Intervention de jean-Jacques Boyer mardi 22 mai

La vidéo de l'intervention

Le texte de l’intervention :
DEVELOPPEMENT SOUTENABLE ET DEMOCRATIE
On situe en général les premières expressions de l’écologie politique avec le rapport du Club de Rome en 1972 intitulé « Les limites de la croissance » ou, comme l’avait appelé René Dumont en 1974 dans son livre autobiographique « Agronome de la faim », « la bombe du Club de Rome ».
Je passe sur la manière dont le monde, occidental d’abord, s’est assis sur cette alerte.

En 1987, le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, dit Rapport Brundtland, introduit le concept de développement soutenable (ou durable) et le définit comme le « mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

La finalité du développement soutenable, communément reconnue, est de trouver un équilibre cohérent et viable à long terme entre trois enjeux, trois piliers : l’économique, le social et l’écologique. Mais pour définir et mettre en œuvre les politiques et les actions ad’ hoc, un quatrième enjeu ne doit pas être oublié : certains l’appellent gouvernance ; je l’appellerai démocratie, celle qui consiste en la participation de tous les acteurs au processus de décision (citoyens, élus, entreprises, …).

Si le terme de développement durable est aujourd’hui largement utilisé, voire banalisé, si l’impératif de la protection de l’environnement ne fait plus débat, presque plus débat, la vision systémique induite par sa définition reste bien trop souvent tronquée et la dimension politique du défi écologique reste, elle, à mettre en œuvre par une adhésion des citoyens bien plus large que celle que nous constatons actuellement.
Au cœur de l’écologie politique, nous trouvons la nécessité de repenser la pratique démocratique.

DEFIS ECOLOGIQUES ET DEMOCRATIE REPRESENTATIVE
Comme l’écrivent Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans leur essai « Vers une démocratie écologique », « les problèmes écologiques nous font passer du monde des Modernes, ouvert et infini, rythmé par l’immédiateté du présent, à un nouveau monde : celui de la biosphère, à nouveau clos et resserré, caractérisé par un allongement du temps de l’action (…), un monde confronté à une accumulation de finitudes et de limites, touchant aussi bien l’environnement planétaire que nos capacités de compréhension et d’action ».

Regardons ce qu’ils disent :
Les défis écologiques contemporains présentent, selon leur analyse, cinq caractéristiques qui interrogent la pertinence des nos institutions exclusivement représentatives.

Caractéristique spatiale d’abord : les problèmes traditionnels étaient locaux ; ce n’est bien évidemment plus cas (pensons seulement aux Gaz à Effet de Serre, aux nuages radioactifs de Tchernobyl ou Fukushima, à la raréfaction des ressources naturelles non renouvelables) ; comme jamais dans l’histoire de l’humanité, les conséquences de nos actions ici peuvent concerner des territoires et populations de là-bas … et vice versa.

Invisibilité ensuite : « »

L’imprévisibilité constitue la troisième caractéristique relevée : nous avons tous en tête des exemples sur l’imprévisibilité des conséquences à moyen et long terme de nos technologies (je ne parle plus de celles du nucléaire, aujourd’hui connues mais éludées).

Notre rapport au temps est la quatrième caractéristique identifiée. Nous avons évoqué les conséquences spatiales de nos actions collectives. Les conséquences dans le temps sont tout aussi importantes. Nous le savons : « il y a une contradiction frontale entre nos modes de vie actuels et ce qu’il conviendrait de faire ». Une vraie contradiction où seul le présent, et ses préoccupations, sont représentés : les générations futures n’élisent pas leurs représentants dans notre monde d’aujourd’hui.

La cinquième et dernière caractéristique identifiée par les auteurs du livre cité plus haut concerne la qualification des problèmes environnementaux contemporains : pour beaucoup ils sont d’abord assimilés à des questions de pollutions (celles du présent, visibles, qui nous touchent maintenant dans notre espace perçu). Or, l’essentiel de nos difficultés sont d’abord des questions de flux et de limites. « Alors que les problèmes de pollution se traitent en produisant mieux, ceux relatifs aux flux exigent que l’on consomme moins ».

Cette grille d‘analyse a, de mon point de vue, l’avantage de mettre le doigt sur les limites de la démocratie représentative, ou délégative, que nous connaissons.

Le gouvernement représentatif, le terme « gouvernement » étant pris ici au sens large, est un système d’autorisation et de contrôle du pouvoir rythmé par des séquences électorales. Pour sa mise en œuvre, les citoyens se regroupent en collectivités, territoriales en général, ayant le droit et l’envie d’élire un ou plusieurs représentants. Le gouvernement représentatif contient ainsi, en lui, sa première limite : il renforce l’identification des citoyens à un territoire délimité et empêche de transcender les compétences territoriales.

De la même manière, « la représentation implique un contrôle des représentants qui s’effectue principalement au travers d’élections organisées régulièrement. Des élections rapprochées contraignent les élus à répondre aux mouvements rapides de l’opinion ». La vulnérabilité des élus face au court terme des échéances électorales les rend réticents à envisager des décisions électoralement risquées pour eux. La tyrannie du présent menace clairement la démocratie exclusivement représentative. Les élus qui annoncent répondre aux seules, ou presque, préoccupations quotidiennes des électeurs augmentent leurs chances d’être élus … et surtout réélus. « Le futur reste la circonscription négligée de la politique représentative moderne. »

Il ne faut pas chercher très loin l’appel au clientélisme si souvent reproché aux politiques. La démocratie « représentative » (« compétitive » ?) est d’abord un jeu de rapports de force entre réseaux, entre classes, entre populations, réseaux tissés au long du temps, réseaux d’intérêts et de petits services entretenant de solides fidélités. On mesure combien ce système représentatif favorise des pratiques parfois quasi féodales. C’est ce qui fait qu’on élit toujours les mêmes, personnes et partis. Ces rapports de forces institutionnalisés sont finalement un facteur d’immobilisme et d’impuissance. Plus la démocratie représentative ou délégative est achevée, acceptée, stabilisée, plus elle a tendance à accentuer la professionnalisation, la séparation entre représentants et représentés.

