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Nîmes, Nages-et-Solorgues (Gard) Envoyée spéciale
En campagne dans le Gard, le chef de file des Verts se heurte à la grogne contre Bruxelles
Les deux députés européens sont attablés à la terrasse du café La Grande Bourse, face aux arènes de Nîmes. Daniel Cohn-Bendit, Ray-Ban sur la tête, et José Bové, son éternelle pipe à la bouche, répondent à la presse locale. Le premier, qui ne se représente pas, est venu soutenir le second, de nouveau candidat dans le Sud-Ouest.
A Bruxelles, ceux qu’un traité constitutionnel opposait en 2005 sont devenus inséparables. Mais les temps sont durs pour ces pro-européens partisans d’une Europe fédérale, d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne et d’un salaire minimum européen. La campagne peine à démarrer et il reste moins de trois semaines pour convaincre. " Il faut rester projet contre projet et ne pas tomber dans la caricature ", note José Bové. Mais l’euroscepticisme a gagné du terrain et renouveler l’exploit de 2009, où les écologistes avaient obtenu 16,28 % des voix, sera bien difficile.
" On est capable de faire un bon score si on surmonte ce climat nauséabond ! ", s’agace Daniel Cohn-Bendit. " Marine Le Pen, on n’en a rien à foutre. Ceux qui voteront FN ne voteront pas EELV. Le problème, c’est qu’une partie de la société française ne comprend pas l’Europe. A nous de leur proposer quelque chose de positif. "
En sillonnant les routes gardoises, ce lundi 5 mai, José Bové aura pu mesurer la difficulté de la tâche. Le célèbre faucheur d’OGM, également candidat à la présidence de la Commission européenne avec l’Allemande Ska Keller, voulait montrer des " réalités concrètes " qui parlent de l’Europe. Mais quand celle-ci est vécue comme une nuisance, le député européen se retrouve sur la défensive.
Au bout du chemin des Peyres, dans le village de Nages-et-Solorgues, se nichent le centre équestre Kalinka, ses appaloosa et ses fjord. A l’invitation des propriétaires, José Bové est venu parler de " l’équitaxe ". Cet hiver, le monde de l’équitation s’est mobilisé contre une hausse de la TVA de 7 % à 20% sur certaines de leurs activités. Celle-ci était destinée à mettre la France en conformité avec une directive européenne mais une dérogation a été accordée par le gouvernement pour 2014. Et après ? Gilles Cardon et sa compagne, Yanka Nadobny, sont inquiets. A deux, ils arrivent tout juste à dégager 1 000 euros une fois les factures réglées.
José Bové promet de se faire le porte-parole de leurs doléances. " Il faut sortir d’une logique comptable et remettre la question agricole au centre : le métier de paysan, cen’est pas juste de la production de matière première. " En face, les professionnels ne sont pas tendres pour l’Europe. Gilles Cardon déplore " la complexité " du système que veut leur imposer l’UE. " On est des TPE nous, on ne sait pas gérer trois ou quatre taux de TVA ! Elle est où, la simplification ? " " Ils sont bien gentils à la Commission mais on les sent un peu éloignés des réalités de terrain ", renchérit Laurent Sarzana, délégué régional du Groupement hippique national. Tout le contraire de José Bové pour Gilles Cardon, proche d’EELV : " C’est un homme de terrain qui n’hésite pas à y aller de sa personne quand il va arracher des OGM. C’est à nos députés d’avoir conscience de notre vie quotidienne et de défendre notre bifteck. "
Le déjeuner s’achève. Il n’aura pas été question du traité de libre-échange avec les Etats-Unis, auquel M. Bové est opposé, ni de l’émoi qu’il vient de susciter dans son parti en déclarant, sur la PMA, être " contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour les couples homosexuels ou hétérosexuels ". Avant de filer, le candidat n’oublie cependant pas de distribuer son dernier livre, Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe (La Découverte, 192 p., 17 €).
Direction la Maison des vignerons, à Nîmes. Là aussi, la grogne est palpable contre une réforme de la PAC et des droits de plantation qui doit s’appliquer à partir de 2016. Selon les professionnels, elle risque de déstabiliser le marché.
José Bové a beau leur faire remarquer que c’est selon lui l’application qu’en fait la France qui est en cause, le ressentiment contre l’Europe est fort. " L’organisation conçue par l’UE est d’essence libérale, pour Denis Verdier, le président de l’Institut coopératif du vin. On a le sentiment qu’on veut éliminer les petites propriétés familiales. " " Ceux qui devraient nous défendre ne le font plus, déplore Jean-Paul Durandeux, vice-président d’une cave coopérative. Un gouvernement socialiste devrait défendre la régulation, mais on a l’impression qu’ils n’y ont pas intérêt. "
Dans la voiture du retour, José Bové veut rester optimiste, malgré cette " erreur très franco-française de lier les européennes à la situation nationale ". " Nous, notre vision est claire : c’est l’Europe, l’Europe, l’Europe ", martèle-t-il, jugeant que son parti peut " raisonnablement terminer au coude à coude avec les socialistes ". S’il est élu, promis : il ne se représentera pas. " Dany a arrêté à 69 ans. Moi, ça fera 66 ans et après trente ans de syndicalisme et deux mandats, ça suffit. "
Raphaëlle Besse Desmoulières