15 février 2012
CARBURANTS, UN COMBAT DOUTEUX
Dans leurs excès corporatistes et consuméristes, les transporteurs et les associations qui les soutiennent, ne travaillent-ils pas, à leur insu, à favoriser les intérêts des pétroliers au détriment des salariés de la filière ? La question se pose quand on les voit avancer comme seule perspective une revendication d’une baisse générale de 25 cts du prix des carburants, montant dénué par ailleurs de tout fondement rationnel. La proclamation réitérée de cette exigence et l’appel à la « solidarité » de tous les Réunionnais pourraient laisser croire qu’il s’agit là d’un combat juste et qu’il est possible d’obtenir une telle diminution du prix immédiatement sans que cela ait de conséquences. Pourtant une étude récente et précise de l’Autorité de la Concurrence montre que si l’ont peut effectivement faire baisser le prix du carburant, c’est uniquement et au maximum de 7 à 8 centimes par litre ! Mais la contrepartie en serait terrible pour de nombreux salariés et leurs familles. En effet, en automatisant les stations en libre service comme cela se fait en métropole où un seul employé gère par vidéo surveillance une dizaine de pompes à gabier intégré grâce auxquelles les clients se servent et payent par carte, il est possible de réduire le poids des charges salariales qui actuellement représente environ 60 % de la marge de détail (Rapport Ollier).
Cela se traduirait par la mise au chômage de plus de mille salariés sur les 1330 que compte la filière et toucherait donc 3 à 4000 personnes en comptant leurs familles. La particularité de l’outremer, c’est que les pétroliers y sous traitent à des gérants la distribution au détail, les stations service en employant de nombreux salariés remplissent donc une « fonction sociale » et jusqu’ici ce modèle malgré son coût faisait consensus. On sait que la marge de détail a connu une très forte augmentation à La Réunion, + 60 %, entre 2001 et 2009, c’est elle qui porte la principale responsabilité de la hausse des prix des carburants (Rapport Ollier et Autorité de la Concurrence).
Donc aborder le prix des carburants comme le font les associations et les transporteurs sous le seul angle du consumérisme et du corporatisme, c’est donner un signal fort aux pétroliers qui n’attendent que ça pour adopter à La Réunion le modèle métropolitain de réseaux de distribution sans salariés beaucoup plus rentable. L’automatisation permettrait une légère baisse du prix des carburants, toute relative cependant car les pétroliers feraient payer aux consommateurs les investissements nécessaires à l’automatisation de l’infrastructure et l’envol inéluctable des cours mondiaux du pétrole ferait le reste. Voilà pourquoi ce mouvement corporatiste et consumériste créée de la confusion dans l’opinion en apportant des arguments à ceux qui souhaitent remettre en cause le modèle social et économique de la distribution de détail propre à l’outremer, avec comme seul argument la défense du « portefeuille » de chacun.
Cela rend d’autant plus indécent l’appel à une prétendue « solidarité » lancé par certains, la solidarité ne consiste pas à détruire des emplois, à flatter les comportements individualistes, ni à réduire le problème bien réel de la cherté de la vie à un simple problème de carburant, la solidarité, la vraie, consiste à poser le problème de la vie chère dans son ensemble et à lui trouver une solution d’ensemble, une solution qui soit à la fois durable et juste, le contraire du consumérisme et du corporatisme.
14 janvier 2012
LE LOBBY DES TAXITEURS
Voilà donc que les taxiteurs remettent ça (clic-clic) ! Comme le dit l’article du JIR, « Au conseil général, les taxiteurs veulent revoir les prix des prestations pour le transport scolaire handicapé, et s’inquiètent des conséquences des lignes de transports Z’éclair sur leur chiffre d’affaires, lesquelles s’apprêtent à être renouvellées pour 3 ans ». Bref, pour ce cher Ary Claude Caro, l’un des principaux lobbyistes du tout routier local, « les taxis y ont laissé des plumes ». Je rappelais en septembre dernier (ici) que ce lobby, ennemi des transports en commun (clic-clic), portait une lourde responsabilité dans l’échec du projet tram-train de transport ferré à La Réunion. Ce même Ary Claude Caro a réussi il y a un an à empêcher Air France de mettre en place une navette allant de l’aéroport Roland Garros jusqu’à Saint-Pierre au tarif de 20 euros alors que les taxiteurs font payer aux usagers et aux touristes le prix exorbitant de 150 euros (clic-clic)!
