Calais, question française réponses européennes
Par Jérôme Vignon, Président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES)
La question migratoire, symbolisée par l’histoire du campement de Calais, reste très sensible. Comment accueillir les réfugiés de manière humaine ? Comment tenir l’équilibre entre hospitalité et fermeté ? Cela ne peut se faire qu’au niveau d’une coopération européenne et en impliquant davantage l’opinion publique
Alors qu’il était redouté par beaucoup du fait de violences toujours possibles, le démantèlement du campement de Calais, le 24 octobre 2016, s’est accompli dans le calme, voire avec l’empressement des migrants à rejoindre la gare routière où une noria d’autocars les attendaient1
Rétrospectivement, le succès de ce transfert inédit, préparé minutieusement par les services de l’État, apparaît d’autant plus grand que l’accueil ultérieur et le séjour dans les Centres d’accueil et d’orientation (CAO)2 s’est avéré dans son ensemble une expérience positive, tant pour les migrants accueillis que pour les populations avoisinantes
Dépasser le syndrome de « l’appel d’air » Malgré ces succès, le démantèlement du site de Calais a laissé chez beaucoup de ses acteurs un goût d’amertume. Tristesse pour les professionnels engagés dans la gestion humanitaire du camp de voir rompus des liens de confiance avec les migrants ; inquiétude grandissante des associations militantes à Calais constatant que s’y reforment aujourd’hui des campements sauvages sans réponse humanitaire ; désillusion chez nombre de hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur pour lesquels la concentration non maîtrisée de migrants sur le bidonville, notamment au cours du printemps 2016, serait bien la preuve de ce que tout effort humanitaire à Calais provoque un afflux supplémentaire, dit « appel d’air ». La question que pose Calais à la France reste encore d’actualité
Pour m’être, avec Jean Aribaud, confronté à ces difficultés pendant plusieurs années3, je crois que la première condition pour avancer dans une bonne direction est de mesurer en quelques faits la complexité de la situation
Garant des droits fondamentaux de toute personne résidente sur le territoire national, y compris sans titre de séjour, l’État se doit d’assurer des conditions minimales d’existence, notamment la mise à l’abri. En accomplissant ce devoir, comme ce fut le cas à partir de 1999 à Sangatte, puis à partir de 2015 avec le centre Jules-Ferry et son campement à Calais, il s’expose à l’organisation systématique des activités de passeurs que l’on peut contrarier mais non annihiler
Comme on a pu le constater à Calais tout au long de 2015, les facilités accordées pour l’accès à l’asile et l’amélioration des conditions d’accueil y ont attiré des migrants qui seraient normalement demeurés en région parisienne
Une rupture unilatérale des accords spécifiques avec le Royaume-Uni (accords du Touquet4), consistant à laisser « filer » les candidats à l’exil vers ce pays, est un leurre. Ni le Royaume-Uni, ni la France n’ont intérêt à ce que Calais, lieu de transit de 9 000 poids lourds par jour, ne devienne le point de passage clandestin mondial vers la Grande-Bretagne. Le contrôle douanier et le traitement de l’asile à cette frontière franco-britannique restent une matière de coopération négociée. Au mieux peut-on espérer que les négociations du Brexit permettent d’améliorer le partage des responsabilités de l’asile entre le Royaume-Uni et la France5
Faut-il alors se résigner à voir se perpétuer à Calais, ou en d’autres points de transit sur le territoire français6, des zones de souffrance dont on ne viendrait à bout que par les évacuations policières ? Non. Une autre approche est possible, permettant d’assurer un premier accueil digne aux migrants qui fuient les persécutions et la misère. Mais cela suppose la maîtrise des flux sur les lieux de transit, afin de prévenir les concentrations qui anéantissent l’effort humanitaire7
