Pour un débat de fond sur un véritable revenu universel libérateur
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« Que ferais-je de ma vie si mon revenu était assuré ? »

I. Un changement profond de philosophie de vie et de direction

Depuis la primaire socialiste, un nouveau projet de société a émergé dans le débat politique français : le revenu universel d’existence, autrement connu sous le nom de revenu de base. Mais d’où sort donc ce nouvel ovni politique qui, malgré son titre attractif, est loin de faire l’unanimité ? Dans quelle mesure est-il possible de le mettre en place ? Et qui en sera l’heureux bénéficiaire ? Autant de questions qui monopolisent la sphère médiatique qui en fait, bien souvent à tort, un outil supplémentaire d’aide sociale sans en comprendre les mécanismes.

Le revenu universel que nous appelons de nos vœux part d’abord d’une analyse de la situation de notre société, et principalement de celle du travail. Un véritable revenu universel ne sera pas mis  en place du jour au lendemain. Son concept et ses bénéfices doivent être largement débattus par tous, car il ne s’agit précisément pas d’une aide sociale supplémentaire.
Faisons premièrement un constat. Dans l’Union Européenne, le nombre total d’heures travaillées diminue (25% en 50 ans), le nombre de temps partiels explose et le chômage ne cesse d’augmenter. Certains critiques y voient une relation de cause à effet, sans parvenir pourtant à prouver que travailler plus est un vecteur de création d’emplois. Un exemple parlant qui réfute d’ailleurs clairement cette hypothèse est le cas de la Grèce. Connue pour son taux de chômage record, la Grèce est le pays où le temps de travail en UE est le plus élevé.
La nouveauté des dernières décennies consiste en une recrudescence des travailleurs pauvres. Le travail, présenté par beaucoup comme une « valeur à sacraliser », ne remplit plus aujourd’hui son rôle premier: celui de permettre à une personne et à sa famille de vivre dans la dignité. Apparaissent ainsi des trappes à pauvreté, dans lesquelles les travailleurs les plus modestes gagnent moins que les allocataires les mieux lotis.  Et les solutions libérales (diminuer les allocations pour recréer un différentiel) ou dirigistes (augmenter arbitrairement les salaires) ne résolvent pas la situation.

Les gains de productivité sont réalisés notamment par la mécanisation et l’automatisation croissante de certaines activités – une évolution bénéfique au vu de la pénibilité de nombreux métiers, remplacés aujourd’hui par la machine, l’automate ou le logiciel. Leurs bénéfices sont cependant captés par une minorité, les actionnaires et les dirigeants, qui en récupèrent quelques 80%. Sans contester une hiérarchie logique qui veut que le créateur d’entreprise bénéficie d’une partie plus importante de la richesse de son entreprise que son salarié, force est de constater que le système classique ne fonctionne pas.

Face à ce constat, et à la destruction consécutive de nos systèmes sociaux, il y a deux solutions.

La première, présentée par tous les candidats à la présidentielle 2017 – à l’exception de Benoît Hamon-, est de « croire en la valeur travail ». Comme le dit la formule, désormais rengaine obligatoire de tout discours bien-pensant, il s’agit de « croire ». Cela relève donc par définition, de la foi, et de la confiance que tout un chacun est supposé accorder à cette notion. Mais la valeur travail, élevée au niveau d’autres valeurs comme la liberté, l’égalité, la fraternité, la justice ou la laïcité, doit se comprendre ici comme le « travail marchand ». De fait, tout autre travail, qu’il soit bénévole en association, solidaire par des voisins attentionnés, ou nécessaire exercé par des parents au foyer, n’existe pas à leurs yeux. Seul le travail rémunéré existe.
L’alternative est de constater le fait que le travail se raréfie, particulièrement le travail permettant à chacun de vivre dans la dignité et de sortir de la pauvreté. Il est évident que généraliser l’esclavage et le travail gratuit des enfants pourraient rétablir le plein emploi. Heureusement, aucun des thuriféraires de la « valeur travail » ne souhaite ce retour en arrière – même si leurs ancêtres politiques s’étaient élevés à l’époque contre les progrès sociaux.

