Ce 25 mars, les chefs d’Etat européens célèbrent les 60 ans du traité de Rome, acte fondateur des « communautés européennes » devenues depuis l’Union européenne.
Les six pays signataires décidaient, le 25 mars 1957 de réaliser une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », validant ainsi une approche « pas par pas », fondée d’abord sur l’économie, la mise en commun de ressources (la communauté européenne du charbon et de l’acier avait précédé les communautés européennes), le refus du protectionnisme entre pays voisins, reconnaissant qu’ils avaient vocation à échanger ensemble. Au delà de la création d’une union douanière, ils ont ainsi consacré la liberté de circulation et d’établissement de leurs citoyens respectifs. Cependant, dès l’origine, l’accord portait aussi sur la mise en œuvre de politiques publiques communes, en commençant par l’agriculture.
Enfin, le traité de Rome créait des institutions communes chargées des fonctions législatives (Conseil des ministres européen et Parlement européen, à l’époque émanation des parlements nationaux), exécutives (Commission européenne) et judiciaire (Cour de justice).
Cette approche pragmatique visait aussi à réaliser l’ambition des « pères fondateurs » de l’Europe : créer un espace de paix et de sécurité commun entre des pays résolus à partager les mêmes valeurs démocratiques et sociales à une époque ou l’Europe était coupée en deux par le rideau de fer, où subsistaient des dictatures d’extrême droite, en Espagne et au Portugal et où le tiers monde s’émancipait de la colonisation. Comme le rappelle à juste titre l’institut Jacques Delors, en 1957, seuls 12 Etats, parmi les 28 qui composent aujourd’hui l’Union étaient des démocraties.
Soixante ans après, l’Union s’est considérablement élargie, jusqu’à intégrer l’Europe de l’Est à partir de 2004. Ses attributions se sont élargies à la coopération judiciaire, à la politique extérieure et à la gestion commune de la monnaie pour les pays membres de la zone euro. De nombreuses normes et législations ont convergé grâce à l’harmonisation : ainsi, le système « LMD » permet de rendre lisibles de la même façon, partout dans l’Union, les diplômes obtenus par les étudiants qui apprécient également à sa juste valeur le fait de pouvoir, sans risque pour leur cursus, effectuer une partie de leurs études à l’étranger. Plus largement, c’est aussi le droit européen qui permet aux professionnels, par exemple aux artisans, de voir reconnue leur qualification dans les autres Etats membres.
Aujourd’hui l’Europe joue un rôle essentiel en matière de concurrence, dans l’intérêt des consommateurs, de contrôle de la concentration des firmes multinationales, mais aussi dans des domaines tels que la protection de la vie privée, notamment sur Internet, la qualité de l’eau que nous buvons, de l’air que nous respirons, la sauvegarde de notre environnement (zones Natura 20000, protection des espèces menacées). Et c’est avant tout parce que les pays qui la composent ont été unis dans la lutte contre le réchauffement climatique que la COP 21 a permis de déboucher, à Paris sur l’accord le plus ambitieux jamais conclu dans ce domaine.
Ce n’est pas un hasard si c’est aujourd’hui à Bruxelles que les lobbys de toute nature choisissent d’exercer en priorité leurs activités de défense d’intérêts privés : parce que, quoi qu’on en dise, c’est au niveau européen que se décident aujourd’hui les grandes régulation économiques et environnementales.
Certes, la construction européenne est loin d’être parfaite aujourd’hui. L’Euro nous préserve, depuis 2002, des attaques spéculatives contre les monnaies nationales auxquelles nous ne pouvions répondre qu’en maintenant des taux d’intérêts élevés, pénalisant ainsi nos entreprises, à commencer par les PME. Mais l’Union monétaire s’est révélée insuffisante face à la crise financière des années 2008-2009 et à la crise des dettes publiques qui lui a succédé en 2011. Dans ce domaine, comme dans d’autres, les égoïsmes nationaux se sont opposés à l’instauration d’une solidarité financière durable entre les gouvernements. Pourtant, nous savons que la faillite d’un seul Etat membre serait catastrophique pour tous les autres.