Il est temps que la volonté politique fasse primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers et que l’on mette au pas un lobby qui empêche tout développement durable et intelligent de La Réunion.
11 décembre 2011
DÉCAPITATION DES PLUS VIEILLES MONTAGNES DU MONDE
Photos des Appalaches by courtesy Vivian Stockman / www.ohvec.org.
Flyover courtesy SouthWings.org
Thanks Vivian !
La foi dit-on, déplace les montagnes. La cupidité est capable, elle, de les araser.
C’est en lisant le livre d’Alan Weisman, Homo Disparitus (The World without us 2007), que j’ai découvert les « montagnes fantômes » photographiées par Vivian Stockman. Ce qui m’a conduit à entrer en contact avec Vivian et à découvrir le combat de l’association OVEC (pour Ohio Valley Environmental Coalition clic-clic), contre le « mountaintop removal » (MTR).
Depuis quelques années dans les Appalaches, les compagnies minières américaines utilisent une technique extravagante mais beaucoup plus économique que l’exploitation minière, une technique imparable pour exploiter le charbon de ce massif montagneux, il s’agit du « mountaintop removal », mot à mot, le « déplacement du sommet », en fait une véritable décapitation de la montagne.
La forêt qui la recouvre est rasée, la couche supérieure du sol déblayée puis la montagne est détruite à coups d’explosifs, les gravats et rochers sont alors évacués par des excavatrices géantes. Les arbres, chênes, hickorys, magnolias, cerisiers d’automne, sont arrachés par les bulldozers et jetés dans les ravines, ensevelis sous des tonnes de gravats.
Ce procédé est presque exclusivement utilisé aux Etats-Unis – essentiellement en Virginie-Occidentale, dans le Kentucky et le Tennessee – depuis le milieu des années 1990.
Il est particulièrement adapté aux régions montagneuses dotées de veines de charbon fines et proches de la surface comme les Appalaches.
Le coût de revient du charbon extrait selon cette méthode est imbattable et on comprend pourquoi le lobby minier est assez puissant pour commettre de telles exactions quand on sait que plus de la moitié de l’électricité du pays est produite par des centrales à charbon.
Selon les associations écologistes, près de 500 sommets auraient déjà été exploités et au moins partiellement détruits dans toutes les Appalaches. L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) estime que, en 2013, 6,8 % de la surface de forêts existant en 1992 dans les régions concernées aura été détruite par la technique du mountaintop removal. Rien qu’en Virginie de l’ouest, plus de 1500 km de cours d’eau ont disparu.
Quelques habitants font de la résistance et refuse de vendre leurs maisons aux compagnies minières mais doivent vivre dans un paysage de désolation, un océan de rocs et de boue, sillonné des engins monstrueux aux roues gigantesques et au milieu des explosions destructrices.
La destruction des plus vieilles montagnes du monde (voir vidéo ici) provoque cependant une mobilisation de plus en plus forte des organisations écologistes mais les géologues industriels font valoir que les réserves des USA, de la Chine et de l’Australie contiennent l’équivalent de six cents ans de charbon. Le combat est donc loin d’être gagné. Beaucoup attendaient du Président Obama qu’il mette fin à ce scandale mais son administration avance très lentement sur ce dossier « sensible » voir ici.
L’histoire de la Virginie-Occidentale est étroitement liée à celle de l’exploitation souterraine du charbon, qui n’a cependant enrichi personne ici puisque c’est le troisième Etat le plus pauvre des Etats-Unis. En 1921, eut lieu la bataille de Blair Mountain, la plus grande révolte armée de l’histoire syndicale américaine, qui fit plusieurs dizaines de morts, aussi bien chez les mineurs que parmi les milices mises sur pied par les compagnies.