Maîtriser les flux, qu’est-ce à dire ? D’abord, être capable de transférer rapidement les personnes vers d’autres lieux où les conditions de l’accueil et de l’écoute seront telles qu’une orientation juste pourra être prise, tant par les migrants que par les autorités nationales. Ensuite, plus fondamentalement, il faut pouvoir réguler le flux d’arrivée en amont, ce qui implique une coopération internationale où la dimension européenne est incontournable. Les effets d’« appel d’air » existent, mais ils ne rendent pas compte de la progression tendancielle des flux migratoires. Les invoquer ne peut pas justifier de laisser à l’abandon un accueil humanitaire, qui est aussi la condition d’une gestion efficace de l’asile et des migrations. Pour réussir l’accueil, en droit et en humanité, pouvoirs publics et société civile sont mutuellement incontournables, malgré les apparences de vives tensions qui peuvent les confronter
Un choix d’engagement et de maîtrise implique à coup sûr des ressources publiques supplémentaires ainsi qu’un approfondissement de la coopération européenne. Ce saut politique courageux et responsable doit pouvoir compter sur l’appui de l’opinion publique, laquelle, à son tour, attend des résultats et une perspective. La France et l’Europe ont l’une et l’autre progressé depuis trois ans sur la voie d’une prise en charge effective des migrants et, parmi eux, des réfugiés. Mais ces progrès ne sont pas à la hauteur des enjeux
Un changement de cap de la politique française d’asile à partir de 2014 En France, la prise de conscience par les pouvoirs publics du changement d’échelle de la question des réfugiés ne démarre vraiment qu’en 2014, au moment où l’Italie met fin à l’opération humanitaire « Mare nostrum » qu’elle avait assumée seule. Sous la pression de l’urgence calaisienne et face à l’évidence d’un flux secondaire qui se déploie en France à partir des entrées de migrants recueillis en Italie et en Grèce, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, choisit de donner à la politique de l’asile une nouvelle amplitude. Il le fit dans une logique d’humanité, mais aussi selon une vue stratégique qui n’avait pas connu de précédents depuis l’accueil en France des « boat people ». En réorganisant l’asile chez elle dans le sens de l’équité et de l’efficacité, la France peut prétendre influencer la stratégie européenne et compter sur la coopération de ses partenaires. Sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur, l’application des lois « Asiles et immigrations » est dotée de moyens accrus. Les places dans les Centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada)8, par exemple, devraient passer d’environ 25 000 en 2014 à 42 000 en 2017. Les missions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) sont élargies, les moyens de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) accrus9. En parallèle, le ministre de l’Intérieur rencontre ses principaux homologues en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. La France devient ainsi un membre influent du Conseil des ministres10, jouant tout son rôle dans la redéfinition du cadre européen des politiques de migration et d’asile, entre juin et octobre 2015
C’est bien l’attrait de l’Europe, havre de paix, qui jette sur les routes périlleuses du Sinaï, de la Libye et finalement sur les affrètements hasardeux des passeurs, des dizaines puis des centaines de milliers de migrants dont une majorité relèvent selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) d’une protection internationale. On peut qualifier également d’européenne l’opinion publique qui s’émeut du désastre des morts comptés par milliers au cours des traversées méditerranéennes et s’indigne du sort qui s’acharne sur des familles, parmi lesquelles une proportion croissante de femmes et d’enfants. La réponse des institutions de l’Union européenne, conçue par la commission Juncker et portée par le groupe des six pays (Allemagne, Suède, Pays-Bas, France, Italie et Autriche) qui accueillent 75 % du flux migratoire (de l’ordre de 600 000 entrées en 2014, près du double en 2015) est énergique et globale
