55 ans après la fin de la guerre d’Algérie, il nous reste encore à réconcilier les mémoires. Pour métaboliser cette violence longue dans une culture démocratique et apaisée, il ne peut être question de simplement laisser passer le temps en espérant que les douleurs disparaissent et que l’oubli fasse son œuvre. La doctrine Pompidou qui voulait oublier « le temps où les Français ne s’aimaient pas » n’est pas plus souhaitable aujourd’hui pour la décolonisation qu’elle ne l’était hier pour la Seconde guerre mondiale. Nous devons prendre des initiatives pour « faire passer ce passé ».
Il faut d’abord reconnaître et raconter justement ce qu’il s’est passé ; non pas pour tourner le fer dans la plaie, mais pour que chacun trouve une juste place dans notre communauté nationale. Pour dépasser des événements d’une telle intensité de violence, nous avons besoin d’interroger précisément les faits et de construire un récit cohérent. Nous avons déjà collectivement fait une partie du chemin. De simples « événements », le processus de décolonisation en Algérie a été pensé comme la guerre qu’elle était, d’un genre nouveau et asymétrique, mais une guerre longue et bien réelle tout de même. Une guerre qui a comporté des atrocités, des crimes de guerres, et dont certains acteurs auraient pu être poursuivis pour crime contre l’humanité. Sans confondre l’Histoire et l’exercice de la Justice, nous devons permettre de dire les choses sans fard. Comme député, je proposerai d’ouvrir la totalité des archives, y compris celles de la Défense, à la fois aux chercheurs, mais aussi au grand public en permettant leur publication à l’occasion d’expositions. Je proposerai également de communiquer toutes les archives qui peuvent avoir trait aux expérimentations nucléaires en Algérie.
Cette guerre a fait voler en éclat des vies, des familles, a tué des pères et des amants, torturé et mutilé des innocents, inscrit la honte ou le ressentiment dans les corps. Entre mutisme et revendication, les générations se transmettent cet infini besoin de reconnaissance des souffrances. Chaque communauté constituée ou ressentie doit pouvoir construire sa mémoire et avoir une part dans le récit national. Il n’y a pas pire ferment de haine que l’oubli volontaire des douleurs. Il faut recoudre ensemble les différentes mémoires issues de groupes trop longtemps opposés. Pour cela, nous avons l’obligation d’achever le processus de reconnaissance des responsabilités dans cette guerre. Le Président de la République François Hollande a fait un premier pas : il a reconnu les victimes des massacres du 17 octobre 1961 comme des victimes, mais il n’a nommé ni les responsables ni la chaîne de commandement qui a permis cela. A l’instar du discours courageux du Président Chirac sur la Seconde guerre mondiale, il nous manque encore le discours de vérité sur la guerre d’Algérie. Un discours de vérité qui reconnaisse que des massacres et des tortures ont été organisés par l’appareil d’Etat français, mais qui disent aussi l’abandon des harkis, l’absence d’accueil digne des pieds-noirs en métropole, la dénégation des traumatismes des centaines de milliers d’appelés projetés dans une guerre sans nom.
Pour mettre fin à plusieurs décennies d’amnésie et de guerres des mémoires, comme à l’instrumentalisation politicienne de cette guerre, il est temps de réunir une conférence nationale avec les historiens pour établir une journée du souvenir en l’honneur de toutes les victimes civiles de la guerre d’Algérie. Il est temps que le prochain Parlement et le prochain Président de la République reconnaissent les responsabilités de l’Etat français dans les massacres et les tortures de la guerre d’Algérie. Une fois mené à son terme, ce travail de retissage des mémoires, de reconnaissance et de réconciliation pourrait prendre la forme de plaque apposées en mémoire de toutes les victimes de la guerre d’Algérie dans des lieux symboliques à Paris.
Dan Lert