Cadrage du sujet
Ce propos introductif a pour objectif de dresser une esquisse de la thématique de manière à introduire le débat et susciter la discussion.
Il ne s’agit pas de traiter aujourd’hui du seul sujet du nucléaire, sujet déjà abordé très récemment lors d’une précédente séance. Il ne s’agit pas non plus de faire un exposé technique et de discuter de la faisabilité de telle ou telle technologie. Je vous propose d’aborder la problématique énergétique dans son ensemble et, surtout d’envisager toutes les implications de la transition énergétique en termes d’organisation de la société.
Je vous propose de partir des postulats que notre système énergétique nous mène à une impasse (du point de vue des ressources disponibles, des pollutions occasionnées et des risques – voir plus loin les enjeux) et que des scénarios de transition énergétique existent (Negawatt, Global Chance, Greenpeace) et sont possible.
La transition énergétique constitue un sujet important par les enjeux qu’il recouvre et par l’ampleur des décisions qu’il conviendrait de prendre pour répondre à ces enjeux. Il concerne tous les secteurs de notre vie. Nous consommons de l’énergie pour nous loger, travailler, nous déplacer, consommer. La transition énergétique constitue aussi un gisement fabuleux d’emplois.
Les enjeux sont identifiés
Je ne reviendrai pas en détail sur les enjeux, supposés connus de tous. Permettez- moi toutefois de les énumérer rapidement :
- La finitude des ressources, en particulier énergétiques.
- Une meilleure répartition de l’énergie entre tous les êtres humains.
- Les changements climatiques, les autres risques de pollution, les risques de toutes natures.
- La boulimie consommatrice de l’humanité.
- L’enjeu géopolitique : l’accès aux ressources va susciter des tensions internationales dans les prochaines années.
- L’enjeu économique :
A l’échelle du pays : En 2011, sur les 69 Md€ de déficit de la balance commerciale du pays, la totalité était due à l’énergie. C’est-à-dire que sans importation d’énergie, notre balance du commerce aurait été équilibrée.
A l’échelle des ménages : La hausse du prix des carburants implique un changement des comportements. Heureusement, « l’élasticité » des comportements des automobilistes est bien plus grande que celle anticipée par les « experts », à l’image de la baisse de 10% de la circulation automobile mesurée en 2008. Tout indique que, la tendance à la hausse des prix des carburants se confirmant mois après mois (due notamment à la déplétion de la ressource), cette réduction des consommations sera durable (-3,5 % rien que pour le mois de mars). Cet effet peut être considéré comme bénéfique mais ne serait-il pas préférable de l’anticiper plutôt que de le subir ? et, surtout, ce sont les plus vulnérables qui subissent les premiers les conséquences (voir enjeu suivant).
- La précarité énergétique. Le médiateur de l’énergie en rendant récemment son rapport annuel a pointé le fait que le nombre de Français en difficulté pour payer son énergie a augmenté (8 millions à l’heure actuelle). Nous pouvons aussi évoquer toutes les personnes qui sont aujourd’hui « otage » de leur voiture (territoires peu desservis par les transports collectifs, nécessité de déplacements domicile travail, etc.). Pour ces personnes, la hausse du prix du carburant va se traduire par une baisse de pouvoir d’achat ou de la capacité de mobilité.
Les solutions sont connues
Les solutions, elles aussi sont identifiées et connues : repenser la ville, efficacité énergétique, sobriété, énergies renouvelables … le fameux tryptique de Negawatt « sobriété, efficacité, énergies renouvelables » (voir l’excellent « scénario Negawat » réalisé par des énergéticiens indépendants).
En matière d’énergies renouvelables, les solutions techniques existent : biomasse, hydraulique, éolien, solaire, géothermie, biogaz, technique de stockage utilisant des vecteurs comme l’hydrogène ou le méthane …
En termes d’application de ces solutions, notre voisin allemand a fait très tôt des choix qui vont dans le bon sens et qui portent leurs fruits. De 1990 à 2009, l’Allemagne est passée en production d’énergie renouvelable de 25 à 110 TWh (quand nous passions de 65 à 75). En consommation d’électricité « domestique » par habitant, l’Allemagne passait de 1990 à 2009 de 700 à 1 000 kWh alors que nous passions de 700 à 1 200 kWh.
L’Allemagne exporte 15 milliards d’euros par an de technologies sur les renouvelables.
Pourquoi restons-nous englués dans le système actuel ?
