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Les porcs de l’angoisse
La violence banalisée

LE FIL IDéES - Ne dites plus "une vache", mais "un produit bovin". Et sachez que 50 millions de poussins mâles sont broyés vivants chaque année car incapables de pondre… L’agro-industrie a transformé, avec une cruauté sans pareil, les animaux en produits alimentaires. Philosophes et chercheurs s’interrogent sur cette violence banalisée. D’abord une enquête, illustrée un peu plus tard en vidéo. Pensez à coucher les enfants…

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Les porcs de l’angoisse | 26 juin 2008

C’est l’histoire d’une vache prénommée Florette, qui a mené une paisible existence de vache à l’ancienne, meuglante et ruminante. Florette est née en 1950, en des temps où il faisait bon être une vache, au moins chez un éleveur qui aimait les bêtes et son métier. Florette a donc gambadé et brouté tout son saoul. Elle a copulé dans les prés et produit ses quelque 5 000 litres de lait annuels, en bonne harmonie avec les hommes. L’histoire aurait pu continuer ainsi, comme elle avait duré plusieurs millénaires déjà pour des générations de vaches et d’éleveurs. Mais les choses se sont compliquées, l’économie s’en est mêlée et les descendants de Florette ont pour la plupart connu un autre destin : ils sont nés dans le monde moderne et performant de l’agro-industrie.

Prenons XYRT2004 et sa compétitive existence de « laitière à zéro pâ­turage ». Un matricule à la place du prénom, un box en béton et un peu de paille à la place du pré. Une vie deux fois plus courte – quatre ans en moyenne et ouste, à l’abattage. Mais bien plus productive – 12 000 litres de lait annuels au robot de traite. D’ailleurs, les vrais professionnels de la filière bovine, ceux qui se retrouvent chaque automne au Space, le Salon des productions animales, à Rennes, ne parlent plus de vaches, mais de « produits bovins ». Alors, productive jusqu’au bout, XYRT 2004 a fini sous forme de farine animale « valorisée » : combustible de substitution dans l’industrie du ciment, une solution judicieuse, paraît-il, d’un point de vue technique et écologique... Et un bon débouché pour les « produits » ovins - ceux qu’on appelait jadis les moutons -, cunicoles - les lapins - ou encore avicoles - les poulets et, par exemple, les 50 millions de poussins mâles inutiles (c’est mignon un poussin, mais c’est vrai quoi, on a surtout besoin de poules pondeuses) et qu’on jette vivants dans des broyeurs, chaque année en France. XYRT2004, personnellement, aurait préféré terminer en diesel, comme chez les Suisses, très inventifs pour trouver de nouvelles solutions en ces temps de tarissement des ressources pétrolières et de menace de changement climatique. Mais bon, on ne choisit pas son destin.

Alors, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes agro-industriels s’il n’y avait eu, ces dernières années, multiplication de crises majeures (des vaches folles, des poules grippées...) et des voix discordantes. Des philosophes, des chercheurs, des néo-paysans récalcitrants, des défenseurs des animaux et de plus en plus de « consomm’acteurs » inquiets, convaincus que l’élevage industriel, avec sa logique ultraproductiviste et technicienne appliquée au vivant, se confond avec la barbarie. Et qu’il a des effets désastreux sur l’environnement et la santé humaine. Signe des temps, Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, a même convoqué un « Grenelle des animaux » pour réfléchir, notamment, à la question de leur « bien-être ». Et l’Inra, l’Institut national de la recherche agronomique, jusqu’ici peu enclin à discuter la logique agro-industrielle, s’ouvre à de nouvelles approches. Par exemple celle, iconoclaste et passionnante, de la sociologue Jocelyne Porcher, auteure d’Une vie de cochon, livre décapant coécrit avec une ex-éleveuse, Christine Tribondeau.

Après l’avoir lu, peut-être hésiterez-vous avant d’acheter une tranche de jambon sous vide. En tout cas, vous en saurez plus sur la violence banalisée et invisible de l’élevage industriel de cochons, soit 99,5 % de la production aujourd’hui. Sur les truies génétiquement modifiées et déformées par l’immobilité forcée. Sur la castration pratiquée à échelle industrielle et sans anesthésie, et sur les casques antibruit censés protéger les oreilles humaines des cris stridents des bêtes. Bref, sur la « spécificité moderne de l’assujettissement des vivants non humains » que le philosophe Jacques Derrida, déjà, avait analysée dans le précieux L’Animal que donc je suis : cette organisation et exploitation d’« une survie artificielle infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que les hommes du passé au­raient jugées monstrueuses ».

