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Paris, 28 avril 2009
Débat sur la Politique Agricole Commune
Par Jacques Muller

4 mai 2009

Débat sur la Politique Agricole Commune

Paris, le 28 avril 2009

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ACTES

Intervention de Jacques Muller, Sénateur du Haut-Rhin et Maire de Wattwiller

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues,

Le débat que nous menons aujourd’hui sur la PAC est décidément dans l’air du temps : si la crise économique et sociale fait toujours la une de l’actualité, au risque d’occulter la crise écologique, force est de reconnaître que la PAC est elle aussi en crise… et ce depuis nombre d’années ! En témoigne ce paradoxe : les agriculteurs, qui exercent l’un des plus beaux métiers du monde car leur fonction première est de nourrir les autres, sont aujourd’hui regardés avec suspicion. La crise de confiance est là, l’image stéréotypée de « l’agriculteur-pollueur » a hélas fini par s’imposer !

C’est pourquoi il me paraît nécessaire de souligner d’entrée deux paradigmes, qui devraient faire consensus entre nous, quels que soient nos points de vue légitimement différents sur la situation :

-  le premier est que les agriculteurs sont des acteurs économiques comme les autres, ni meilleurs, ni pires : ils exercent leur activité dans le cadre économique qui leur a été tracé, tout en cherchant légitimement à optimiser leurs revenus. Nous dénonçons donc toute stigmatisation d’une profession dont les pratiques ne font que s’inscrire dans les orientations de la politique agricole !

-  le second est que l’agriculture est une activité particulière, radicalement différente des autres activités économiques. D’abord parce que celle de produire de la nourriture revêt une dimension stratégique indiscutable, historiquement vérifiée : si, comme l’a théorisé Clausewitz « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », le concept d’arme alimentaire relève de la même logique… parfaitement détestable. Ensuite, parce que la production agricole – et les revenus des agriculteurs - ne peuvent pas rester soumis aux seules lois du marché : la formation des prix en agriculture est soumise à de multiples aléas, notamment climatiques ; il en résulte des fluctuations des prix agricoles considérables, souvent erratiques, qui perturbent la production et les revenus des agriculteurs.

Au regard de ces considérations, la production agricole a impérativement besoin de régulation, c’est-à-dire de Politique, et ne saurait par conséquent être abandonnée à la seule « main invisible » du marché. Mais dès lors que l’on défend la nécessité d’une politique agricole, il faut parler des enjeux, avant d’évoquer les outils à mettre en œuvre pour espérer les atteindre. Manifestement, les enjeux d’aujourd’hui ne sont plus ceux de la PAC des années 60, où la priorité de premier rang était de produire plus pour résorber le déficit alimentaire structurel de l’Europe. Il en résultait logiquement la mise en place d’un système de soutien des prix en faisant baisser le prix relatif des intrants par rapport à ceux des produits agricoles : on en stimulait aussi l’usage de manière à pousser les rendements au maximum. Objectif dépassé… dès le milieu des années 80 ! Nous sommes en 2009, le monde a changé en profondeur,nous sommes face à quatre enjeux, stratégiques.

Le premier : il nous faut impérativement inscrire la nouvelle PAC dans la problématique agricole et alimentaire mondiale, comme le soulignait Edgard Pisani lors du colloque sur l’agriculture que j’ai eu l’honneur de présider le 9 avril dernier au Sénat. En effet, pour l’ancien ministre de l’agriculture et père de la PAC de 1962, la question alimentaire sera la question N°1 des prochaines décennies : hausse de la population mondiale, diminution des surfaces cultivées, concurrence inacceptable des agrocarburants, accumulation des excédents agricoles des pays industrialisés - déversés à coups de subventions – qui viennent ruiner les agricultures « vivrières et paysannes » des tiers-monde, tels sont les défis majeurs à relever… Pour l’Europe cela signifie concrètement

1. refuser la tentation de continuer d’accroître notre production agricole, notamment céréalière, au mauvais prétexte de nourrir le monde et plus particulièrement les pays sous-développés au sein desquels sous-alimentation et famines sévissent. D’abord parce que la souveraineté alimentaire reste un principe intangible et le concept d’arme alimentaire n’entre pas dans la culture européenne ! Ensuite parce que l’agriculture vivrière reste la base du développement : ce qui a été vrai autrefois dans nos pays industrialisés reste d’actualité dans les pays sous-développés ! L’Europe ne peut plus être complice du désastre actuel, qui voit leurs villes nourrir les campagnes à travers importations et autres excédents agricoles bradés à coups de subventions : il n’y a pas pire pour bloquer le développement – vital ! –de « l’agriculture vivrière et paysanne » dans les pays concernés !

2. Cesser de fonctionner comme un aspirateur mondial à protéines, en raison de l’abandon massif de l’herbe au profit du couple « maïs/soja » dans nos élevages : la reconquête de notre souveraineté alimentaire passe par une remise à plat de nos systèmes de production, en valorisant d’abord la production à l’herbe et en développant les cultures d’oléoprotéagineux. Deuxième enjeu : réduire massivement la pression insoutenable de l’agriculture productiviste sur l’environnement, que le Grenelle de l’a officiellement reconnue :

-  Pollution diffuse en nitrates et pesticides et épuisement des nappes phréatiques qui nécessitent l’intervention des collectivités territoriales, aux frais des contribuables ;

-  Atteintes à la biodiversité à travers l’artificialisation des milieux, l’emploi massif de pesticides dont efficacité marginale ne cesse de décroître.

