Un film essentiel est projeté dans plusieurs salles depuis quelques semaines : il s’intitule « Inside Job » (actuellement diffusé au cinéma Utopia).
Ce documentaire américain est consacré à la crise des subprimes qui a éclaté aux USA depuis 2007. Le réalisateur Charles Ferguson y démontre avec beaucoup de talent et de pédagogie les mécanismes qui sont en jeu et la manière dont le monde de la finance est parvenu à s’arroger un pouvoir déterminant sur l’économie réelle. Ainsi, une petite minorité de possédants peut s’approprie les bénéfices de la croissance de nos sociétés, tout en mettant le système entier dans une situation d’instabilité chronique dont nous commençons tout juste à prendre la mesure.
L’auteur démontre que la crise financière que nous traversons est la conséquence directe d’une évolution toute récente du capitalisme, survenue depuis une trentaine d’années.
En effet, depuis les années 80, grâce aux évolutions technologiques et à l’émergence d’une économie mondialisée, le monde de la finance est devenu l’acteur majeur du système économique, au détriment des producteurs, des consommateurs et des entrepreneurs qui détenaient jusqu’ici les rôles principaux dans le système capitaliste.
Le propos du film est de démontrer à quel point cette évolution du capitalisme peut être dangereuse, si les pouvoirs publics n’encadrent pas sévèrement les activités spéculatives de ces opérateurs.
Au cours du film, on comprend à quel point les banques du secteur de la finance ont progressivement installé leurs représentants au sein de tous les lieux de pouvoirs pour empêcher la mise en œuvre d’une politique de régulation de leurs activités.
Toutes les administrations américaines qui se sont succédées, de Reagan à Obama, sont concernées mais aussi les agences de notation, les revues économiques ou encore les universités.
Ce système s’est progressivement déployé dans la sphère économique à l’échelle mondiale. Il a généré d’importants profits pour les acteurs de la finance à partir de la spéculation. Aujourd’hui la non régulation de leur activité engendre des risques systémiques d’effondrement.
Face aux risques de faillite des banques engagées dans des spéculations dangereuses, les gouvernements sont contraints d’intervenir massivement dans des plans de sauvetage, comme cela a été le cas pour les USA ou la Grèce mais aussi l’Irlande.
Ainsi les bénéfices de la spéculation vont aux acteurs privés, tandis que les pertes sont épongées par les acteurs publics. Les irlandais en font la cruelle expérience…
La principale force du film réside dans les entretiens en tête à tête réalisés par Charles Ferguson avec des acteurs majeurs du monde de la finance.
Ces séquences permettent de percevoir à quel point ce système d’apparence complexe est en réalité très simple sur le plan humain.
Au cours des interviews, à de nombreuses reprises, les interlocuteurs pratiquent le mensonge et la dissimulation comme ils semblent le faire habituellement lorsqu’ils sont interrogés par les medias. Malheureusement pour eux, Charles Ferguson parvient à leur démontrer qu’ils mentent effrontément pour préserver leur intérêt. Le malaise qui s’installe est saisissant et en dit long sur la fragilité du système en question. Soit les interviewés tentent d’inventer d’autres mensonges, soit ils demandent à interrompre brutalement leur entretien. Au travers de ces faces à faces, on perçoit à quel point toute cette construction repose sur la capacité de maquiller une réalité pourtant simple. Une petite minorité de personnes est parvenue à s’installer aux commandes du système économique.
Ils n’ont pas de scrupules, ils n’ont pas de brevet de pilotage, ils chercheront à aller le plus loin possible, même si demain nous risquons le crash brutal.
Pour notre part nous ne sommes aujourd’hui que des passagers, des passagers invités à se divertir, tout juste parfois à émettre des commentaires lorsqu’il y a des soubressauts.
En visionnant ce film, j’ai a plusieurs reprises pu me remémorer les livres, les articles, les conférences que produisent depuis des années les intellectuels autour d’associations telles qu’ ATTAC, depuis le milieu 1990.
Ces réflexions visaient justement à démontrer le risque qu’il y avait à laisser prospérer le modèle d’une économie financiarisée et non régulée.
Il ne s’agissait pas comme on l’a laissé entendre ici ou là de s’opposer à la mondialisation ou d’en appeler à la sortie du capitalisme, mais bien de demander la régulation d’un capitalisme financier absolument rapace.
Aujourd’hui, « Inside Job » rend évident aux yeux de tous à quel point ces mises en garde étaient justifiées. Leur seul tort est sans doute d’avoir eu raison trop tôt et de ne pas avoir su utiliser l’image et la puissance d’évocation que peuvent avoir les entretiens conduits par le réalisateur pour démonter leur thèse.
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