La République exemplaire est morte? Vive l’Europe exemplaire! Tribune collective

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Les nouvelles révélations du site Mediapart, ayant entraîné la démission d’Aquilino Morelle, principal conseiller politique du Président de la République, un an après l’affaire Cahuzac, viennent entacher la République exemplaire voulue par François Hollande. En mars 2013, Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget, se voyait contraint à la démission concernant un compte non déclaré en Suisse, grâce à une enquête de Mediapart. Aujourd’hui, c’est donc monsieur Morelle qui se voit poussé vers la sortie pour cause de soupçons -légitimes- de conflit d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, à l’époque où il travaillait à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

En rendant publics les liens incestueux et occultes entre acteurs politiques, économiques ou financiers, les journalistes de Mediapart ont fait leur travail. Ils ont mis à jour un système qui n’a que trop perduré au sein de notre Ve République [1], celui de la trop grande porosité entre haute fonction publique, grandes banques et principaux acteurs économiques et industriels français. Mais si la presse a bien fait son travail, le décret obligeant membres du gouvernement, grands élus, membres de cabinets ministériels et dirigeants d’entreprises publiques à établir des déclarations de patrimoine et d’intérêts, n’a pas suffi. De même, la Commission de déontologie de la fonction publique n’a pas su empêcher ce mélange des genres calamiteux pour toutes celles et ceux qui tentent vaille que vaille d’exercer leur mandat et responsabilités publiques en toute probité. Aujourd’hui, la « république exemplaire » a du plomb dans l’aile.

Comment s’étonner dès lors que plus de 80% de Français affirment ne pas faire confiance aux hommes politiques? Sur fond de désespérance et de désillusion, alors que l’on demande à l’ensemble des citoyens de gros efforts en termes de pouvoir d’achat, ce sont les discours les plus démagogiques qui, sur l’air du « tous pourris », tirent les marrons du feu.

Il faut se hisser au-dessus des cas particuliers pour se doter enfin des instruments politiques et juridiques prompts à en finir avec les conflits d’intérêts, maladie récurrente de notre démocratie.

A quelques semaines des élections européennes du 25 mai prochain, rappelons qu’une lutte efficace contre les lobbies industriels ou financiers en tous genres, contre le pantouflage (« revolving doors » en anglais) et l’ensemble des potentiels conflits d’intérêts passe par l’Europe. La législature européenne qui s’achève (2009-2014) a été émaillée de graves soupçons de conflits d’intérêts. Plusieurs d’entre nous, eurodéputés écologistes, ont durant cette mandature saisi l’Olaf, le gendarme chargé des affaires de corruption au sein des institutions européennes, afin de faire toute la lumière sur des conflits d’intérêts touchant différentes agences comme l’EMA (Agence européenne des médicaments) ou l’Efsa (Agence européenne de sécurité alimentaire). Ces agences doivent donc être renforcées dans leur indépendance, notamment à l’égard des multinationales qui font tout pour les infiltrer.

Une chose est certaine, c’est que les jeux de pouvoir et les conflits d’intérêts qui émaillent la vie politique européenne comme la vie politique française craignent avant toute la lumière et la transparence. Ce sont elles qui constituent en démocratie la meilleure arme contre les petits arrangements de toutes celles et ceux qui s’imaginent au-dessus des lois communes et s’en exonèrent.

Il faut sans cesse dénoncer les connivences dont bénéficient, au plus haut niveau de l’organigramme administratif européen, certains lobbyistes de l’industrie. En effet, détenant des postes clés au sein des directions générales de la Commission, nombre de fonctionnaires sont là plus pour influencer les eurodéputés dans l’intérêt des multinationales que pour défendre un « intérêt général européen ».

On le voit bien dans le cadre des discussions autour de l’accord de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis (Tafta) où les représentants des Etats membres et de la Commission font bien plus le jeu des grandes entreprises, qu’elles soient américaines ou européennes, que des citoyens, même pas informés de la teneur des négociations. Il existe depuis 2011 un registre européen du lobbying, mais celui-ci est volontaire et non contraignant, misant, comme pour les chartes de bonne conduite des multinationales, sur « l’autorégulation » des professionnels de l’influence. Il s’agit donc de le renforcer en le rendant obligatoire et opposable en cas de litige.

Le problème n’est pas l’existence des lobbies, mais leur méthode et la corruptibilité de certains acteurs politiques. Il s’agit donc de se doter d’instruments efficaces susceptibles d’éviter les tentations douteuses. Les lobbies, à l’instar des vampires, n’agissent jamais aussi bien que dans l’ombre et craignent la lumière avant toute chose. En tant qu’écologistes, nous devons donc être des « chasseurs de vampires », en braquant les projecteurs sur les conflits d’intérêt, en permettant un véritable accès à l’information pour tous les citoyens et en faisant en sorte que les intérêts économiques ne pervertissent pas la démocratie, que ce soit pour les OGM, les gaz de schistes, le tabac, les laboratoires pharmaceutiques, etc.

Les scandales sanitaires à répétition, la honte démocratique, la culpabilité de tous pour les fautes de quelques-uns, ça suffit! Nous ne savons pas aujourd’hui si, comme l’affirment certains, la « République exemplaire est morte », mais nous sommes persuadés que l’Europe, elle, n’a pas d’autre choix que d’être exemplaire. Il en va simplement de sa survie.

Par Michèle Rivasi, Eva Joly, Pascal Durand, Sandrine Bélier, Yannick Jadot, Karima Delli, José Bové, Yannick Jadot, Clarisse Heusquin, Yvette Ducheman, Catherine Grèze, Nicole Kiil-Nielsen, Mohamed Mechmache et l’ensemble des candidat-e-s Europe Ecologie aux élections européennes du 25 mai prochain.

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[1] Système qui perdure sous la gauche comme sous la droite. Repensons par exemple à François Pérol, conseiller économique du Président Nicolas Sarkozy et nommé alors en 2009 président du nouveau groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) après avoir piloté depuis l’Elysée sa création. Aujourd’hui une information judiciaire pour prise illégale d’intérêts est ouverte à son encontre.

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