Un nouvel agenda européen qui englobe asile et migration légale De cet « agenda européen pour les migrations », proposé en mai 2015 par la Commission européenne11, beaucoup ne retiendront que le projet de règlement visant à rendre obligatoire, sur la période 2015-2016, un processus de répartition des personnes arrivées sur les frontières extérieures de l’Union européenne en vue de l’instruction de leur demande d’asile par les pays membres situés en seconde ligne, en solidarité avec les pays de première ligne (situés aux frontières de l’Union). En contrepartie de cette solidarité sont établis aux frontières extérieures de l’Union les plus exposées aux passages illégaux des centres de transit, les hotspots, où les agences européennes (Frontex, le Bureau européen pour l’asile), de concert avec le HCR et les autorités nationales, s’emploieront à faire respecter les procédures qui permettent de distinguer, dans le flux mixte, les candidats réfugiés et ceux qui, ne pouvant bénéficier d’une protection, doivent consentir au retour vers un pays d’origine ou de réadmission
Au-delà de ces mesures de court terme, l’agenda européen vaut encore plus par le cadre de moyen terme et de long terme qu’il définit harmonisation des procédures d’octroi des protections à travers l’Europe ; gestion rigoureuse des frontières communes comme corollaire d’un espace de libre circulation ; coopération européenne extérieure avec les pays d’origine, de transit et de réadmission en vue de lutter contre les causes de l’exode – persécutions ou misère sociale. Surtout, l’agenda met en perspective l’organisation des politiques d’asile avec la gestion des flux migratoires économiques en général. Ni la priorité urgente donnée aux réfugiés, ni le chômage endémique ne peuvent faire oublier que la population d’âge actif en Europe décroîtra d’environ 1,75 million de personnes par an en moyenne, d’ici 2025. Les migrations feront partie d’une respiration démographique de l’Europe. Sans empiéter sur les responsabilités souveraines des États, le texte de la Commission vise juste
Il faut définir et aménager les voies d’une immigration régulière légale si l’on veut éviter que la filière de l’asile, devenant le seul moyen d’accéder au marché du travail européen, n’attire excessivement les migrants sans droit de séjour
La déclaration d’Angela Merkel d’octobre 2015, accueillante aux cohortes de migrants qui débordent toutes les frontières au long de la route des Balkans, éclipsa l’agenda européen. La Chancelière, jusqu’alors très réservée sur la question des réfugiés, leur ouvrait symboliquement les bras en s’adressant au peuple allemand : « Wir schaffen das ! (Nous y parviendrons !) » Ce geste fut aussitôt interprété comme un signal d’accueil généreux mais temporaire. Des dizaines de milliers de migrants traversaient alors chaque jour les frontières avec le but de rejoindre l’Allemagne, au point qu’une solution d’urgence dut être trouvée en février, solution bancale d’un accord européen onéreux avec la Turquie, où les réfugiés syriens apparaissent comme monnaie d’échange
Cette gestion migratoire maîtrisée ne peut se passer d’une coopération européenne Le geste d’Angela Merkel destiné à éviter une catastrophe humanitaire majeure continue de susciter la controverse, y compris outre-Rhin. Il semble qu’il ait été décidé dans une certaine confusion au plus haut niveau des autorités allemandes. Mais il constituait aussi une authentique affirmation d’éthique politique de la part de la Chancelière à l’encontre d’un extrémisme xénophobe dont elle percevait la menace, particulièrement dans les länder de l’est de l’Allemagne12
Ce geste majeur, un geste gaullien que l’Histoire retiendra, vaut aussi par les leçons qu’il convient d’en tirer pour la suite. La générosité ne peut faire fi de l’« appel d’air » car, parmi les très nombreuses arrivées (près de 800 000 en quelques mois), une partie ont été de fait opportunistes et ne correspondaient pas nécessairement aux détresses les plus grandes parmi les réfugiés. Les plus démunis se trouvent encore, au dire d’un responsable du HCR, dans les lieux qui les hébergent par millions au Proche-Orient et en Turquie. C’est seulement dans la durée, sur la base d’une politique migratoire maîtrisée, que l’on pourra prévoir et organiser à moyen terme les programmes de logement, d’apprentissage et d’intégration, permettant de concilier hospitalité et bien commun. Ce furent en substance les propos du président de la Conférence des évêques catholiques d’Allemagne, le cardinal Reinhard Marx, dans une déclaration où il invitait à réduire l’afflux de migrants. Enfin, cette gestion migratoire maîtrisée, et prévoyante à long terme, ne peut se passer d’une coopération européenne indispensable, encore une fois dans la durée
