édition du 5 juin 2012
Encore dans l’ombre des socialistes, les militants d’Europe Ecologie – Les Verts estiment qu’il y a de la place à gauche pour une offre alternative
Rennes Envoyée spéciale
Salle de la Cité, à Rennes, la soirée organisée par France Nature Environnement avance sans heurt ni éclat. Les candidats à la députation de tous bords, ou leur suppléant, sont bien là mais… pas le public. Sans doute la proximité des législatives qui relègue les sujets locaux à un autre jour l’aura-t-il découragé. Au programme ce soir : la sortie du nucléaire, le ferroutage, les antennes relais… et le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à 70 kilomètres de là ; le seul thème qui réveille illico l’assemblée.
» Tout le monde est fatigué, explique Matthieu Theurier, 28 ans, militant depuis dix ans à Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et candidat dans la 8e circonscription d’Ille-et-Vilaine (Rennes nord-ouest). Nous sommes une soixantaine à avoir travaillé dur pendant des mois pour soutenir – Eva Joly – notre candidate à la présidentielle. Mais il ne faut pas s’y fier : Les Verts forment un groupe dynamique ici. Nous comptons près de deux cents adhérents dans l’agglomération. «
Le 6 mai, Mme Joly a d’ailleurs obtenu 5,3 % des voix à Rennes – sa meilleure performance dans une ville. Et les Verts y ont déjà connu des jours exaltants : aux élections européennes de 2009, ils avaient ainsi décroché un royal 27 %, presque huit points de plus que les socialistes. Assez pour les encourager à se présenter seuls au scrutin régional, en 2010, où ils devaient obtenir 22 % des suffrages. Un score honorable, mais encore loin derrière les 50,5 % de la liste PS conduite par Jean-Yves Le Drian, nommé ministre de la défense à la mi-mai.
Un mandat dans la majorité municipale, un autre dans l’opposition, les militants écologistes vivent avec les socialistes de la capitale bretonne un feuilleton en forme de » je t’aime-moi non plus « . Et l’épisode du moment relève plutôt du » moi non plus « .
» Un côté bobo »
Le PS voit dans ces indociles militants rennais la tendance la plus radicale d’EELV. Benoît Careil, le directeur de campagne des sept candidats écologistes qui se présentent dans le département voit le PS local comme » une formation hégémonique, indéboulonnable, avec des élus trop sûrs d’eux et de leurs dossiers, qui prennent la moindre contradiction pour de l’opposition politique « .
M. Careil garde rancune aux socialistes d’être parvenus à diviser les troupes écologistes lors des dernières municipales ; et il les soupçonne de ne pas faire beaucoup d’effort à l’occasion des législatives. » Au grand meeting d’entre-deux-tours, on était présents, mais aucun de nous ne fut convié au premier rang « , peste d’ailleurs Matthieu Theurier.
Accord national PS-EELV oblige, l’Ille-et-Vilaine a une circonscription réservée, celle de Fougères où se présente Agathe Remoué – responsable presse pendant la campagne d’Eva Joly -, au nom du rassemblement de la gauche et des écologistes. Mais ces derniers reprochent aux militants PS de ne pas beaucoup se mobiliser pour elle. De là à ce qu’ils se laissent aller à soutenir Louis Feuvrier, le maire divers gauche de Fougères…
» Le vote écolo à Rennes a un côté bobo, il est le fait d’une classe moyenne supérieure du secteur public et du privé, attentive à son cadre de vie… c’est cette « urbanité » bien dans l’air du temps qui attire une nouvelle population, analyse Romain Pasquier, directeur de recherches au CNRS et professeur à Sciences Po Rennes. La ville est tellement ancrée dans le socialisme municipal que la bataille ne peut avoir lieu qu’à gauche. « Pourrait-elle menacer la majorité ? » Non, on va vers un scrutin de confirmation, mais un classique phénomène d’usure se dessine. «
Benoît Careil ne dit pas autre chose : » Notre électorat a entre 25 et 45 ans. C’est une génération qui n’a connu que le PS à Rennes, sensible à l’agriculture bio, à la lutte contre les pesticides… « Les enjeux environnementaux ne comptent-ils pas plus que ça ? » On ne défend pas les petits oiseaux, mais l’espèce humaine qui dépend de son environnement, rétorque M. Theurier. Notre ligne, c’est l’écologie politique. On veut parler d’humanisme, d’égalité, de solidarité, de modèle économique et d’emplois. A chaque élection, la ville évolue un peu plus à gauche. On se dit qu’il y a de la place pour une formation alternative. «
Seulement à Rennes, on peut toujours trouver plus à gauche que soi. Et ce ne sont pas les socialistes qui prétendront le contraire. Ils ont en effet noté que chaque fois que les écologistes se présentaient avec eux, surgissaient dans l’espace vacant d’autres formations véhémentes comme les Motivé-e-s en 2001, par exemple.
La capitale bretonne est également bien dotée en mouvements anarchistes. » Ils viennent toujours nous chercher quand il faut financer une de leurs actions ou défendre un squat et après… ils critiquent autant le PS que nous « , constate d’ailleurs Matthieu Theurier en rigolant.
Martine Valo, Le Monde