépassé.

Pour autant, il est indispensable de maintenir une politique agricole, mais en redéfinissant ses objectifs. Un nouveau projet doit être proposé, sous la forme d’un pacte entre l’agriculture et la société. La prise en compte de l’environnement doit en être le centre. Ainsi, l’agriculture européenne et ses territoires s’inscriront dans un développement soutenable et les paysans retrouveront confiance et dignité. L’objectif est de passer d’un système agricole productiviste piloté par l’industrie à une agriculture soucieuse des écosystèmes, non tournée vers l’exportation, au service des paysans et des consommateurs pour généraliser à moyen terme une agriculture écologique.

Ce projet permet de garantir la qualité des produits, préserver la biodiversité, l’eau, les paysages et le climat. Il remplace les agrocarburants à l’écobilan incertain mais aux pollutions locales certaines, par des prairies permanentes stockant le carbone, et dont l’humus des sols économise les engrais de synthèse. Ce projet limite les importations de protéines du Brésil, d’Argentine et des EU, produites sur un mode industriel, destructeur d’écosystèmes vitaux pour la planète. Il implique une recherche agronomique moderne sur le plan écologique, encore embryonnaire en France.

Ce projet n’est pas moins « économique » que le modèle actuel. Il a sa propre rationalité, en distribuant gains et profits différemment selon la catégorie d’agriculteurs, d’acteurs économiques, de contribuables et de consommateurs. Il permet de changer les rapports de force et de rompre avec le pilotage du secteur agricole par les industries agrochimiques et semencières, l’agro-alimentaire, la grande distribution, qui imposent leurs critères et négligent les besoins et les demandes de la société. Il place les acteurs ruraux au cœur du processus décisionnel.

Ce nouveau pacte entre l’agriculture et la société doit être développé à l’échelle européenne, s’opposant à la déréglementation promue à l’OMC. La France, en perte d’influence du fait de la faiblesse de ses propositions et de sa crispation sur ses avantages acquis, retrouverait sa légitimité au sein de l’Europe en portant ce projet d’agriculture écologique. En plaçant l’environnement au cœur de son système d’aide, grâce à une conditionnalité des aides plus rigoureuse et un soutien plus important aux agricultures durables comme l’agriculture biologique et l’élevage extensif, la PAC permettrait de produire des denrées de qualité à des prix accessibles, en quantité suffisante, assurant aux citoyens européens un environnement et des produits sains.

Marie-Hélène Aubert, députée européenne

Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts

Alain Lipietz, député européenne

Jacques Muller, sénateur

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