Ainsi constate-t-on aujourd’hui que, parmi les migrants en errance à Calais et à Paris, figurent aussi nombre de déçus de l’accueil allemand, découragés par la file d’attente pour l’accès à l’asile
Une gestion maîtrisée de l’immigration légale et de l’asile, nécessaire et possible Une gestion des flux migratoires, maîtrisée, de long terme, assurée d’une solidarité européenne prévisible, est manifestement nécessaire. Elle est aussi possible. On peut en esquisser les contours au-delà de l’actuel agenda européen
Elle est nécessaire. Autant l’on doit saluer les avancées acquises en France et en Europe depuis quelques années, autant il est clair qu’elles sont insuffisantes, et à beaucoup d’égards précaires, faute de moyens et d’orientation politique. Cela vaut d’abord pour la France où les ressources du ministère de l’Intérieur consacrées au programme 303, « Immigration et asile », soit environ 630 millions d’euros dans la loi de finances de 2016, ont dû être abondées presque au jour le jour par des rallonges exceptionnelles, décidées au coup par coup et au plus juste pour faire face aux difficultés rencontrées, notamment à Calais et de plus en plus en Île-de-France. Impossible, dans ces conditions, de faire correctement les choses : réduire les temps d’attente qui peuvent être de plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous pour déposer une demande d’asile ; réduire effectivement à trois mois l’instruction d’un dossier par l’Ofpra alors que les délais actuels sont plus proches d’un an ; accueillir, dans le réseau des Cada, les demandeurs reconnus13. Mais, surtout, à ce jour, le processus d’intégration qui devrait se poursuivre après l’accès au statut de réfugié (qui concerne de l’ordre de 30 000 personnes par an) reste un point aveugle dont aucun acteur public ne semble vraiment en charge. L’Europe manque aussi de moyens au regard de ses ambitions. Sur la base de l’agenda européen, la Commission européenne a proposé au Conseil des ministres de doter les politiques communes de migration et d’asile d’environ 7 à 10 milliards d’euros14, soit près d’1,5 milliard par an d’ici à la fin 2022. Un tiers serait destiné à renforcer les capacités d’accueil et de contrôle des pays de première ligne et une moitié pour abonder les ressources du HCR pour subvenir aux besoins des camps qui accueillent plusieurs millions de réfugiés au Liban, en Irak, en Jordanie et en Turquie depuis cinq ans. Ici encore, on voit trop court, comme en témoignent les capacités insuffisantes des hotspots installés en Grèce et en Italie, l’attente de dizaines de milliers de personnes bloquées dans des conditions déplorables en Grèce sans avoir vu encore leur situation examinée. Alors que le HCR a besoin d’environ quatre milliards d’euros par an pour assurer une gestion durable des camps, l’Union européenne, la première concernée, n’en assume que le quart. L’agenda européen ne manque pas de vision, mais de moyens et d’orientation politique. Tout se passe comme si, en France comme dans l’Union européenne, nous n’avions pu faire mieux que d’accompagner l’urgence. Il est possible pourtant de l’anticiper
Certes, il n’est pas possible de prévoir avec précision les tâches et les charges qui incomberont aux Européens pour faire face aux flux migratoires. Au moins dispose-t-on d’estimations de long terme suffisantes pour fixer les ordres de grandeur correspondant aux capacités d’accueil et d’intégration prévisibles, au-delà desquelles des dispositions d’urgence pourraient être prises si nécessaires, selon les modalités prévues par les traités. Un tableau illustre ces données prospectives pour l’Union européenne, l’Allemagne, la France et l’Italie. Elles concernent les demandes d’asile constatées (dans les deux premières colonnes du tableau ci-contre) et les flux de demandes d’asile et de protection accordées estimés pour l’avenir (deux colonnes suivantes), mis en perspective du solde migratoire tendanciel lié aux besoins démographiques dans les quinze prochaines années (dernière colonne)
