Dans leurs excès corporatistes et consuméristes, les transporteurs et les associations qui les soutiennent, ne travaillent-ils pas, à leur insu, à favoriser les intérêts des pétroliers au détriment des salariés de la filière ? La question se pose quand on les voit avancer comme seule perspective une revendication d’une baisse générale de 25 cts du prix des carburants, montant dénué par ailleurs de tout fondement rationnel. La proclamation réitérée de cette exigence et l’appel à la « solidarité » de tous les Réunionnais pourraient laisser croire qu’il s’agit là d’un combat juste et qu’il est possible d’obtenir une telle diminution du prix immédiatement sans que cela ait de conséquences. Pourtant une étude récente et précise de l’Autorité de la Concurrence montre que si l’ont peut effectivement faire baisser le prix du carburant, c’est uniquement et au maximum de 7 à 8 centimes par litre ! Mais la contrepartie en serait terrible pour de nombreux salariés et leurs familles. En effet, en automatisant les stations en libre service comme cela se fait en métropole où un seul employé gère par vidéo surveillance une dizaine de pompes à gabier intégré grâce auxquelles les clients se servent et payent par carte, il est possible de réduire le poids des charges salariales qui actuellement représente environ 60 % de la marge de détail (Rapport Ollier).
Cela se traduirait par la mise au chômage de plus de mille salariés sur les 1330 que compte la filière et toucherait donc 3 à 4000 personnes en comptant leurs familles. La particularité de l’outremer, c’est que les pétroliers y sous traitent à des gérants la distribution au détail, les stations service en employant de nombreux salariés remplissent donc une « fonction sociale » et jusqu’ici ce modèle malgré son coût faisait consensus. On sait que la marge de détail a connu une très forte augmentation à La Réunion, + 60 %, entre 2001 et 2009, c’est elle qui porte la principale responsabilité de la hausse des prix des carburants (Rapport Ollier et Autorité de la Concurrence).
Donc aborder le prix des carburants comme le font les associations et les transporteurs sous le seul angle du consumérisme et du corporatisme, c’est donner un signal fort aux pétroliers qui n’attendent que ça pour adopter à La Réunion le modèle métropolitain de réseaux de distribution sans salariés beaucoup plus rentable. L’automatisation permettrait une légère baisse du prix des carburants, toute relative cependant car les pétroliers feraient payer aux consommateurs les investissements nécessaires à l’automatisation de l’infrastructure et l’envol inéluctable des cours mondiaux du pétrole ferait le reste. Voilà pourquoi ce mouvement corporatiste et consumériste créée de la confusion dans l’opinion en apportant des arguments à ceux qui souhaitent remettre en cause le modèle social et économique de la distribution de détail propre à l’outremer, avec comme seul argument la défense du « portefeuille » de chacun.
Cela rend d’autant plus indécent l’appel à une prétendue « solidarité » lancé par certains, la solidarité ne consiste pas à détruire des emplois, à flatter les comportements individualistes, ni à réduire le problème bien réel de la cherté de la vie à un simple problème de carburant, la solidarité, la vraie, consiste à poser le problème de la vie chère dans son ensemble et à lui trouver une solution d’ensemble, une solution qui soit à la fois durable et juste, le contraire du consumérisme et du corporatisme.