Nous avons connaissance des problèmes, nous avons identifié les solutions, certains les appliquent déjà avec succès … Qu’est-ce qui nous empêche en France de « passer à l’acte » ?
Pourquoi la séquence électorale présidentielle n’a-t-elle pas permis de débattre en profondeur de ce dossier ? Pourquoi est-il traité la plupart du temps que sous l’angle du nucléaire (qui ne représente que 16% de l’énergie finale consommée en France).
Comment convaincre les responsables politiques et nos concitoyens des changements à opérer ?…
Est-ce la bonne question ? … Probablement pas, compte tenu du peu de succès de la méthode !
Je propose donc une autre formulation : Comment montrer que les alternatives sont attractives, comment rendre désirable la transition énergétique ?
Des propositions pour une autre vision du système énergétique et donc de la société
Je vous propose quelques clés :
Passer du « nous sommes contre » (le nucléaire, les gaz de schiste …), nous proposons des solutions alternatives (message à destination des écologistes).
Tout le monde s’y met, on arrête de se renvoyer la balle :
- législateur (il n’est pas question de détailler ici les mesures politiques à prendre, elles sont connues en commençant par les mesures fiscales nécessaires pour donner un coût « réel » à l’énergie et pour aider les ménages qui sont « otages » : anticiper et corriger plutôt que subir et intervenir dans l’urgence).
- Les collectivités locales : Plans climat, SEM tiers investisseur comme POSITIF en IDF ou OSER en Rhône Alpes (pour que l’endettement lié à la rénovation des bâtiments ne soit pas supporté que par les ménages).
- les entreprises (il faut faciliter l’arrivée de PME sur ce secteur),
- les citoyens (cf « villes en transition », « village cocooning », « Combrailles Durable »).
Montrer, du point de vue économique, que la diminution de consommation énergétique n’est pas liée à une diminution du bien être. Que le mieux vivre n’est pas toujours lié à la croissance du PIB.
Encore du point de vue économique, donner la vraie valeur à l’environnement, à sa destruction, à son exploitation sans tenir compte des limites. Aujourd’hui, les destructions de l’environnement sont souvent passées par pertes et profits, la rareté des ressources n’est pas payée à se juste valeur. La richesse doit découler de l’entretien des écosystèmes plutôt que de leur dégradation.
Toujours du point de vue économique, montrer que la transition énergétique, ce n’est pas une question de long terme mais que toute action rapide (la rénovation des bâtiments peut être mise en place rapidement) a un effet bénéfique sur l’emploi, sur la balance commerciale de la France, sur le budget du pays, sur le budget des ménages, sur l’environnement … Bref, tout bénéfice !
Montrer les gisements d’emplois liés à cette transition énergétique : 450 000 emplois non délocalisables ; par million investi, 8,5 emplois dans l’efficacité énergétique, contre 3 dans le nucléaire ou le pétrole.
Expliquer clairement que poursuivre le mode de vie actuel est voué à l’échec et que nous devons oublier les dogmes du passé : celui du « toujours plus », celui suivant lequel progrès technologique et le progrès social seraient liés. Expliquer que la transition énergétique, et plus largement l’écologie politique, ne peuvent se satisfaire des systèmes existants qui ont montré leurs limites : Exit le capitalisme, exit le libéralisme, exit le productivisme. Qu’il est nécessaire d’inventer un nouveau mode de vie, un nouveau système.
Proposer et expérimenter de nouveaux modes de vie. Etre résolument tournés vers l’avenir.
L’esquisse des changements à opérer
Quels sont les contours de cet avenir ? De cette nouvelle société à inventer et construire ensemble ?
Quelques éléments de ma vision des transformations à mettre en œuvre :
- Une société inclusive (personne n’est laissé sur le bord du chemin),
- qui s’appuie sur la coopération plutôt que la compétition.
- qui s’appuie sur des structures économiques prenant en compte l’économie sociale et solidaire.
- Une économie circulaire basée sur le recyclage, la réutilisation des matières premières présentes dans les déchets. Les déchets des uns sont les matières premières des autres.
- L’utilisation des énergies de flux (énergie renouvelables), plutôt que l’utilisation des énergies de stocks (énergies fossiles et nucléaires).
- Adapter l’offre aux besoins et à la demande et non l’inverse comme actuellement.
- La décentralisation donc la réappropriation des décisions par les citoyens.
- Un aménagement du territoire qui privilégie les circuits courts et de proximité.
Nous voyons bien là se dessiner les contours d’un autre modèle de société, une transition écologique indissociable de la nécessaire transition énergétique.
Jean-Luc Manceau