2 décembre 2011
LA NOUVELLE ROUTE DU LITTORAL & L’ENQUÊTE D’UTILITÉ PUBLIQUE
La Réunion n’en finit pas de payer l’erreur historique du choix arrêté en 1955 de faire passer l’axe Saint-Denis /La Possession sur le littoral. Dès l’achèvement en 1963 de la première route en pied de falaise, devant sa dangerosité, on envisagea la construction d’une nouvelle route plus éloignée en mer. Mais en 1976, lors son inauguration, cette deuxième route du littoral se révéla elle aussi dangereuse et on réfléchit aussitôt à une 3ème route. Aujourd’hui et malgré les millions d’euros dépensés en entretiens et en travaux de sécurisation, on persiste dans les erreurs du passé en proposant un troisième itinéraire toujours sur le littoral, encore un peu plus éloigné sur la mer et en y incluant cette fois un Transport Collectif en Site Propre (TCSP).
On se souvient que le projet de la Nouvelle Route du Littoral (NRL) a été modifié le 14 octobre 2010 par les Accords de Matignon II.
D’un coût estimé en 2007 à 930 millions, la NRL est passée à 1600 millions d’euros du fait de l’ajout d’une sur largeur ( passage à une 2 X 3 voies dont deux voies dédiées à un TCSP bus puis à terme, un TCSP ferré) et du fait de l’abandon du péage routier.
Le projet actuel retenu par la Région est la variante dite V3.2bis qui prévoit la construction d’une digue de 6,9 km gagnée sur la mer (une partie sur 1,2 km à la sortie de Saint-Denis, une autre longue de 5,7 km de la Grande Chaloupe à La Possession) et entre les deux, un viaduc en mer de 5,3 km.
La Région reconnaît qu’elle a choisi cette variante uniquement parce qu’elle est la moins coûteuse, la seule compatible avec l’enveloppe budgétaire des Accords de Matignon II. Or, c’est la variante la plus impactante au point de vue environnemental.
Examinons la.
1) Cette variante V3.2bis va accentuer l’artificialisation du littoral.
La construction de digues sur près de 7 km (6,9 km) aura des impacts importants sur le trait de côte. Le dossier n’en dit pas grand chose alors que c’est un des éléments les plus importants du dossier. Un tel ouvrage provoquera une modification des courants favorisant ainsi les déplacements de sédiments marins et de matériaux issus des ravines. Il en résultera des modifications de l’action de la mer avec de fort impacts sur le trait de côte, sur place ou à distance, notamment sur la baie de Saint Paul ou sur les plages de l’ouest.
L’expérience montre qu’à moyen terme les coûts de protection contre la mer de certains ouvrages sont très élevés et récurrents.
L’artificialisation a comme effet de fragiliser le littoral et donc de conduire à renforcer en permanence les ouvrages de protection comme par exemple les tétrapodes de la route du littoral, laquelle, sans cela, s’enfoncerait dans la mer (clic-clic).
Les nombreux travaux d’artificialisation réalisés depuis des années (endiguement de plusieurs rivières, construction de ports, la route du littoral, piste longue de Gillot, etc.) ont déjà largement contribué à l’érosion littorale qui aboutit dans l’ouest à la disparition progressive des plages. Le taux d’artificialisation du littoral réunionnais est le plus important des quatre DOM, les surfaces artificialisées couvrent 28,2 % des terres situées à moins de 500 m de la mer (chiffres IFEN 2004).
2) La variante V3.2bis suppose aussi l’extraction de 10 millions de m3 de matériaux qu’il faudra transporter et transformer. Ce qui de l’avis de tous les spécialistes est énorme. Ce qui veut dire aussi que pendant les sept années de durée des travaux, la NRL va monopoliser l’essentiel de l’extraction des agrégats au détriment des autres activités qui en dépendent faisant ainsi monter les coûts. Sans compter évidemment les conséquences en termes environnementaux : impact sur les écosystèmes proches des sites d’extraction, bruits, dégradation de la qualité de l’air, émissions de CO2, circulation des camions, nécessité de restauration des sites d’exploitation, etc.
3) La digue aura un impact direct sur la frange littorale. Car la diminution de l’influence des embruns va contribuer à modifier le fonctionnement des écosystèmes de la falaise et va aussi contribuer à la constitution d’un « nid » de prolifération d’espèces exotiques envahissantes. Comme le dit Jean-Lionel Vigna, membre de la SREPEN et à ce titre membre de la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites : “En l’état actuel, alerte , le remblai de 60 m de large en moyenne va couper la falaise et son écosystème des embruns. Or, la végétation s’est construite en fonction d’un gradient de salinité donné. Elle risque donc de disparaître et on parle là d’espèces protégées, menacées de disparition, comme les composantes de la forêt semi-sèche”. (Voir les quotidiens du 8 septembre 2011).