TerritoireDA(moyenne annuelle2008-2014)DA (moyenne annuelle, crise 2015-2016)DA à venir (estimées à moyen terme) Protections accordéesà venir (estimées)Solde migratoire tendancielUnion européenne3751 2756003001 100Allemagne10061015075250France6080804080Italie361037035100 DA : demandes d’asile enregistrées. Unités : milliers de personnes, source Eurostat pour les colonnes 1, 2 et 5 (projections démographiques à l’horizon 2030), estimation de l’auteur pour les colonnes 3 et 4 (sur la base des taux d’accords passés récents)
Selon toute vraisemblance, en se fondant sur les analyses globales des Nations unies et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les flux européens d’asile ont franchi, au cours des quatre à cinq dernières années, un seuil lié à des raisons structurelles, mais ne devraient pas connaître, hors situation de crise, les niveaux exceptionnels des années 2015-2016. On mesure alors que la question de l’asile jouera un rôle significatif dans la satisfaction du besoin migratoire européen, sans se confondre avec lui. Les ordres de grandeur des demandes d’asile et des protections15 accordées effectivement (colonnes 3 et 4) appellent un investissement social pour un accueil et une intégration effectifs, supérieurs aux efforts passés. Ils ne constituent pas des enjeux démesurés et devraient pouvoir faire l’objet d’une programmation, tant au plan national qu’européen. S’agissant de la France, un flux net estimé à 40 000 permis de séjour accordés au titre de la protection internationale n’est pas insupportable au regard d’un solde migratoire de l’ordre de 80 000, qui correspond grosso modo à un solde de personnes étrangères d’environ 140 000 individus16
L’apport d’un cadre européen aux politiques françaises Ce ne sont pas les chiffres qui doivent ici retenir l’attention, mais la vraisemblance d’un cadre commun de décision et d’action des pays européens pour réguler à moyen terme des flux migratoires auxquels ils ne peuvent se soustraire. Les réticences au regard des exigences de solidarité qui découlent de l’appartenance à un même espace de libre circulation ne peuvent pas non plus être négligées. Mais il se peut qu’elles soient mieux surmontées sur la base d’un projet clairement proactif, où la valeur ajoutée de l’Union européenne en matière migratoire, sa complémentarité avec les responsabilités propres aux États membres, seraient mieux mises en évidence. Une telle politique ajustée aux défis actuels aurait un coût, de l’ordre de trois milliards par an, pour donner un ordre de grandeur. De tels montants ne sont pas déraisonnables, si l’on songe que l’Allemagne fédérale a dû dépenser près de 22 milliards d’euros en 201617 pour faire face à la crise exceptionnelle des années 2015-2016
La valeur ajoutée propre de l’Union se situera clairement en amont, à ses périphéries extérieures, qu’il s’agisse de mieux gérer les flux de réfugiés ou de créer les conditions d’une immigration légale, en coopération avec les pays clés et avec les migrants eux-mêmes. Dans la vaste boîte à outils offerte par l’agenda européen pour les migrations, il y a lieu de donner beaucoup plus d’importance qu’aujourd’hui à l’aide de l’Union aux organisations qui, telles le HCR ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ont acquis une vraie compétence pour la protection et l’animation des camps de réfugiés où peut se déployer une nouvelle ingénierie sociale. Une coopération plus étroite de ce type permettrait d’offrir effectivement l’asile sur place en vue d’une réinstallation dans les pays de l’Union, une procédure qui a l’avantage de faire concurrence efficacement aux réseaux de passeurs et qui se rapproche de celle des visas humanitaires que les États membres de l’Union sont aujourd’hui réticents à accorder. L’harmonisation effective des procédures d’octroi ou de refus de l’asile, promu par une Agence européenne plus active que l’actuel bureau situé à Malte, devrait aussi faciliter la gestion délicate et souvent défaillante des accords de Dublin. Elle faciliterait aussi la prise en compte des souhaits d’installation des migrants : un réfugié, ayant obtenu l’asile dans un pays ne correspondant pas à son choix, pourrait se voir accorder, dans des délais rapides, le privilège de la libre circulation
