En dehors de la question religieuse, Pâques est pour moi le prétexte de rencontres familiales. Rassemblement dans une maison familiale accueillante, sur une aire de verdure, les cousins viennent de partout pour se retrouver et partager un moment de convivialité et de mémoire.
« Alors toi, tu es de la branche de la deuxième épouse à mon arrière grand père ? ».
« Mon père et ton grand père étaient frères ».
« La tante avait une épicerie et ma grand mère y passait tous les jeudis après midi ».
Au fil des propos on reconstitue les liens, les parentés, les histoires de vie. Les engagements militants aussi. Il faut dire qu’ils étaient tous communistes, et malgré le centralisme démocratique qui aurait dû être de mise, chacun avait son idée, somme toute différente de ce que devait être le communisme. La tante, pure et dure, rescapée des camps d’extermination, regardait droit devant elle au comité national, aux côtés de Marchais. Mon père, plus nuancé, du moins le pensait-il, préférait le communisme à la Tito. Mon grand père qui l’avait été, ne supportait plus l’idée que l’URSS empêche les immigrés juifs de sortir du pays pour aller en Israël. Bref, enfant, je les entendais argumenter et hausser le ton, débattre et se fâcher sur une chose qu’ils partageaient. Pendant ce temps ma grand mère, douce femme, affirmait qu’il ne fallait pas parler politique dans les familles car cela les séparait. Mais personne ne l’entendait !
Nous en étions là de nos récits de mémoires familiales, à faire parler les anciens, de ce que les uns et autres avaient pu faire ou vivre pendant la guerre. La guerre, c’est celle de 39-45, les suivantes n’existant pas dans l’histoire familiale... lorsque mon cousin germain dit : « et puis il y le cousin Maurice qui s’est fait assassiner ».
J’ai eu l’impression qu’il n’y avait que moi qui avais entendu…
« C’est quoi cette histoire ? »
« T’as qu’à lire « Meurtres au maquis » de Pierre Broué et Raymond Vacheron »*.
Et personne ce jour là n’a voulu m’en dire plus.
J’ai donc acheté et lu ce livre. C’est une étude rigoureuse faite par l’historien Pierre Broué, et Raymond Vacheron, syndicaliste, qui connaissait les derniers survivants du maquis Wodly, en Haute Loire.
Il décrit comment quatre partisans, dont Pietro Tresso, l’un des 3 fondateurs du parti communiste italien, et mon cousin Maurice Salini, alias Maurice Ségal, vont se faire assassiner par les communistes, dans le maquis.
En 1942, il y a une attaque spectaculaire pour délivrer une soixantaine de partisans communistes détenus dans la prison du Puys en Velay. Les organisateurs communistes, alliés à l’Intelligence Service, vont faire sortir tous les prisonniers, dont nos quatre protagonistes, qui sont vusdès le début comme des ennemis. En effet, Pietro Tresso se pose la question de l’obéissance aveugle à Staline. Lui et ses compagnons sont devenus trotskystes.
Les prisonniers délivrés seront éparpillés dans des fermes chez l’habitant. Le groupe de 4 sera isolé dans une ferme éloignée. Lorsque l’armée nazie va investir le Maquis pour des représailles, tous les évadés seront déplacés, sauf les 4 trotskystes qui seront assassinés par les communistes.
Les auteurs du livre, loin de l’aspect anecdotique de cette histoire, l’inscrivent dans un mode de pensée structurant du stalinisme : la pensée déviante à Staline doit être tuée dans l’œuf aussi bien à Moscou que dans le maquis. Ils établissent un parallèle entre les crimes de l’URSS et ceux du maquis, car ils trouvent leurs racines dans la même logique, qui fait de l’obéissance un dogme.
Lorsque j’ai refermé le livre j’ai pensé à la famille, qui a su taire cette affaire si longtemps. Croire que l’on peut refaire le monde et fermer les yeux sur des assassinats sous prétexte que l’on ne pense pas comme le veut le chef. J’ai pensé aux survivants communistes du maquis Wodly et du maquis Raffy, qui ont participé cette affaire et qui n’ont parlé que suite à de nombreuses démarches des auteurs…
*Editions Grasset, 1997.
Crédits I Nous contacter I Espace privé I Site propulsé par SPIP I RSS 2.0 |