-  Dégradation des sols, asphyxiés et appauvris en humus

-  Pollution de l’air par les pesticides

-  Bilan énergétique global de l’agriculture toujours plus négatif en raison de la substitution permanente capital/travail, qui se traduit par une mécanisation croissante et un usage massif des intrants de synthèse, gros consommateurs de pétrole.

Nombre d’indicateurs ont ainsi viré au rouge… C’est pourquoi la PAC nouvelle se doit impérativement d’enclencher le basculement vers une agriculture nouvelle : nous proposons 30% de bio d’ici 2020, et tout le reste en HVE, haute valeur environnementale. A cet égard il ne s’agit surtout pas de créer un nième label qui brouillera inévitablement la perception - déjà bien confuse !

- des produits par le consommateur, mais d’évaluer la durabilité des exploitations agricoles sur la base d’outils précis, validés scientifiquement. Des outils existent déjà dans notre pays : je fais référence aux IDEA (indicateurs de durabilité des exploitations agricoles), développés au sein de votre Ministère… Mais le versement d’argent public au titre de la PAC devra enfin intégrer prioritairement des critères de durabilité : à l’expérience, récompenser contractuellement la vertu s’avère être le seul moyen crédible - hormis la contrainte réglementaire normative, mais qui manque par définition de progressivité - pour faire évoluer en profondeur les systèmes de production et les pratiques agricoles.

Troisième enjeu : la qualité des produits. La liste des crises alimentaires relevant de la santé publique, provoquées par le développement des élevages hors-sol concentrationnaires, continue de s’allonger : veaux aux hormones, poulets à la dioxine, bovins affectés par l’ESB, et aujourd’hui menace d’une pandémie de grippe porcine… Il en résulte une véritable érosion de la confiance des consommateurs dans la qualité des produits, que les teneurs en pesticides mesurées dans certains vins, dans les fruits et les légumes, tendent à renforcer. Pour rétablir cette confiance, il ne suffit pas de réglementer, il s’agit de favoriser à travers la politique agricole une désintensification globale des systèmes de production au profit de la qualité !

Quatrième enjeu : l’emploi et l’aménagement du territoire. Le mouvement structurel de concentration des exploitations a historiquement vidé nos campagnes. Depuis des décennies l’agriculture conventionnelle n’est plus un secteur directement porteur d’emplois, et ne constitue plus le point de fixation d’autres activités artisanales et de services : les déséquilibres naturels entre régions agricoles, paradoxalement accentués par la PAC, n’ont cessé de se creuser ! C’est pourquoi la nouvelle politique agricole doit mieux valoriser, contractuellement, les externalités positives d’une agriculture paysanne riche en emploi, productrice de paysages, génératrices d’autres emplois de proximité non délocalisables.

Au regard de ces quatre enjeux stratégiques, force est de reconnaître que la PAC actuelle est hors sujet : les subventions déversées dans l’agriculture sont devenues globalement illégitimes : en témoignent

-  Un premier pilier qui mobilise l’essentiel des aides publiques et totalement « découplé »… des enjeux précités ! Sa déclinaison à la française à travers les DPU octroyés sur la base des références 2000/2002 est emblématique d’une situation ubuesque, dans laquelle l’octroi de ce qu’il faut bien appeler des rentes de situation a remplacé la politique, agricole, si nécessaire !

-  La non dégressivité et le non plafonnement des aides par exploitation, ou par UTA, qui accentuent s’il en était encore besoin la concentration des exploitations : l’agriculture est le seul secteur économique où les pouvoirs publics subventionnent le capital au détriment du travail… Vous avez dit emploi ???

« La réforme de la PAC a été une affaire de boutiquiers, elle n’a pas été une affaire qui a conduit à repenser l’agriculture et sa place dans la société, à présenter l’agriculture sous un autre jour à la société »… déclarait l’un des pères fondateurs de la PAC, Edgard Pisani en conclusion du colloque mentionné précédemment, tout en soulignant, je cite toujours, que « vous ne progresserez pas en ayant de petites idées. Vous avez à mobiliser des rêves, des espoirs, en vue de dessiner un schémas qui a un sens » !

M. le ministre, chers collègues, le moment est venu de nous projeter vers l’avenir et de proposer aux agriculteurs un contrat profondément renouvelé avec la société, que nous représentons :

- stopper la fuite en avant dans une agriculture industrielle, chimisée et déterritorialisée, et promouvoir une agriculture paysanne, basée sur l’agronomie et l’agroécologie, valorisant nos terroirs si riches de leur diversité

- refuser le leurre de la compétitivité mondiale – de toute manière nos structures agricoles ne le permettent pas ! - pour choisir l’autonomie alimentaire, l’emploi, l’environnement et la qualité des produits.

Mais il faudra le courage politique

-  Au niveau français de s’affranchir enfin de ces lobbies que nous ne connaissons que trop bien, et qui n’ont cessé au nom de la « défense de la profession », de manœuvrer à tous les niveaux pour défendre leurs privilèges !

-  Au niveau européen, d’oser aller au conflit au sein des instances mondiales pour sortir, enfin, l’OMC de l’agriculture. Il s’agit non seulement d’accroître nos possibilités de réorienter notre agriculture européenne en fonction de nos priorités sociétales internes, mais aussi de permettre aux peuples des tiers-monde de re-conquérir leur souveraineté alimentaire.

Comme le soulignait Guy Paillotin lors du colloque sur l’agriculture précité, « le nombre de personnes qui meurent de faim augmente. Or on nous avait dit que le libre échange des marchandises ferait que ce nombre diminuerait : ce n’est pas vrai »…

Je vous remercie.

Communiqué de presse ici




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