Les suites de l’audit sur l’eau potable de Toulouse, dont le rapport a été rendu à la communauté urbaine mi novembre, sont maintenant connues. Il consistera en un avenant au contrat liant la collectivité à Veolia eau, son délégataire depuis 1990. Ses principes : 25 % de baisse des tarifs sur la production-distribution d’eau à usage domestique (45% de la facture environ, le reste étant l’assainissement et les redevances), le maintien de la redevance annuelle versée par Veolia eau, de 5M€, un coefficient K d’actualisation des tarifs proche de l’inflation, ainsi que des investissements du délégataire pour la mise aux normes de ses usines s’agissant des boues (9,4 M€). Une obligation réglementaire. En échange, le contrat sera mené à son terme, en 2020. Sur les factures, la baisse devrait donc être d’environ 12%, soit 42 centimes par mètre cube (sur 1,33 €/m3 actuellement).
Les conclusions de la négociation entre les parties ont été présentées lors des voeux à la presse par le président de la communauté urbaine et maire de Toulouse Pierre Cohen, la semaine dernière. L’édile, qui a justifié cette position par « l’objectif prioritaire de retrouver des tarifs proches de ceux pratiqués en régie, au bénéfice des usagers », s’est ensuite montré vite agacé sous le flot des questions. « On ne va pas rester une heure sur le sujet, d’autant que j’ai l’impression d’avoir répété déjà trois fois la même chose. » Merci, débat clos ? Non, car le dossier, fort complexe, laisse en suspend bien des questions.
Un audit inachevé... Une renégociation a minima
Le refus qui nous a été opposé par la CUT, à plusieurs reprises, de consulter officiellement le rapport d’audit a compliqué bien sûr le traitement de l’information, en même temps qu’il jette le trouble sur la transparence de la démarche. Pierre Cohen a expliqué que l’audit, piloté par Nicolas Tissot, adjoint chargé des gestions déléguées assisté dans la maîtrise d’ouvrage par un cabinet spécialisé, « a été mené à la virgule près en matière de méthode ». Celle-ci est décrite dans le cahier des charges. Et là problème : un huitième rapport, consacré à la synthèse de l’ensemble des travaux, n’a pas été rendu. Ce qu’a confirmé l’élu. Or, suivant le cahier des charges, ce rapport devait présenter, entre autre « les principales remarques et préconisations formulées dans les rapports détaillées […] mais surtout « les stratégies pour la mise en oeuvre des modifications contractuelles que les auditeurs proposent. » Autant de détails mineurs ? La tranche optionnelle avec l’assistant à maîtrise d’ouvrage n’a elle pas été activée. « Le huitième rapport était juste conclusif. Nous avions suffisamment d’éléments pour aller renégocier seuls » a indiqué Pierre Cohen. À ce stade, une remarque vaut déjà d’être notée : le scénario de baisse des tarifs de 25%, contenu dans l’audit, s’il ne mentionnait pas la renégociation du coefficient d’actualisation des tarifs, mentionnait en revanche « un taux de rentabilité accordé au concessionnaire de 10%. Après diminution négociée des charges (-4 M€ par an), la rentabilité du contrat sur sa durée tomberait à 2,8 %. » Il n’en est apparemment aujourd’hui plus question. Du côté de Veolia eau Sud Ouest, le directeur régional Christophe Boissier explique que « cette baisse des tarifs a pu être accordée car la phase des gros investissement est passée. »
« C’est la première fois en France que l’on voit une baisse des tarifs négociée conditionnée à un engagement de durée » note Lucien Sanchez, de l’association Eau Secours 31. « On ne sait rien des bases qui ont conduit a s’arrêter sur – 25% » pointe pour sa part Jean-Luc Touly, ex-cadre Vivendi (désormais Veolia) spécialiste des problématiques liées à l’eau. L’association rappelle aussi que « l’analyse de l’audit financier n’a pas été menée à son terme », soulignant par exemple « que 75 % de charges calculées ne correspondent à aucun service réel rendu, des normes comptables non conformes », etc. Un rappel de l’opacité financière constatée par les auditeurs (La Gazette du Midi, n° 8191), qui expliquent entre autre que « le concessionnaire ne fournit pas les informations nécessaires et minimales dans ses comptes rendus annuels ». « Ils se trompent, rétorque Christophe Boissier. Nous avons fidèlement fourni les informations, conformément aux modalités définies par l’ensemble de la profession (les normes comptables de la fédération des professionnels, FP2E, dénoncées par la plupart des spécialistes, NDLR). Et nous sommes prêts à fournir plus de données. Tout ce qui va vers plus de concertation et de transparence avec notre collectivité délégante est souhaitable. »
Efficacité des contrôles
Or c’est précisément là où le bât blesse : rien n’a été annoncé par la communauté urbaine pour imposer un changement de pratique comptable où même l’adjonction de nouvelles données, comme un compte prévisionnel annuel. « En tant que maître d’ouvrage, nous devons avoir une stricte vigilance. Le contrôle sur le délégataire sera fait. Un service dédié est en train d’être lancé à la communauté urbaine » a précisé Pierre Cohen. Sans plus de détails quant aux moyens humains dévolus, pourtant demandés à plusieurs reprises. Surtout, quelle sera l’efficacité de ces contrôles, face à des pratiques que les auditeurs ont précisément eu du mal à décortiquer, et qui leur ont fait conclure qu’elles « pénalisent la lecture de l’équilibre économique du contrat et son évolution. » Marc Laimé, consultant spécialiste auprès des collectivités, se veut très clair sur les limites de ces contrôles : « Tant qu’un contrat n’est pas régi par une société dédiée mais fonctionne par péréquation à l’échelle régionale-nationale, les contrôles relèvent de la fumisterie. Par ailleurs, qui contrôle sur pièces et sur place tous les coûts chaque année ? Personne ! »
« Attaché au principe de régie » Mais Véolia maître du jeu ?