4) Cette variante retenue uniquement pour des motifs budgétaires peu justifiés (le surcoût de l’autre variante est seulement de 10 %) risque de lui poser de gros problèmes car elle nécessitera d’obtenir une dérogation aux objectifs de la Directive Cadre sur l’Eau (Directive n° (2000/60/CE), objectifs qui fixent un bon état des masses d’eaux dont les eaux côtières en 2015. La digue de 5,7 km qui va du PK 9 à PK 13, affectera une zone à enjeux écologiques forts, notamment la zone du banc récifal des Lataniers. Or, une dérogation peut être obtenue s’il est fait la preuve que la solution la mieux disante sur le plan écologique ne peut être choisie pour des raisons de faisabilité technique ou de coûts disproportionnés, ce qui n’est pas le cas ici.
5) La mort de la Grande Chaloupe ?
Le site de La Grande Chaloupe appartient au patrimoine historique et culturel de La Réunion, c’est un de ses lieux hautement symboliques de l’histoire du peuplement de l’île.
Or, un barrage composé d’une digue élevée à une hauteur nettement supérieure à celle de la route actuelle et d’un demi échangeur coupera le site de la vue sur la mer.
D’autre part, des milieux naturels de forêt semi-sèche remarquables, derniers vestiges d’une végétation originaire, qui ont justifié un classement en réserve naturelle et son intégration dans le périmètre du Parc National de la Réunion (Patrimoine mondial de l’Unesco), seront aussi sous la menace des conséquences éventuelles de construction de la digue.
Projet de digue à la Grande Chaloupe
6) Non respect du Code de l’Environnement
Le dossier présenté par la Région contrevient aux dispositions du Code de l’Environnement. Ainsi l’article article R.122-3 IV prescrit que l’étude d’impact doit porter sur l’ensemble du programme. Or, l’étude présentée par la Région omet d’inclure les impacts des travaux qui sont intrinsèquement liés à la NRL, comme ceux qui concernent les entrées de villes, La Possession et surtout Saint-Denis.
7) La question des coûts
Si tout le monde se souvient que la Route des Tamarins a connu un dépassement financier de +70 %, beaucoup ont oublié que les deux premières routes (1963 et 1976) ont elles aussi connu un dépassement de + 70%. En 2008, Nicolas Morbé, déjà directeur d’opérations à la Direction Régionale des Routes déclarait à la presse que le projet de l’époque dans sa version mixte digue-viaduc était estimé à 1,3 milliards d’euros. Mais il y a trois ans le projet ne comportait alors que 2 X 2 voies. Aujourd’hui, il a considérablement changé de nature puisqu’il s’agit de réaliser une 2 X 3 voies avec 2 voies réservées à un TCSP ferré et que tout financement par péage a été supprimé. Il est donc clair que le chiffre de 1,6 milliards d’euros pour un tel ouvrage sous estime largement le coût réel. D’autant plus que l’enveloppe de Matignon n’intègre pas le coût des travaux nécessaires aux entrées des villes de La Possession et Saint-Denis. D’après nos estimations, La NRL sera trois fois moins longue que la route des Tamarins mais coûtera trois fois plus cher.
8) Le TCSP, parent pauvre du projet.
Concernant le TCSP, dans son avis émis le 12 octobre, l’Autorité Environnementale (AE) s’étonne de la place « très modeste » occupée par le transport en commun « que ce soit au niveau de la justification du projet global, de la description de l’intégration de cette partie TCSP de 12,6 km dans le système de transports collectifs de l’île, ou encore de la présentation des évolutions en cours de ces transports ». L’AE remarque aussi que rien n’est dit sur les conditions matérielles de passage d’un TCSP bus à un TSCP ferré « dont les modalités de fonctionnement sont d’une autre nature » et recommande donc à la Région de démontrer de manière réaliste la possibilité du passage d’un TCSP bus à un TCSP ferré. Aucune prévision sérieuse sur les hypothèses de report de trafics vers un éventuel « Trans éco express » n’est fourni. Tout se passe comme si le TCSP était un élément annexe, voire un alibi.