Ainsi donc faudrait-il renoncer à l’élevage pour cesser ce massacre sans précédent ? « Surtout pas, prévient Jocelyne Porcher. Car "élever" et "produire", cela n’a rien à voir ! La rationalité de l’industrie agro-alimentaire est uniquement économique, et repose sur une organisation industrielle du travail. L’élevage, lui, vise bien sûr à produire des aliments et des services, mais sert aussi à VIVRE AVEC les animaux, et cela depuis dix mille ans, avec le début de la domestication. Alors évidemment que les paysans d’hier n’étaient pas toujours les meilleurs amis des bêtes ! Mais, aujourd’hui, le système agro-industriel oblige tous les hommes à être violents, à ne plus être fiers que de leur compte en banque et de leurs résultats techniques. »

Difficile pourtant de le remettre en cause, ce système, tant les puissantes filières de « production animale » font tout pour en dissimuler la violence et la cruauté. « Elles se protègent grâce à une idéologie très forte, construite sur un argumentaire uniquement technico-économique, poursuit Jocelyne Porcher. On répète aux salariés qu’il faut produire plus, faire de la valeur ajoutée à tous les niveaux, sinon les Espagnols vont nous prendre le marché... » Coincés entre cette propagande infernale et des pressions économiques de plus en plus fortes, les éleveurs évacuent toute remise en question, toute interrogation morale ou éthique. « Et se blindent contre la souffrance des bêtes et leur propre douleur », résume Christine Tribondeau, qui a mis neuf ans avant de pouvoir en parler.

Et puis, difficile de nous faire réagir, nous autres – gros – consommateurs de viande, coincés entre une sensibilité croissante à la condition animale d’une part, et notre souci de l’assiette de l’autre. Après tout, dit Elisabeth de Fontenay dans un livre indispensable, Sans offenser le genre humain, nous savons tout cela depuis longtemps. La philosophe rappelle le parallèle formulé par de nombreux auteurs juifs d’après 1945 : Adorno, Horkheimer, Derrida, Grossman, Gary, tous ont été obsédés par le calvaire animal moderne et sa proximité avec la technologie nazie d’extermination des Juifs.

Dans le droit fil de Derrida, la philosophe affirme une position plus radicale face à l’élevage : quand Porcher en fait l’archétype de notre relation aux animaux et une histoire de compagnonnage faite de souffrance et de joie mêlées, de Fontenay, elle, en dénonce la « hideuse contradiction, plus forte encore dans le système ultraproductiviste, entre les soins mis à l’élevage et la destination qui est la mort, sans parler de la castration. Or, toute notre culture de technicisation du vivant réside dans un déni de ce meurtre et est fondamentalement nihiliste, comme l’a montré la crise de la vache folle ; nous empestons la mort ».

Comment en sortir ? Libérer les animaux et devenir végétariens ? Pour la philosophe, « la question végétarienne mérite d’être posée, au moins comme utopie. Après tout, l’irréa­lisme et le dissensus de l’utopie lui confèrent le pouvoir subversif de faire éclater les contradictions et les injustices de la réalité présente ! ». Tandis que pour Jocelyne Porcher ce ne peut être qu’une impasse, puisqu’on conforte l’objectif à moyen terme des industries agro-alimentaires qui veulent produire par cultures cellulaires du poulet sans poulet, du porc sans porc, et se débarrasser définitivement des animaux.

Et si la solution était à chercher du côté de la politique et du droit ? Et consistait à se poser, collectivement, la question de notre responsabilité face aux fragiles animaux, et à inventer une communauté des êtres vivants sensibles ? Histoire de revenir, comme dit Elisabeth de Fontenay, à « une idée de l’homme non pas maître et possesseur de la nature selon l’expression de Descartes, mais maître et protecteur ». Après tout, le combat a été mené au XIXe siècle par des républicains comme Hugo, Michelet ou Clemenceau, qui demandaient, au nom de la République et de la démocratie, et en vertu d’un sentiment de solidarité profonde, que l’on traite moins mal « nos frères inférieurs » et qu’on leur reconnaisse des droits. « Ils nous ont permis de comprendre que la question animale est une question politique et pose aussi celle du genre de vie des hommes. » Qui sait, d’ici 2030, les descendants de XYRT2004 auront peut-être retrouvé un pré, et un prénom.

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Weronika Zarachowicz

Télérama n° 3050

A SUIVRE

Le "Grenelle des animaux" s’est tenu jusqu’à fin juin. Vous pouvez vous renseigner sur le site www.animal-societe.com

A LIRE

Une vie de cochon, de Jocelyne Porcher et Christine Tribondeau, éd. La Découverte, 95 p., 8 €.

Sans offenser le genre humain, Réflexions sur la cause animale, d’Elisabeth de Fontenay, éd. Albin Michel, 217 p., 18 €.

Et aussi Silence des bêtes, éd. Fayard, 1998.

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