D’abord vient la stupeur, le choc de voir cette nouvelle incroyable sur les fils d’infos, 12 morts à la rédaction de Charlie Hebdo... Ensuite l’émotion, quand aux chiffres s’ajoutent les noms des victimes, des visages, des voix, des rires, on pensait qu’ils étaient des signatures, on se rend compte ,soudain, qu’ils étaient plus que cela, intimement, au fond de nous... Remontent à la surface de la mémoire les traces des sentiments éprouvés pendant toutes ces années à la lecture de leurs dessins, ou à l’écoute des chroniques de Bernard Maris.
Puis très vite, c’est le flot de commentaires qui se déversent sur nous, la vague de l’émotion collective qui prend une ampleur insoupçonnée. Cette surprise face à la nécessité que nous avons tous à présent de faire connaître notre émotion sur les réseaux dits "sociaux", de communier virtuellement. Surprise devant ce protocole compassionnel collectif.
Enfin, vient la chaleur de ces rassemblements, la satisfaction de voir des visages connus, inconnus, différents se réunir et manifester leur souffrance, leur colère et surtout notre détermination.
Mais bientôt, très vite, viennent se mettre en branle les mécanismes d’instrumentalisation de l’émotion collective. Le bal des visages de cire et des postures pour saisir cette aubaine de l’irruption de l’ennemi de l’intérieur sur la scène politique.
Les plus abjects sont bien sûr ceux qui vont prolonger le combat islamophobe qu’ils ont déjà lancé depuis des années, sur les ondes, les écrans, et dans les librairies à présent. Distiller cette crainte de l’autre, cette défiance qui alimente les contrôles au faciès, les regards de travers sur les signes religieux.
Mais sans doute faut-il se défier aussi des appels à l’unité nationale, ce désir de gommer nos différences pour "faire face à ce péril", cette tentation de faire semblant d’être un corps social homogène. L’unité nationale pour quoi ? Pour aller où ? Pour répondre aux fondamentalismes de quelle façon ? Pour moi au-delà de la volonté d’arrêter et de juger les meurtriers qui sont encore en fuite, je ne vois pas se dégager les conditions d’une unité nationale...
Avant de promulguer cette unité, il faudra comprendre les origines de ce mal qui monte dans notre République, décrypter les mécanismes qui font que des jeunes s’embrigadent dans des mouvements sectaires. Où sont les ferments de ces conversions intolérantes ?
Unité nationale pour une société de surveillance généralisé ? C’est ce que l’on risque de nous promettre dans quelques semaines quand les visages de cire viendront présenter leurs dispositifs policiers nouveaux et l’amplification des lois anti-terroristes. C’est la meilleure manière de rendre hommage à Charlie Hebdo, vous croyez ?
S’il faut une unité nationale c’est pour mettre en oeuvre un projet de société qui redonne confiance dans les valeurs de la République. Une société multiculturelle, qui lutte pour l’égalité réelle, pour la liberté de conscience et l’implication citoyenne. Cela devrait se traduire par des budgets de l’Education, de la Culture en hausse et pas par des gesticulations sécuritaires. Une unité nationale pour une laïcité effective, qui puisse se traduire par un respect de toutes les croyances et de la liberté de conscience.
Si nous voulons rendre sincèrement hommage aux victimes de l’obscurantisme, ne tombons pas dans les pièges qui nous sont tendus par cette situation nouvelle. Faisons en sorte qu’après l’émotion collective, une pensée collective émerge, et des alternatives politiques se dégagent pour restaurer et réformer cette République malade.
Crédits I Nous contacter I Espace privé I Site propulsé par SPIP I RSS 2.0 |