Conclusion
Il y a à La Réunion un lobby des professionnels de la route, il a démontré sa puissance en novembre 2008 en paralysant toutes les activités socio-économiques de l’île pendant plusieurs jours et récemment encore lorsque les 28 taxiteurs de l’aéroport Roland Garros ont réussi à empêcher Air France de mettre en place une navette Gillot-Saint-Pierre à 20 euros le trajet contre actuellement 150 euros en taxi.
Ce lobby voulait :
• la suppression du transport en commun ferré qui lui ferait concurrence,
• la priorité de investissements accordée à la Nouvelle Route du Littoral,
• la suppression du péage.
Sur tous ces points, il a obtenu satisfaction. Les intérêts corporatistes du court terme ont prévalu sur l’intérêt collectif et l’anticipation. La NRL gratuite sans véritable contrepartie en termes de transports en commun, est une absurdité politique qui sera payée par l’ensemble des contribuables réunionnais mais ne résoudra en aucun cas, bien au contraire, les problème de circulation et déplacements. Sachant que toute nouvelle infrastructure routière favorise un recours accru aux véhicules particuliers (la Route des Tamarins a contribué à mettre 7000 véhicules supplémentaires par jour sur l’actuelle route du littoral, on est passé de 48 000 véhicules/jours à 55 000), cette politique des déplacements dont l’axe essentiel est une super route passant sur viaduc en mer, ne fera que dégrader la situation, en favorisant notamment un afflux de véhicules dans le chef lieu.
On retiendra donc trois grandes faiblesses du dossier présenté : la place marginale du TCSP, le problème non réglé ni financé des entrées de villes et la question du coût global largement sous estimé. Mais toutes découlent de la contrainte budgétaire à laquelle s’est exposée la Région dès lors qu’elle a modifié le projet en le transformant en une 2 x 3 voies sans péage avec une enveloppe de 1600 millions d’euros à ne pas dépasser. Les anciens accords prévoyaient 2245 millions d’euros pour les deux projets, une route à 2 x 2 voies et un TCSP ferré. Là, la Région doit faire une route 2 x 3 voies + un TCSP bus avec seulement 1850 millions d’euros.
La conséquence la plus grave en est le choix de la variante la moins coûteuse en apparence mais dont le coût en termes environnementaux est excessivement élevé pour une île qui vient d’obtenir son inscription au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Les écologistes, en l’absence d’une alternative crédible offerte aux Réunionnais en matière de transports en communs, ne pouvent que rejeter un tel projet comme inadapté, coûteux pour les finances publiques et dangereux pour l’environnement.
19 novembre 2011
PINOCCHIO A LA RÉUNION
PINOCCHIO POSSÈDE PRÈS DE 75 % DES TERRES ARABLES DE LA RÉUNION
Les prix Pinocchio du développement durable, organisés par les Amis de la Terre – France , ont pour but d’illustrer et de dénoncer les impacts négatifs de certaines entreprises françaises, en totale contradiction avec le concept de développement durable qu’elles utilisent abondamment. Bref, c’est le prix de la tartufferie.
Le groupe Tereos qui possède 100 % de la filière canne à La Réunion vient d’obtenir le 17 novembre 2011 cette récompense dans la catégorie « Une pour tous, tout pour moi ! » avec 41 % des votes (clic-clic).
Téréos se présente comme une brave coopérative de betteraviers (clic-clic) mais c’est en réalité une véritable multinationale qui fait partie de ces sociétés qui accaparent les terres fertiles dans les pays pauvres pour y développer la cultures des agrocarburants.
C’est pour son implantation au Mozambique que Téréos a été plébiscitée dans sa catégorie. Tereos détient en effet près de 100 000 hectares de terres cultivables qu’elle transforme en monocultures énergétiques, confisquant ainsi des terres agricoles fertiles aux populations locales. Alors que Tereos réalise 194 millions d’euros de profit, 70 % de la population du Mozambique continue de vivre sous le seuil de pauvreté.