« Je suis attaché au principe de retour en régie, et je suis d’ailleurs entouré par deux maires (ceux de Colomiers et Tournefeuille, NDLR)qui pratiquent ce mode de gestion. Mais le problème c’est qu’au menu il y a fromage ou dessert, pas les deux. Nous avons fait le choix de la raison » a indiqué Pierre Cohen. Et l’édile de poursuivre : « La situation (arrêt du conseil d’État commune d’Olivet, avril 2009, NDLR) nous permettrait de remettre en cause le contrat et de repasser en régie en 2015, mais tout devrait être renégocié. En ajoutant les calculs sur ce qui resterait à faire en termes d’investissement et la fin de la redevance annuelle de 5 M€, la baisse des tarifs se situerait entre 10 et 12% » a indiqué Pierre Cohen. Les indemnités à verser – « Veolia eau en ferait un cas d’exemplarité » – se situeraient elles entre 9 M€ et 25 M€ (sortie en 2015) et 40 M€ (sortie dès 2012). L’ensemble des scénarios avancés (La Gazette du Midi, n°8191)sont contestés par l’association Eau secours 31, au moins pour deux raisons. « Les indemnités à verser au délégataire ne doivent pas intégrer le droit d’entrée, encore moins son amortissement mais aussi sa rémunération selon le taux de rentabilité interne, pour le calcul de l’équilibre financier du contrat, sachant qu’il sont illégaux. De plus, aucun bilan financier depuis le début du contrat jusqu’à fin 2014 n’a été établi pour savoir s’il y avait caducité ou pas. Or une caducité avérée n’entraîne aucun préjudice indemnisable » indiquait voilà quelques jours Anne Bouzinac, la présidente de l’association. « Il y a une incertitude juridique sur 2015 et nul ne sait ce que ça va donner » pointe pour sa part Nicolas Tissot. « Il y a un risque politique car il n’y a pas encore de jurisprudence sur Olivet, reconnaît Jean-Luc Touly. Mais à chaque fois qu’il y a passage en régie, les entreprises attaquent. Ensuite, il faut aussi savoir que les indemnités demandées sont bien souvent très minorées devant les tribunaux. » Du côté du groupe vert à la mairie de Toulouse enfin, on avance un autre argument pour le passage en régie dès 2015 : avec la régie, qui n’est pas soumis à une durée, les indemnités à verser éventuellement pourraient être lissées sur du long terme.
Recours : fragilité juridique, usagers contre contribuables ?
Autre problème, soulevé par plusieurs
spécialistes : l’avenant entérinerait
la poursuite d’un certain nombre
d’illégalités pointées par l’audit
juridique, en particulier la question
de la redevance annuelle. D’aucuns
estiment qu’en cas de recours juridique,
l’avenant ne tiendrait pas. Sans
parler des actions possibles d’usagers
souhaitant se voir rembourser
les indus. Pourtant, la communauté
urbaine affiche sa sérénité sur la question.
« Je suis très à l’aise là dessus. Il
sera très difficile de mener un contentieux
sur l’ensemble. De plus, si la
redevance annuelle devait cesser, elle
coûterait deux points de fiscalité
locale. Alors si certains veulent faire
payer les contribuables au détriment
des usagers, je leur laisse l’entière
responsabilité » a souligné Pierre
Cohen.
Le vote de la délibération concernant
l’avenant au contrat, prévu le
12 février en conseil de communauté,
promet beaucoup.
Aurélien Tardiveau
Toulouse a été présentée comme le fer de lance de la future politique de gestion de l’eau de la communauté urbaine de Toulouse. Cette dernière, née alors que l’audit était en cours, a dû être prise en compte. Or, si onze communes sont en délégation de service public, une seule, Saint-Orens, a également enclenché un audit sur sa délégation (avec La Lyonnaise des eaux). Et il ne semble pas que des renégociations de tarifs soient à l’ordre du jour pour les autres communes, la CUT précisant « qu’au fur et à mesure que les contrats arriveront à expiration, nous envisagerons le passage en régie. » Une majorité de communes, quatorze, sont déjà en régie publique. Comment les responsables vont-ils trouver une cohérence d’ensemble ? Surtout, pourquoi s’empêcher la possibilité d’économies d’échelle, en adoptant un même mode de gestion rapidement ? Toulouse, plus importante ville de l’agglomération, est aussi un sacré symbole. « Si cela devait rester en l’état, la dynamique sur la gestion de l’eau serait évidemment cassée » pronostique Lucien Sanchez, d’Eau secours 31.
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