M. Cohn-Bendit: « La vie, ce n’est pas aussi simple qu’un discours de Mélenchon »
Que pensez-vous de la « conversion » écologique de Jean-Luc Mélenchon?
Ce n’est pas à moi de juger du degré de réalité de cette « conversion ». Il m’est arrivé de débattre avec lui, de l’avoir donc en face de moi, et j’ai moi aussi entendu ce discours, dont je prends acte. Ce n’est pas sa sincérité que je remets en question. Je ne suis pas le pape de l’écologie, je n’ai pas à décider qui est dans le camp du bien, et qui ne l’est pas. Vous savez, personne n’est génétiquement écologiste, on vient tous de quelque part. L’écologie politique est un courant qui est né et s’est développé il y a une trentaine d’années, ce qui signifie que ni Eva Joly ni moi ne sommes nés « écolos ».
Vous devriez vous réjouir de voir d’autres leaders politiques rejoindre votre combat…
Je ne déplore nullement l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon sur le terrain de l’écologie. Il est bon d’échanger et de débattre. Simplement, son discours écologique mérite d’être décodé. Car de quoi nous parle-t-il, dans le fond ? Il nous raconte une histoire, celle de la gauche républicano-socialiste, avec ses grandes références républicaines, Jaurès, la Révolution, et il développe la pierre angulaire de sa pensée, qui est la place centrale qui doit être accordée à l’Etat.
C’est d’ailleurs au nom de cette place centrale accordée à l’Etat qu’il prône dans ses écrits une relation privilégiée avec la Chine. Il y a chez Jean-Luc Mélenchon une haine à peine voilée de l’Amérique, avec une fascination pour Fidel Castro et Hugo Chavez.
Quel rapport entre ce « tropisme chinois » que vous décrivez et son discours sur l’écologie ?
Evident ! Quand vous avez ces références-là, quand toute évolution de la société doit passer par l’Etat, les initiatives locales sont systématiquement étouffées. La transition écologique est si complexe à réaliser qu’on ne peut se permettre de laisser de côté toute cette énergie. Le Front de gauche vient de signer un texte contre la décentralisation. Pour moi, un tel retour en arrière est incompréhensible. Et, au-delà, il mènera à l’échec.
On peut comprendre le raisonnement selon lequel un Etat fort sera à même d’imposer des règles et en particulier une fiscalité écologique…
Oui, ce raisonnement est valable. Mais comment encore croire que l’Etat central peut tout ? Je vais vous donner un exemple des sottises qu’on peut lire dans le programme de Jean-Luc Mélenchon. Il prône la renationalisation de l’ensemble du secteur de l’énergie, qui serait donc placé sous l’autorité de l’Etat. Mais qu’est-ce que ça change ? Elf s’est-il mieux comporté que Total ? Et EDF n’a fait que bloquer toute tentative de transformation en France ces trente dernières années.
Si on veut amorcer la transition énergétique, il y a une chose à faire : casser le monopole d’EDF. Tous les Etats qui sont allés vers une transition énergétique ont fait ainsi. L’Allemagne, pays pionnier dans ce domaine, a fait ainsi. Mais, au-delà de ces deux conceptions de l’Etat qui nous opposent, je reproche à Jean-Luc Mélenchon de faire croire qu’on peut réaliser la transition énergétique dans un seul pays.
L’impuissance de l’Europe lui donne des arguments…
Mais il a tort. Qui peut croire une seconde que l’Europe n’est pas l’espace adéquat pour réaliser tous les investissements nécessaires ? Si on réalisait une taxation de 0,1 % sur chaque appel téléphonique passé en Europe, en plus de la taxation sur les transactions financières, on pourrait rassembler, selon les calculs, entre 50 et 80milliards d’euros par an qui iraient dans les caisses de l’Europe. Elles sont là, les marges de manœuvre, au niveau de l’Europe, pas des Etats appauvris qui la composent !
Au-delà de cette conception de l’Etat et de l’Europe qui vous opposent, vous reprochez à Jean-Luc Mélenchon de recycler les vieux discours du Parti communiste des années 1950…
Mais oui ! Quand vous entendez Jean-Luc Mélenchon fustiger l’impérialisme américain, n’entendez-vous pas en creux les discours du PC contre l’OTAN dans les années 1950 ? Non seulement il nous ressuscite une rhétorique très « guerre froide », mais il escamote dans son discours tout ce qui le gêne. Il est contre la décentralisation, contre les langues régionales, et il ne cesse de citer Jaurès, sans jamais dire qu’il commençait ses discours en occitan ! Il parle de la Révolution, sans jamais en montrer les aspects dérangeants…
Moi aussi, je veux bien refaire l’histoire à ma sauce, ça n’est pas bien compliqué, mais c’est tellement simplificateur. La vie, ce n’est pas aussi simple qu’un discours de Jean-Luc Mélenchon. L’émergence de cette gauche, jacobine, centralisatrice et caricaturale est pain bénit pour Nicolas Sarkozy.
Pourquoi ?
Cela lui permet de désigner à l’opinion cette gauche littéralement gangrenée par la question nationale, bloquée idéologiquement sur la question européenne, et fondamentalement anti-Occident. La montée en puissance de Jean-Luc Mélenchon fait bien l’affaire du président sortant.
Propos recueillis par Anne-Sophie Mercier