Pour autant, je tiens à le souligner, dans mon analyse il n’y a pas de place au « tous pourris ». Je rejette les tentations de repli sur soi et de désignation de boucs émissaires. Je dis seulement que l’écologie politique porte (devrait porter ?) une autre vision de l’organisation et des pratiques démocratiques.

Pour en revenir à notre représentation, ce ne sont pas les représentants qui sont défectueux mais c’est bien la représentation en tant que telle qui est le problème.

Il ne s’agit pas de supprimer la représentation démocratique.
Il s’agit d’abord de l’intégrer dans une nouvelle organisation institutionnelle où la considération du long terme, des biens communs et des défis écologiques sont inscrits dans notre loi fondamentale, la Constitution.
Il s’agit ensuite de la compléter par un contrôle institutionnel délibératif qui serait libéré des contraintes spatiales et temporelles inhérentes à la représentativité. Je pense par exemple, au niveau national, à un Sénat revisité dans son rôle et sa composition.
Il s’agit enfin de revoir les mécaniques de la représentation pour limiter les dérives liées à ces contraintes : proportionnelle (donc élections sur liste), non cumul des mandats stricts (pour garantir le renouvellement des représentants et limiter les risques d’installations féodales), contre-pouvoirs, statut de l’élu.

Les contre-pouvoirs sont destinés à limiter les risques de la confiscation du savoir … laquelle est intimement liée à la confiscation du pouvoir. Ils sont la « vertu » de la démocratie :
• capacité d’obtenir des informations de tous les points de la société et de vérifier ces informations par le débat, le recoupement, le respect mutuel ;
• ouverture à la diversité des valeurs ;
• détermination à confronter ces valeurs dans le dialogue, à les classer par ordre de priorité ou à concilier leurs contradictions.

L’exercice de la démocratie suppose que tout citoyen puisse potentiellement candidater, et donc exercer, un mandat de représentation : la question de ce qu’on appelle habituellement le statut de l’élu est donc structurante. Elle ne peut être éludée et devra faire l’objet d’un vrai débat citoyen pour en définir les contours et modalités opérationnelles.

EXERCICE DU POUVOIR
Faire de la politique autrement ce n’est pas seulement de nouvelles règles du jeu : elles sont nécessaires mais pas suffisantes. C’est aussi un changement de posture vis-à-vis de l’exercice du pouvoir. L’écologie politique c’est aussi un comportement citoyen et politique. Comme le dit Patrick Viveret, il faut passer du couple négatif excitation / dépression au couple positif intensité / sérénité. Cela mériterait un long développement dans lequel je ne me lancerai pas ce soir.

En conclusion, pour ce soir, face aux grands défis écologiques il est indispensable de remettre le temps long au cœur des politiques publiques ; le temps long et l’humain, pour effectivement répondre à l’objectif de civilisation contenu dans la définition-programme du développement soutenable – ou durable.

L’enjeu démocratique exige la recherche et le partage de ce qui fait que nous avons envie de faire société, où il n’y a pas les individus d’un côté et la volonté générale de l’autre mais une composition de particularités : ce qui constitue notre humanité commune, l’intérêt général, doit en permanence être éprouvé et collectivement débattu.

J’ai évoqué plus haut le fait que les défis écologiques nous amènent à nous interroger sur la démesure avec laquelle le mouvement de croissance économique sans fin, présentée par certains comme la solution, poursuit la négation des limites de notre planète et la destruction de la biodiversité.

J’ai parlé de nouvelles règles de pratique démocratique, d’une autre posture vis-à-vis du pouvoir. Je ne peux terminer sans évoquer la nécessité de revoir le modèle économique et social. Je vous invite à réfléchir sur la force d’une remise en cause de la confusion emploi / activité, salaire / revenu. Passer d’une activité pour un revenu à un revenu pour une activité, d’un revenu pour exister à un revenu parce qu’on existe est fondateur d’une autre économie. La question du revenu … d’existence est, de mon point de vue, indissociable du projet de l’écologie politique et de cette démocratie écologique pour lesquelles je suis engagé.

ET POUR FINIR :
Dans la cohérence de nos convictions et de notre engagement, je vous informe que Roselyne Serra et moi-même avons signé la Charte éthique des engagements des candidats députés proposée par l’association antiCOR. Vous pourrez la consulter sur place (quelques exemplaires) ou à partir de mon site et cherchant antiCOR dans votre moteur de recherche préféré.

Je vous remercie pour votre attention et compte sur vous pour contribuer, dès le 10 juin, à envoyer le maximum de députés écologistes à l’Assemblée Nationale … non pas pour avoir du pouvoir, mais pour avoir le pouvoir de faire bouger les lignes … non pas comme dans une partie d’échec mais plutôt à la manière du jeu de Go.

Je vous invite maintenant à profiter de ce moment où nous pourrons échanger sur toutes ces questions et bien d‘autres, en compagnie du groupe LA CEIBA.