Autre exemple récent, la crise des réfugiés a mis sous une lumière crue des Etats tétanisés par la montée de l’extrême droite, incapables de mettre en place les capacités d’accueil nécessaires, pourtant modestes pour des pays riches, face aux drames provoqués par des conflits armés (Syrie, Lybie, Soudan) ou d’épouvantables dictatures (Erythrée et à nouveau la Syrie). Pire encore, à l’exception de l’Allemagne et de certains pays scandinaves, les gouvernements, européens, sous couvert de « contrôle des frontières » et de « maîtrise de l’immigration », se retranchent derrière l’application des règlements « Dublin » pour faire supporter aux pays méditerranéens –financièrement exsangues et pour certains sous tutelle étroite de la Commission – l’essentiel de la gestion d’un droit d’asile qui est pourtant au cœur des valeurs de l’Europe.
Et comment accepter que l’Europe préfère protéger le secret des affaires que les lanceurs d’alerte ? Qu’elle ait été incapable d’imposer réellement aux constructeurs automobiles un contrôle efficace de la pollution engendrée par les moteurs diesel ? Qu’une agence européenne publie un « rapport d’experts » attestant que le glysophate (principe actif du pesticide commercialisé par Monsanto) n’est pas cancérogène et devrait à nouveau être autorisé alors qu’on lit la même semaine dans la presse que cela fait 20 ans que cette multinationale fait du lobbying pour dissimuler la toxicité des produits qu’elle met sur le marché.
Comment tolérer plus longtemps les inégalités entre territoires ? Le dumping fiscal auquel se livrent certains Etats membres ? L’exploitation des travailleurs les plus fragiles facilitée par la facilité offerte aux employeurs de pratiquer le détachement de leurs salariés dans d’autres Etats membres ?
Aujourd’hui, l’Europe ne peut plus se limiter à n’être qu’un marché et une monnaie. Elle ne peut plus envisager son développement comme dans les trente dernières années uniquement sous l’angle de la croissance de l’économie marchande et de la compétitivité. Son unité est menacée à l’extérieur par le retour au nationalisme de la Russie et maintenant des Etats-Unis, puissances toutes deux présidées par des partisans du « capitalisme fossile », avant tout soucieux de garantir la pérennité d’économies fondées sur l’exploitation du sous-sol et des ressources naturelles partout dans le monde. Sa cohésion est menacée à l’intérieur par l’extrême droite et tout ceux qui font semblant de croire que le retour à l’Etat Nation est la seule manière de résister à la montée des inégalités.
Contre la double menace de la multiplication des paradis fiscaux pour quelques uns (seule issue pour le Gouvernement du Royaume-Uni maintenant au pied du mur pour réaliser le « brexit ») au prix d’un enfer social et écologique pour tous, je préconise, avec les députés verts au Parlement européen, une relance de la dynamique européenne, autour du choix affirmé d’un modèle économique fondé sur la solidarité entre les peuples qui composent l’Union, la résilience plutôt que la compétition, la priorité donnée à la transition énergétique, à une consommation plus sobre reposant davantage sur les PME, l’agriculture bio ou raisonnée, les circuits courts.
Il est possible de conjuguer les solidarités sociales et le respect de notre environnement tout en maintenant des sociétés prospères et respectueuses des libertés individuelles et collectives. Cela suppose d’accroître sensiblement le budget européen, actuellement limité à moins de 1% du PIB de l’Union et 2% des dépenses publiques des Etats membres et de le porter à 5% ou 7% du PIB en communautarisant certaines dépenses d’investissement, de recherche et développement et d’aménagement du territoire.
Cela suppose aussi d’accepter de restructurer les dettes publiques des pays de l’Europe du Sud – à commencer par la Grèce – qui, sans cela verront leurs société détruites par les conséquences d’une austérité sans fin – et de donner enfin une claire priorité aux investissements, en particulier dans les énergies renouvelables, le logement et dans une agriculture économe en phosphates et en pesticides.
Cela suppose enfin de continuer à faire de l’Europe un espace de régulation, dans lequel l’économie réelle a le pas sur l’économie financière et dans lequel la gouvernance est exempte de conflits d’intérêts, grâce à une transparence renforcée et au renforcement du contrôle démocratique des citoyens.
Tout ceci peut paraître utopique, mais l’Europe d’aujourd’hui, principale puissance mondiale quand elle s’en donne les moyens, comme l’a montré l’accord de Paris à l’issue de la COP 21, n’aurait-elle pas paru utopique et hors de portée aux yeux des citoyens de 1957?
Comme l’affirment avec force les eurodéputés écologistes : « l’Europe n’est pas une destination, l’Europe est le voyage ».
Dan Lert