L’Union européenne, qui dispose souvent dans les États concernés de moyens pour les politiques de développement plus importants que ceux de ses États membres pris séparément, pourrait aussi avec l’agence Frontex prendre une part positive aux politiques de retour. Dans les pays d’origine en situation critique où les stratégies de développement sont en échec, du fait de la carence des fonctions régaliennes de base (sécurité des personnes et lutte contre les trafics), des délégués de l’Union pour les migrations devraient désormais oeuvrer pour une coordination effective entre l’aide au développement apportée par l’Union et l’assistance à la consolidation des fonctions régaliennes soutenue par ses États membres compétents, en particulier la France. Plus globalement, la coopération entre l’Union africaine, ou d’autres entités régionales en Amérique latine, et l’Union européenne pourrait devenir le support adéquat d’un partenariat global où seraient vraiment prises en compte les opportunités des migrations circulaires qui comprennent la possibilité d’aller et de retour entre pays d’origine et pays d’émigration
La construction d’un cadre européen aiderait notre pays à donner profondeur et cohérence à ses propres politiques La construction d’un cadre européen pour la gestion des flux migratoires et de l’asile dans une vue de moyen terme, si elle était soutenue activement par la France, aiderait notre pays à donner profondeur et cohérence à ses propres politiques. Cela inciterait, par exemple, à unifier et à simplifier sous l’égide d’une agence nationale unique les responsabilités de l’immigration et de l’asile, aujourd’hui disjointes. Cela donnerait l’impulsion d’un réexamen d’ensemble de la question complexe, et nouvelle par son ampleur, de l’accueil des mineurs non accompagnés. Cela inciterait enfin à donner plus de moyens aux fonctions sociales (logement, apprentissage des langues, formation professionnelle), indispensables au succès d’une politique migratoire et d’une politique d’asile réunies. Le manque chronique de moyens de l’État pour ces tâches est la cause principale des tensions qui l’opposent sur le terrain aux associations militantes, dont la coopération est pourtant indispensable
Dialoguer avec l’opinion publique Dans un pays qui apparaît particulièrement divisé sur le thème des migrations, et même de l’asile, on peut douter de la pertinence de ces propos. Au-delà des apparences cependant, l’expérience des deux dernières années enseigne que nos concitoyens se montrent capables d’un sens de l’hospitalité, sous-estimé par les responsables politiques, lorsqu’ils sont confrontés à l’évidence de la détresse des migrants. Telle est probablement la meilleure nouvelle que l’on ait enregistrée sur le front de l’asile, et plus largement de la solidarité, depuis plusieurs années dans notre pays. Les réseaux associatifs, d’inspiration chrétienne ou non, qui se sont mobilisés pour l’accueil depuis deux ans, comme les simples citoyens, dont nombre de paroissiens, qui se sont présentés aux mairies et aux préfectures, ont fait preuve d’une créativité remarquable. Ils se disent tous témoins d’une transformation sociale féconde. Ils voient les fruits visibles d’une rencontre entre des migrants afghans, érythréens et soudanais qui doivent et veulent tout apprendre de notre pays et des citoyens qui récusent au fond d’eux-mêmes la peur et l’isolement auquel on voudrait les réduire