C’est une filiale brésilienne de la maison mère, Téréos Internacional, entièrement dédiée aux agrocarburants qui détient près des 3/4 des terres arables de notre île. Ce blog l’a déjà évoqué ici (clic-clic).
5 novembre 2011
ÉMEUTES & HAUSSE DES PRIX DES DENRÉES ALIMENTAIRES
Dans un article paru en août 2011,The cause of riots and the price of food, des chercheurs du New England Complex Systems Institute (Cambridge) estiment que si la tendance à la hausse des prix alimentaires se poursuit, les troubles sociaux qui en résulteraient pourraient balayer la planète dans quelques années. Sans partager entièrement la radicalité de cette vue catastrophiste, nous pouvons cependant remarquer que les dits chercheurs ont établi un graphique assez troublant sur lequel on peut voir la quasi parfaite coïncidence entre la courbe de l’indice FAO (Food and Agriculture Organization) des prix des produits alimentaires (en noir) et le déclenchement d’émeutes (en rouge). Il ne s’agit pas de croire naïvement que la hausse des prix déclenche mécaniquement des révoltes mais, elle contribue puissamment à créer les conditions d’une remise en cause des régimes dictatoriaux qui affament leurs peuples. Les hausses des prix des produits alimentaires sont provoquées d’une part, par la spéculation sur les prix des denrées accentuée par la dérégulation des marchés des matières premières et d’autre part, par la politique de conversion des terres consacrées jusqu’ici à la culture des céréales, en terres dédiées à la production d’éthanol.
L’analyse du New England Complex Systems Institute tendrait en tout cas, comme le remarque justement Vincent Cheynet du journal La Décroissance, à relativiser tous les discours à la mode sur le rôle de Facebook ou Twitter comme déclencheurs des révoltes du « printemps arabe ».
1 novembre 2011
MAÏDO, LE TEMPS DES RESPONSABILITÉS
Le 30 novembre 2010, au PC de lutte contre le feu installé au Maïdo et alors que le Préfet déclarait l’incendie de 2010 officiellement éteint, Mme Marie Luce Penchard, Secrétaire d’Etat à l’Outremer, affirmait à la presse réunionnaise « Je mettrai tout en œuvre pour que l’incendie du Maïdo ne se reproduise plus ».
Un an plus tard, un incendie encore plus terrible est en train de ravager le Parc National sur une surface trois fois plus grande. Mais s’il est normal de rappeler à Mme Penchard ses propos, il ne faudrait pas cependant que l’invocation des responsabilités de l’Etat masque celles des certains élus locaux.
Nombreux d’entre eux n’ont semble-t-il pas compris que le classement du Parc au Patrimoine de l’UNESCO aurait comme contre partie un haut niveau d’exigences et de devoirs en matière de gouvernance, de préservation et de valorisation du patrimoine. Ces obligations patrimoniales auront un coût financier. Nous sommes loin du compte.
En décembre 2009, une mission d’évaluation pilotée par le Ministère de l’Ecologie mettait déjà en cause « la gouvernance externe et interne » du Parc pointant notamment « un déficit manifeste de lisibilité et de compréhension des actions conduites par l’établissement, la poursuite des incertitudes sur la nature de ses missions et des difficultés certaines dans le fonctionnement et la prise de décision des instances délibératives ». Hélas, la répétition en à peine un an d’intervalle de ces deux terribles sinistres confirme le diagnostic et illustre cruellement les déficiences de la gouvernance actuelle de l’institution.
Le Président du Parc National aurait dû entreprendre, dès le lendemain de l’incendie de 2010, de bâtir avec les autres acteurs, Etat et Département, un véritable outil de gestion des risques assumant l’articulation et la coordination de tous les éléments de la « chaîne du risque » : connaissance, prévention, protection, prévision, alerte, gestion de crise, assurances, implication des acteurs locaux et des services de l’Etat. Qu’a-t-il fait ? Rien. Le Maïdo brûle, Daniel Gonthier, le Président du Parc National, regarde ailleurs.