En réponse à ces fléaux constatés dans notre société (raréfaction du travail, augmentation de la pauvreté), plusieurs courants d’obédience libérale ont théorisé depuis plusieurs années une solution : le revenu universel d’existence. Contrairement à ce que semble véhiculer certains discours, Benoît Hamon n’est donc pas l’inventeur du concept qui est débattu et mis à l’essai partiellement aujourd’hui dans plusieurs pays dont la Suisse et la Finlande à titre de projets pilotes.

Alors en quoi consiste-t-il? Tout simplement à donner à chacun une somme mensuelle unique, indépendamment de son travail ou de sa situation sociale. Sans considérer pour le moment les aspects techniques, le revenu universel apparaît comme un instrument de politique sociale et économique réellement progressiste et qui cumule plusieurs avantages:

  • Diminuer la pauvreté et redonner la dignité à tout un chacun : un revenu universel permet de couvrir les besoins élémentaires;
  • Rendre chacun libre de choisir son temps de travail en fonction de ses besoins : réduction du temps de travail, temps partiel, congé sabbatique;
  • Supprimer les trappes à pauvreté : tout revenu du travail vient s’ajouter au revenu universel. Un travailleur gagnera toujours plus qu’un seul allocataire;
  • Permettre l’essor de la culture et des arts : plus de régime des intermittents et de précarité artistique;
  • Permettre aux étudiants de se consacrer à leurs études et de les terminer plus rapidement : plus besoin de choisir entre se rendre en cours ou aller travailler pour payer les frais liés à la vie étudiante;
  • Soutenir la création d’entreprise et la prise de risque : beaucoup de créateurs renoncent car n’ont pas de rémunération au début de l’activité;
  • Maintenir une vie dans les campagnes : agriculteurs, commerçants, artisans, économie sociale et solidaire sont sécurisés;
  • Maintenir un niveau de vie décent à la retraite : nos aînés méritent de finir leurs jours décemment, comme ils le choisissent, en maison de repos ou chez eux.

Malheureusement, le projet de Benoît Hamon a souffert de la critique de ses détracteurs. Pouvoir se poser à tout moment la grande question « QUE FERAIS-JE DE MA VIE SI MON REVENU ÉTAIT ASSURÉ? serait définitivement une vraie nouvelle dimension sociétale et philosophique et entamerait une nouvelle ère de l’humanité – qui selon mon analyse de l’évolution digitale et du monde du travail s’imposera tôt ou tard dans les années à venir.

Au final, à ce jour en France, le concept de base est complètement oublié et les débats incessants sur son financement étouffent le revenu universel avant même qu’il ait pris forme.
Or, ce financement est réalisable. 

II. Le financement

A supposer que l’on verse 800€ par mois et par adulte, et 400 € par mois par enfant. Compte tenu des 50 millions d’adultes et des 15 millions d’enfants, cela fait un budget de 540 milliards par an.
Le chiffre est imposant, naturellement. Et pour un État endetté comme la France, il est normal qu’il puisse effrayer les plus sceptiques. Mais, plutôt que d’en rester au financement successif d’aides sociales à rebondissement, pourquoi ne pas se pencher objectivement sur la question d’un financement et d’un changement profond du fonctionnement de l’aide d’État. Parce que ceux qui disent que le revenu universel est impossible à financer se méprennent.

Regardons plutôt quel serait le chantier à mener pour le rendre possible.

Tout d’abord, en élaguant et en supprimant plusieurs dispositifs désuets ou bancals d’aides et d’assurances sociales déjà existants. D’après la DREES, les dépenses de prestations sociales s’élevaient en 2014 à 689 milliards. Le RUE ne les supprimeraient pas toutes, car il faut rendre justice à celles qui fonctionnent dans un périmètre restreint, mais certaines, trop larges et trop complexes, dont voici la liste : minimum vieillesse, RSA, allocations familiales, aides au logement. Ces aides coûtent à l’État pratiquement 100 milliards d’Euros par an.
À cela s’ajoutent les quotes-parts liées au RUE pour les prestations vieillesse, invalidité et chômage, qui deviendraient caduques. Par exemple, la pension de retraite moyenne, tous régimes confondus, qui est de l’ordre de 1300 €/mois (hors complémentaires), et le total des pensions, qui coûte 307 milliards d’Euros.
Avec le RUE, seule la quote-part au-delà des 800 € mensuels est à financer.