Cet élan du coeur est une vraie chance pour l’avenir. Il faut donner à voir des chemins raisonnables et praticables sur le long terme pour qu’un tel élan devienne un appui durable pour toute politique proportionnée aux défis nouveaux et indissociables de l’accueil des réfugiés et des possibilités d’une immigration légale. Il faut tenir pour essentiel en démocratie ce dialogue avec l’opinion publique. Cela vaut particulièrement pour les associations et les Églises qui parlent au nom de l’éthique. On a voulu montrer ici qu’une perspective de moyen terme existe, dans un cadre européen, permettant de tenir ensemble les enjeux de l’hospitalité et ceux de la cohésion nationale. C’est le sens politique que l’on peut aussi donner à la tension exprimée dans les appels provocateurs du pape François aux Européens : entre l’exigence de l’hospitalité et la prudence nécessaire pour en assurer la bonne fin
1 Près de 7 200 personnes, dont près de 2 000 mineurs non accompagnés, ont été mises à l’abri dans 301 Centres d’accueil et d’orientation (CAO) et 73 CAO MI (pour l’accueil des mineurs), répartis entre 11 régions et 85 départements, selon le communiqué du ministère de l’Intérieur du 30 janvier 2017
2 Créés en 2015, ils sont destinés aux migrants en détresse humanitaire auxquels ils offrent un répit pour le choix de leur orientation, en particulier la demande d’asile en France, ou le retour
3 Voir le premier rapport remis par Jean Aribaud, ancien préfet du Nord – Pas-de-Calais, et Jérôme Vignon au ministre de l’Intérieur, « Le pas d’après », en juin 2015
4 Signés le 4 février 2003, les accords du Touquet organisent les contrôles douaniers au départ et à l’arrivée de tous les ports de la Manche et de la mer du Nord, ainsi que la répartition des responsabilités de l’instruction des demandes d’asile reçues lors de ces contrôles. Selon ces accords, les demandes reçues à Calais pour la Grande-Bretagne sont instruites en France
5 Non membre de l’espace Schengen, mais signataire des accords de Dublin qui organisent la répartition des responsabilités pour l’instruction du droit à l’asile, le Royaume-Uni devra renégocier cette répartition avec l’Union européenne
6 Comme ce fut le cas à Paris près des gares du Nord et d’Austerlitz, dans le centre-ville de Lille ou à Vintimille
7 Ce dont la destruction volontaire du camp de Grande-Synthe vient de donner l’exemple
8 Ils sont gérés par le ministère de l’Intérieur et dédiés à l’hébergement temporaire des migrants dont la demande d’asile, recevable, est en cours d’instruction
9 Il s’agit des deux directions générales du ministère de l’Intérieur en charge respectivement de l’accueil des étrangers en première arrivée et de l’instruction des demandes d’asile. Les résultats sont déjà tangibles : malgré l’afflux des demandes recevables, le stock des demandes en attente depuis plus d’un an diminue et le taux d’admission à l’asile en première instance dépasse désormais celui des taux de recours positifs auprès de la Cour nationale du droit d’asile
10 Il réunit les ministres de l’Intérieur des pays membres de l’Union pour l’adoption et la mise en oeuvre du titre V du traité de l’Union européenne (Justice et Affaires intérieures)
11 Document référencé COM (240) 2015
12 Voir l’ouvrage de Stefan Alexander, journaliste accrédité auprès de la Chancellerie fédérale qui suivait pas à pas la Chancelière durant toute cette période : Die Getriebenen, Siedler, 2017
13 Avec 42 000 places à la fin de 2017, le réseau des Cada ne suffira pas à accueillir le flux des nouveaux arrivants que l’on peut estimer de l’ordre de 70 000 en 2017 et celui qui reste en attente dans les CAO, lieux de répit et de premier accueil
14 Les montants varient selon qu’ils incluent ou non l’aide spécifique promise en 2016 à la Turquie pour le fonctionnement des camps de réfugiés installés sur son territoire
15 Les protections sont un ensemble de droits, notamment de séjour, accordés en reconnaissance d’une situation de vulnérabilité définie par la Convention de Genève, au terme de l’examen d’une demande d’asile
16 Si le solde migratoire des personnes de nationalité française demeure négatif, comme c’est le cas aujourd’hui
17 Quatorze milliards sur son propre territoire, huit milliards à l’extérieur de l’Union européenne
Jérôme Vignon
Calais, question francaise réponses européennes