Le 15 octobre 2010, avec Philippe Berne, lors d’une conférence de presse sur la politique d’adaptation au changement climatique, évoquant le sinistre du Maïdo et le risque incendie inhérent à la forêt réunionnaise, nous préconisions la création d’une force permanente de protection civile de la zone Océan Indien qui aurait vocation à pouvoir intervenir rapidement dans les pays de la zone avec lesquels nous aurions bâti un partenariat. Un an après, devant l’ampleur du désastre, plusieurs élus reprennent cette idée mais combien faudra-t-il d’incendies pour qu’elle commence à trouver une traduction concrète ?
Quant à Mme Farreyrol, la nouvelle Sénatrice de La Réunion et Présidente de l’association Île de la Réunion Tourisme qui à ce titre a une responsabilité particulière en matière de valorisation du Patrimoine, que fait-elle ? Elle publie un communiqué où elle écrit : « C’est un joyau de l’humanité qui part en fumée et nous ne pouvons rester les bras croisés. » Apparemment, si, on peut décroiser les bras le temps de rédiger un communiqué et continuer à regarder passer les catastrophes.
Le bilan sera fait par les professionnels de la protection civile et peut-être saura-t-on si le Dash est un avion approprié ou pas au relief de notre île mais la véritable question de fond est de savoir si aujourd’hui les élus qui ont en charge la gestion du patrimoine naturel de La Réunion, ont bien compris la nature des exigences et des défis qui découlent du classement du Parc au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Les Réunionnais ont célébré l’inscription du Parc au Patrimoine Mondial puis ils ont fêté le premier anniversaire de cet événement. C’est normal. Mais il y a un temps pour tout. Celui de l’auto congratulation est terminé, aujourd’hui le temps des responsabilités est venu.
29 octobre 2011
LA RÉUNION FACE AUX CRISES
Toute crise est révélatrice d’un certain état de la société et notamment de ses carences institutionnelles. On se souvient par exemple des dysfonctionnements et des carences des autorités sanitaires locales lors de la crise du chikungunya en 2005-2006 à La Réunion. Mais alors qu’une crise devrait être l’occasion pour les acteurs d’apprendre et d’en tirer des leçons, les autorités publiques et les élus réunionnais semblent toujours aussi désemparés et en sont réduits e plus souvent à des réactions plus émotionnelles que rationnelles.
Notre île est en train de vivre deux crises quasi concomitantes, depuis un mois, le risque requin et aujourd’hui, l’incendie du Maïdo qui survient un an après celui de 2010. Deux crises qui se transforment en psychodrames tant les acteurs semblent dépassés par les événements et incapables de répondre aux attentes et exigences légitimes de l’opinion.
Il y a un mois, le Préfet décrétait une absurde campagne d’élimination des requins qui finira pitoyablement par la mort d’un seul animal, aujourd’hui, le même Préfet, sans pouvoir exhiber une véritable preuve, évoque un mystérieux groupe de pyromanes. Et de même qu’il y a un mois, le Conseil Régional s’emballait pour les fameux shark shields, de même aujourd’hui, les élus de tous bords réclament la venue d’un Dash 8 supposé avoir le pouvoir magique d’éteindre l’incendie.
Incapables de comprendre la nature du problème auquel ils sont confrontés, les « décideurs » se réfugient dans l’espoir d’une solution purement « technique ». L’affaire des requins par exemple, n’a conduit aucun élu, aucun responsable à s’interroger sur la pertinence des choix opérés depuis des années en matière de développements économique et touristique tous orientés vers les activités en milieu marin. Le risque requin est un risque naturel sur une île de l’Océan Indien mais c’est un risque socialisé dans une société qui privilégie à outrance sur l’une de ses côtes un développement inconsidéré de l’urbanisation, du bétonnage et la multiplication des activités nautiques. L’artificialisation du littoral, l’érosion des côtes, les rejets en mer de tous nos effluents, l’annexion du milieu marin pour les loisirs constituent le fond du problème mais si on se focalise de manière irrationnelle sur la « responsabilité « des requins, on ne fait qu’éviter de poser les véritables questions.