Cela allège donc automatiquement et considérablement la branche retraite de 190 milliards d’Euros. Pour les prestations invalidité et chômage, le même mécanisme aboutit à un gain de 40 milliards d’Euros.

Résumons :
– suppression du mille feuilles d’aides sociales : 100 milliards d’Euros d’économies
– Diminution des retraites (à raison de l’instauration du RUE) : 190 milliards d’Euros d’économies
– Diminution des allocations chômage et pension d’invalidité (à raison de l’instauration du RUE) : 40 milliards d’Euros d’économies
Total : 330 milliards trouvés sur les 540 milliards nécessaires pour financer le RUE.

Continuons.
Bien sûr, la suppression de dizaines de mécanismes d’aides sociales rend inutiles nombre d’administrations et leurs fonctionnaires.
Le gain supplémentaire est de 10 milliards d’Euros. Il reste donc 200 milliards à trouver pour atteindre le compte.

Voyons les dépenses fiscales. Un des premiers abattements fiscaux existants, le quotient familial, qui rend à une famille aisée plus d’argent par enfant qu’à une famille modeste, n’a plus lieu d’être. De même, si chaque contribuable déclare ses revenus seuls, et non en couple pour les personnes mariées (système actuel favorisant les hauts revenus), l’économie est calculée à 30 milliards d’Euros.

Le reste, c’est-à-dire 1/3 du coût total, peut se financer soit par un abandon de la progressivité de l’impôt et une flat tax (le premier euro gagné au-delà du RUE est taxé à 40% par exemple), soit par une hausse de la TVA, soit par une taxe sur les hauts profits bancaires. Les modèles divergent sur cette question, mais le débat ne fait que commencer, et les possibilités sont nombreuses. Il n’y a qu’à voir avec quelle ingéniosité les gouvernements successifs ont réussi à financer leurs réformes en taxant seulement les entreprises ou le contribuable.

L’impact final serait donc le suivant.
Célibataire gagnant 1.500 € net mensuel : actuellement, 568 € d’impôt par an. Reste en poche : 17.432€ / an
> RUE : 9.600 € / an
> salaire : 18.000 € – 40% d’impôts = 10.800 €
> revenu total annuel en poche : 20.400 €
> gain : ca. 3.000 € / an, soit 18%.

Famille de deux enfants, gagnant 3.000€ net menseul à deux : actuellement, pas d’impôts. Reste en poche : 36.000 € + allocations de ca. 4.000 €
> RUE : 28.800 €
> salaire : 36.000 € – 40% d’impôts = 21.600 €
> total : 50.400 €
> gain : 10.400 € soit 24%

Famille de trois enfants, gagnant 8.000 € net mensuel : actuellement, 9.500 € d’impôts + allocations ca. 4.000 €. Reste en poche : 90.500 €
> RUE : 33.600 €
> salaires : 96.000 € – 40% = 57.600 €
> total : 91.200 €
> gain : 700 €, soit 1%

Célibataire, gagne 5.000 € net mensuel : actuellement, 11.100 € d’impôts. Reste en poche : 48.900 €
> RUE : 9.600 €
> salaire : 60.000 € – 40% = 36.000 €
> total : 45.600 €
> perte : 3.300 €, soit 6%.

Comme nous le voyons, le RUE est un formidable outil de simplification, de redistribution et de justice sociale.
Il est largement finançable et permet d’avoir un système durable, ne laissant personne au bord de la route, rendant du pouvoir d’achat aux Français, et surtout, favorisant la culture et la création d’entreprise, rendant ainsi de la liberté à nos concitoyens.

C’est le modèle que nous soutenons et que nous souhaitons pour un avenir plus serein. Se battre pour un tel changement de société en vaut selon nous la peine et il est évident aujourd’hui, que celle-ci doit à nouveau évoluer pour sa propre survie.

Ensemble, changeons la donne!