Depuis quelque temps la rumeur toulousaine courrait que Pierre Cohen se porterait partie civile dans le procès d’AZF. Et le voilà qui crée la surprise en transformant les « on dit » en information !
Qu’est ce qui l’a poussé à prendre cette décision ?
Ne pas laisser les associations et les victimes demander seules des comptes ? C’est sûr que la visibilité de la Mairie de Toulouse dans cette circonstance est un signe fort pour tous les toulousains. Sa volonté, à travers cette demande juridique, est bien de participer à l’établissement des faits, puis de réconcilier les citoyens avec les élus.
Dans cette circonstance, Pierre Cohen crée la rupture avec les autres collectivités, le Conseil Général et le Conseil Régional, qui ne se sont pas encore prononcés pour demander des explications officielles à Total Fina Elf sur la plus grande catastrophe industrielle depuis la dernière guerre mondiale. Et nous savons que la vérité officielle à du mal à être partagée par tous : l’enjeu de réconciliation entre ex salariés et l’ensemble de la population demeure un pari à réaliser.
Après la catastrophe, la Mairie de Toulouse, représentée alors par Monsieur Douste Blazy (mais également les autres collectivités), avait transigé financièrement afin d’épargner à la ville des procès longs et coûteux et de pouvoir la réparer rapidement. Ce point de vue est tout à fait compréhensible même si cette transaction est restée suffisamment discrète, aujourd’hui encore, puisque les associations de victimes font savoir qu’elles n’en n’ont jamais su le contenu exact, alors qu’il s’agit pourtant d’une décision publique.
Aujourd’hui la Mairie qui porte plainte est dans la situation des citoyens : elle a été indemnisée des préjudices matériels et physiques qu’elle a subis. Mais cette indemnisation ne règle pas la responsabilité pénale de Total Fina. A l’heure actuelle, seul le directeur local et quelques autres dirigeants sont inculpés. Or, le directeur local d’une multinationale obéit à des consignes issues du groupe et notamment celles du Conseil d’Administration.
Dans une autre procédure, seuls quelques citoyens portent la volonté d’appeler à comparaître, les responsables nationnaux de la multinationale. Cette citation à comparaître compense le regret que l’inculpation pour homicide involontaire ait été retenue, et non pas la mise en danger délibérée de la vie d’autrui. La différence entre les deux, réside en ceci :
Le premier chef d’inculpation a le sens de "c’est la faute à pas de chance, les deux produits se sont mélangés et PAF ! »
Le deuxième chef d’inculpation implique une gestion libérale, programmée, d’abandon progressif, un manque de moyens mis au service de l’entreprise, qui ont conduit fatalement et statistiquement à un instant de crise qui s’est révélé énorme.
Les associations sont expertes et citoyennes dans leur rapport à l’après AZF. Ce petit billet pour rendre un hommageà ceux qui questionnent la justice dans une troisième procédure sur les manquements de la DRIRE à ses obligations de contrôles du site de grande Paroisse. Là aussi, la Mairie pourrait apporter sa pierre en demandant des comptes à l’état.
Les associations, les personnes, en développant du questionnement, en portant au tribunal, reprennent leur vie en main et sortent de la victimisation. Car être victime est la situation la plus douloureuse qui soit : c’est reconnaître que l’on a pas été maître de sa vie, que les événements ont été plus fort que ses propres décisions, qu’on est fragile et peu de chose et que l’éducation que l’on nous a inculqué « le si tu veux, tu peux » n’a pas de sens.
Ce qu’aucune indemnisation n’a fait et ne fera, l’action de la Mairie de Toulouse va le rendre possible. La Mairie, aux côtés des citoyens, exprimera la compréhension de tout ce qui s’est joué au delà des aspects financiers, physiques et matériels. La compréhension de ce qui a été une culture commune pendant des années, si on peut parler de culture lorsque la violence est partie prenante de la situation.
Pendant des mois les habitants des quartiers ont partagé la vision d’horreur de leur ville détruite, partageant les soucis de leur tranquillité perdue et pour certains pleurant leurs morts et bouleversant leur vie. Cette vision subie de l’environnement détruit, abandonné, déchiré, ruiné a donné lieu à des conséquences individuelles différentes, mais collectivement, voici quelques exemples que tous ont partagés :
les enfants -écoliers, collégiens, lycéens- qui n’ont plus d’école, qui se lèvent tôt le matin et rentrent tard le soir pour aller dans une école mobil’home et qui doutent de la capacité de leurs enseignants, de leurs parents, de la société à apporter des solutions d’avenir tant leur quotidien est douloureux.
Les tout petits, ceux qui babillent, et qui perdent leur babillage car le souffle de l’explosion va éteindre pour plusieurs mois les premiers mots de leur départ dans la vie. Et ça c’est pas mesurable.
Les anciens qui vont régresser rapidement -incontinence et autres problèmes physiques ou mentaux- qui vont s’accentuer, jusqu’à ceux qui mourront dans les jours suivants l’explosion et qui ne seront pas comptés dans les morts d’AZF. Les fausses couches, qui elles n’ont plus, n’entreront pas dans les statistiques des victimes d’AZF.
Les adultes déplacés, qui doivent s’organiser autrement pour faire face aux questions d’écoles, de cantines, de transport, d’emploi ...
Les soucis des citoyens pour trouver des réparateurs, qui ont engendrés des filouteries, des malfaçons, qui ont informé le Préfet qui les renvoie sur le tribunal pour obtenir réparation, qui ont dû refaire des appels d’offre, les rendez vous avec les assureurs qui assurent avec parcimonie, les rendez vous avec les entreprises, les fenêtres loupées, à recommencer, les rendez vous chez le médecin, chez le psychologue, chez l’orthophoniste, les papiers à faire, l’information qu’il faut rechercher ...
Les gens qui ont perdu leur appartement, qui le quittent dans l’heure même de explosion, sous la houlette de la force publique, et qui ne remonteront plus jamais dans l’immeuble dont ils sont propriétaires, sauf une heure pour prendre ce qu’ils pourront parmi les décombres. Et même si ce sont de pauvres appartements avec de pauvres choses, c’était leur vie, leurs souvenirs, leurs appartements et le patrimoine de leur mémoire qui d’un coup disparaît, car l’immeuble sera démoli.
- La difficulté dûe à la raréfaction des transports, les piscines détruites, des services, des commerces…
La vie dans des maisons sans fenêtres, des pièces noires et froides, bachées par du contreplaqué ou des polyannes. Des chauffages dont les tuyaux intégrés au sol se mettent à fuir au moment de la mise en route, et inondent les appartements laissant sans chauffage en plein hiver des appartements humides, froids, et détériorés.
Les impôts qui restent les mêmes alors qu’un impôt est basé sur un cadre de vie, d’habitat, de services, et qu’il faut courir aux services pour faire réviser le montant.
Les commerçants qui se débattent dans des problèmes de citoyens mais doublés des mêmes problèmes dans leur entreprise, plus la perte de clients car tout le monde a déserté le quartier,
Le procès a un rôle à jouer au-delà de la justice à rendre : c’est la résillience sociale. Et la Mairie de Toulouse sera à nos côtés.
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