De la même façon, le risque incendie ne saurait être conjuré par la venue d’un bombardier d’eau par ailleurs inadapté au milieu réunionnais ( apparemment beaucoup ont oublié qu’en 2010, le Dash était cloué au sol dès que les nuages arrivaient en fin de matinée). Pour une fois, le Préfet a raison, c’est une affaire d’hommes sur le terrain. Mais c’est d’abord une affaire d’hommes et de moyens en termes de prévention de l’incendie car à tout le moins, il faut se donner les moyens de le circonscrire le plus rapidement possible. En effet, la croissance démographique a comme conséquence inévitable une augmentation de la fréquentation du milieu forestier par les usagers et donc une augmentation du risque incendie qu’il soit involontaire ou non. Le 22 octobre 2010, lors d’une conférence de presse in situ, Christophe Pomez et moi, nous avions préconisé un certain nombre de solutions après l’incendie de 2010. Notamment la création d’une force permanente de protection civile de la zone Océan Indien qui aurait vocation à pouvoir intervenir dans les pays de la zone avec lesquels nous aurions bâti un partenariat. Il aura fallu un nouvel incendie pour que cette idée soit reprise aujourd’hui par des élus. Nous préconisions aussi de bâtir un véritable outil de gestion des risques assumant l’articulation et la coordination de tous les éléments de la « chaîne du risque » : connaissance, prévention, protection, prévision, alerte, gestion de crise, assurances, implication des acteurs non institutionnels dans les prises de décisions, notamment les associations environnementales dont l’expertise est précieuse et le recours aux « bonnes pratiques » créatrices d’emplois. Mais rien n’a été fait et aujourd’hui, les réunionnais ont le même sentiment d’impuissance qu’en 2010 devant la catastrophe écologique qui se profile.
29 octobre 2011
TEREOS INTERNACIONAL À LA RÉUNION
La nouvelle passe quasiment inaperçue. Mais Tereos vient de vendre sa filiale Soleo. C’est ici. Pour mémoire, rappelons qu’en 2010, sans qu’il y ait eu à La Réunion beaucoup de réactions, le groupe agro-industriel Tereos a fait main basse sur plus de 70 % des terres arables de La Réunion en achetant en 2010 le groupe Quartier Français qui avait acquis Soleo en 2009. Désormais Tereos contrôle 100 % de la filière canne. En réalité cette dernière n’est pas détenue par la maison mère, Tereos, mais par sa filiale brésilienne, Tereos Internacional, dédiée à la production des agrocarburants. L’achat de Quartier Français correspond à une stratégie de développement de la société brésilienne qui n’a cependant que faire de certains actifs acquis par le groupe réunionnais et qui ne rentrent pas dans ces objectifs. Ainsi, Mascarin et « Quartier Français spiritueux » vont être vendus. Aujourd’hui c’est donc l’entreprise portoise Soléo qui est vendue à un groupe métropolitain, Terralis, qui investit dans les énergies alternatives, l’éolien et le photovoltaïque. On voit les conséquences de la main mise de Tereos Internacional sur le secteur agro industriel réunionnais, hier fer de lance de l’économie locale : ce sont des pans entiers de l’activité économique qui passent entre les mains de sociétés non réunionnaises. Il faut aussi savoir que Tereos Internacional est l’un des principaux acteurs de l’accaparement des terres notamment en Afrique. Le groupe a ainsi obtenu une concession de 100 000 hectares au Mozambique, pour une durée de 150 ans, dont 15 000 ha sont déjà utilisés pour la culture de la canne à sucre en vue de la production d’agro carburants. En octobre 2010, Tereos Internacional signait un accord avec Petrobras, le géant pétrolier brésilien, un contrat de plus de 900 millions d’euros portant sur la fourniture d’éthanol. Tereos Internacional, Bolloré ou Dreyfus et de grands fonds d’investissements internationaux, sont les acteurs majeurs de ce type d’agriculture purement spéculative puisque l’objectif est de spéculer sur le marché des agro carburants et des matières premières agricoles dont toutes les études de la Banque Mondiale, montrent qu’il s’agira d’un marché extrêmement rentable dans les années à venir. Alors, évidemment la vente d’une petite société portoise (trois salariés) peut sembler anecdotique, elle est néanmoins une parfaite illustration du démantèlement du secteur industriel réunionnais dans le cadre de la mondialisation, elle illustre aussi la fin d’un capitalisme patrimonial et l’incapacité pour les acteurs économiques locaux à garder la main sur les grandes orientations du développement de La Réunion.