Pierre Vergès, c’est tout à son honneur, vient de contribuer au débat sur les carburants en faisant un certain nombre de propositions susceptibles d’après lui, de notamment faire baisser les prix à la pompe. Comparant le prix CAF (le Coût Assurance et Fret) du gazole importé à Maurice, environ 22 cts le litre, avec le prix CAF du gazole importé à La Réunion qui atteint les 60 cts (en février 2012, c’est plus de 66 cts), il propose dans un premier temps de mutualiser le transport des carburants pour les deux îles.
Cette étape pourrait même, nous dit-il, être rapidement mise en place et permettrait une diminution du coût du fret pour un marché global de 1,9 millions d’habitants. Laissons de côté le fait qu’il est hasardeux de comparer les prix CAF mauriciens et réunionnais, les sources d’approvisionnement et le trajet étant fort différents, le véritable obstacle à cette entreprise de réorganisation de la filière réside surtout dans la nature des carburants importés dans les deux îles, nos voisins n’étant pas soumis comme nous aux normes européennes qui spécifient notamment leur teneur en souffre. Une étude de l’Autorité de la Concurrence de mars 2009 portant précisément sur une possibilité de mutualiser le transport avec Maurice concluait qu’une telle solution « ne présenterait pas d’avantage significatif en termes de coût sauf à accepter des produits très éloignés de ces normes ». Les pays voisins appliquent en effet des normes allant de 500 à 5000 ppm contre 10 ppm actuellement pour notre île (ppm = partie par millions, soit dans notre île une teneur en souffre égale ou inférieure à 10 parties par millions ou l’équivalent de 10 grammes par tonne). Certes, La Réunion pourrait demander une dérogation à la Directive européenne mais l’importation d’un carburant polluant, très éloigné des normes européennes, aurait des conséquences néfastes sur l’environnement, sur la santé publique et sur le parc automobile lui-même. Un rabais de quelques centimes par litre de carburant justifierait-il de tels renoncements ?
Cet obstacle des normes des carburants rend aussi caduque, à court et moyen terme, la suite des propositions formulées par Pierre Vergès, à savoir la création d’une compagnie maritime régionale et d’une raffinerie à Madagascar, ce dernier point étant encore plus problématique au vu des incertitudes politiques régnant dans la Grande île et de l’état de son économie. Bref, si ces propositions ont le mérite de contribuer au débat, elles ne permettraient ni de faire baisser les prix à la pompe, ni de résoudre le problème de notre addiction au pétrole, la solution ne peut être que réunionnaise et consistera avant tout à construire une nouvelle politique des déplacements dans laquelle la part du tout routier devra impérativement et significativement être réduite dans les années à venir.